La contestation soudanaise a accepté de mettre fin au mouvement de désobéissance civile lancé après le début d'une répression meurtrière et de reprendre les discussions avec les militaires au pouvoir afin de trouver une issue à la crise.
L'Alliance pour la liberté et le changement (ALC), fer de lance de la contestation, a aussitôt appelé les Soudanais à « reprendre le travail » dès ce 12 juin, après quelques jours de quasi paralysie de la capitale, Khartoum.
Le Conseil militaire de transition, au pouvoir depuis la destitution par l'armée du président Omar el-Béchir après des mois de manifestations, a, « dans un geste de bonne volonté, accepté de libérer tous les détenus politiques », selon Mahmoud Drir, représentant du Premier ministre éthiopien, Abiy Ahmed, qui s'était rendu le 8 juin à Khartoum pour tenter une médiation.
« L'ALC a accepté de mettre fin au mouvement de désobéissance civile à partir d'aujourd'hui » et « les deux parties ont accepté de reprendre prochainement les discussions », a déclaré Mahmoud Drir.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a condamné fermement la violence au Soudan et appelé les militaires au pouvoir et le mouvement de contestation à œuvrer pour trouver une issue à la crise.
Dans un communiqué, les membres du Conseil ont demandé la fin immédiate des violences contre les civils et souligné l'importance du respect des droits humains.
Après la chute d'Omar el-Béchir, les manifestants ont maintenu un sit-in installé depuis le 6 avril devant le quartier général de l'armée pour demander le transfert du pouvoir aux civils. Les deux camps avaient alors entamé des discussions sur la période de transition sans réussir à s'entendre sur la composition d'une nouvelle instance dirigeante.
Le bras de fer a pris une tournure sanglante avec la violente dispersion du sit-in à Khartoum, le 3 juin. Après quatre jours de répression et malgré la médiation d’Abiy Ahmed, la contestation avait lancé, le 9 juin, un mouvement de désobéissance civile.
Cent dix-huit morts
L'annonce de la reprise des négociations intervient alors que les meneurs de la contestation avaient déjà annoncé qu'ils publieraient prochainement la composition de leur propre instance dirigeante avec un Premier ministre.
Elle intervient également au lendemain de l'annonce de la venue, cette semaine, du secrétaire d'Etat américain adjoint chargé de l'Afrique, Tibor Nagy. Le Département d'Etat a précisé que l'émissaire appellerait « à la fin des attaques contre les civils ».
Selon un comité de médecins proche de la contestation, cent dix-huit personnes sont mortes et plus de cinq cents ont été blessées depuis cette date, la majorité dans la dispersion du sit-in. Les autorités estiment à soixante et un le nombre de morts, dont quarante-neuf par des « tirs à balles réelles » dans la capitale.
Le 11 juin, des véhicules équipés de mitrailleuses des Forces de soutien rapide (RSF) - des paramilitaires accusés par la contestation d'être à l'origine de la dispersion du sit-in et de la répression qui a suivi - ont continué de patrouiller dans plusieurs quartiers de Khartoum, pour la plupart déserts.
Des autobus publics, avec des passagers à leur bord, circulaient dans certains secteurs et quelques marchés étaient ouverts mais les principaux quartiers d'affaires étaient atones.
« Durant les trois derniers jours, nous avons perdu beaucoup d'argent » en raison de l'absence de réservation de vols, a déploré Ibrahim Omar, qui travaille pour un tour-opérateur.
Les agences de voyage ont été particulièrement touchées à cause de coupures quasi totales d'internet, avant le rétablissement dans la nuit des lignes de connexion de Sudatel, le principal fournisseur d'accès au Soudan.
En réaction au lancement du mouvement de désobéissance civile, l'armée avait promis un « renforcement de la sécurité », en accusant la contestation des « récents et malheureux incidents » et de « l'obstruction des routes », en référence aux barricades que les manifestants dressent sur les routes.
« De manière pacifique »
Au sein de la contestation, qui était parvenue à paralyser en partie le pays en décrétant une grève générale de deux jours fin mai, certains se sont félicités d'une réussite de la désobéissance civile.
« Cela montre clairement ce que nous pouvons faire et de manière pacifique », a estimé Ishraga Mohamed, une sympathisante. D'après l'ALC, « le Conseil militaire et ses milices ont perdu leur légitimité ».
Née en décembre d'une colère contre le triplement du prix du pain, la contestation a rapidement pris une tournure politique.
Au cours de la semaine de répression, trois figures de la contestation ont été arrêtées. Des médias soudanais avaient annoncé leur libération quelques jours plus tard, version contestée par les intéressés dont l'un a affirmé qu'ils ont en fait été « expulsés » au Soudan du sud.
La libération des personnes arrêtées faisait partie des exigences des leaders de la contestation durant la visite du Premier ministre éthiopien, en plus d'une enquête internationale sur le « massacre » du sit-in.
Par ailleurs, neuf personnes ont été tuées le 10 juin, dans le village d'al-Dalij, au Darfour (ouest), région meurtrie depuis 2003 par une guerre civile, selon le comité de médecins qui tient pour responsables les milices Janjawid, accusées d'atrocités dans la région.
Les RSF sont considérées par la contestation et par des experts comme une « nouvelle version » des Janjawid.
Dans un éditorial cosigné avec le militant des droits humains, John Prendergast, et publié dans "Politico", l'acteur américain George Clooney, très engagé concernant le Darfour, a exhorté la communauté internationale à traquer l'argent sale provenant du Soudan dans l'espoir que les militaires changent d'attitude face aux manifestations.