L’ex-président soudanais a été transféré, le 16 juin, au parquet en charge des affaires de corruption à Khartoum. Sa première apparition en public depuis sa destitution par l’armée en avril sous la pression de la rue.
Vêtu de la traditionnelle djellaba blanche et d’un turban, l’ancien homme fort du Soudan est arrivé de sa prison escorté par un convoi de véhicules militaires et des membres des forces de sécurité lourdement armés, a constaté le correspondant de l’AFP devant les locaux du parquet.
« L’accusé Omar el-Béchir a été (...) informé des accusations qui pèsent contre lui, pour la possession de devises étrangères, corruption et réception de cadeaux de manière illégale », a indiqué aux journalistes un responsable du parquet, Aladdin Dafallah.
Les chefs d’accusation ont été lus à Omar el-Béchir en présence de son avocat, selon le responsable. L’intéressé est reparti au bout de quelques minutes.
Porté au pouvoir par un coup d’Etat en 1989, Omar el-Béchir a été destitué et arrêté par l’armée, le 11 avril à Khartoum, sous la pression d’un mouvement de contestation inédit déclenché en décembre par le triplement du prix du pain.
Le 13 juin, l’agence de presse officielle soudanaise "Suna" avait annoncé que l’ex-président était accusé « de possession de devises étrangères, d’avoir acquis des richesses de façon suspecte et illégale et d’avoir ordonné (l’état) d’urgence ».
Le 21 avril, le général Abdel Fattah al-Burhane, chef du Conseil militaire de transition au pouvoir depuis la destitution d’Omar el-Béchir, avait affirmé que l’équivalent de plus de cent treize millions de dollars avaient été saisis en liquide à la résidence du président déchu, à Khartoum.
Or, en décrétant l’état d’urgence le 22 février face à la contestation populaire, l’ex-chef d’Etat avait rendu illégale la possession de l’équivalent de plus de cinq mille dollars en devises.
Omar el-Béchir fait aussi l’objet de poursuites pour les meurtres de manifestants durant la répression de la contestation.
Il est également visé par des mandats d’arrêt par la Cour pénale internationale qui veut le voir répondre de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre pour le conflit au Darfour (ouest), qui a fait près de trois cent mille morts, selon l’ONU. Mais les militaires au pouvoir ont indiqué qu’ils ne comptaient pas le transférer au tribunal international.
La pendaison réclamée pour les auteurs de la répression de la contestation
Après avoir obtenu la chute d’Omar el-Béchir, des milliers de manifestants étaient restés mobilisés en maintenant un sit-in devant le quartier général de l’armée à Khartoum, réclamant que le Conseil militaire cède le pouvoir aux civils.
Mais le 3 juin, ce sit-in a été dispersé, d'après des témoins, par des hommes armés en tenue militaire. La répression s’est poursuivie pendant plusieurs jours.
À en croire un nouveau bilan publié par un comité de médecins proche de la contestation, cent vingt-huit personnes ont ainsi été tuées depuis le 3 juin. Les autorités ont parlé de soixante et un morts.
« Nous travaillons dur pour envoyer à la pendaison ceux qui ont fait ça », a lancé le numéro deux du Conseil militaire, le général Mohammed Hamdan Daglo, dit « Hemeidti ».
Ce général est à la tête des Forces de soutien rapide, des paramilitaires accusés par les chefs de la contestation et des ONG d’être à l’origine de la violente dispersion.
« En ce qui concerne la dispersion du sit-in, on ne va pas vous décevoir ni décevoir les familles des martyrs », a-t-il assuré lors d’une allocution retransmise à la télévision publique.
Le Conseil militaire décidé à obtenir "toute la vérité"
Les appels en faveur d’une enquête indépendante se multiplient, au Soudan et à l’étranger. Le secrétaire général de la Ligue arabe, Ahmed Aboul Gheit, en visite à Khatoum, le 16 juin, y a rencontré le chef du Conseil militaire et les leaders du mouvement de protestation, selon un communiqué de la Ligue arabe.
Il a appelé à une enquête complète sur les événements et assuré le Soudan de son soutien pour que ses dettes internationales soient effacées et que le pays soit « retiré de la liste des Etats finançant le terrorisme » établie par Washington.
La semaine dernière, le Conseil militaire avait, pour la première fois regretté, des « erreurs qui se sont produites » lors de la dispersion de la foule, mais avait assuré ne pas l’avoir ordonnée et précisé que l’objectif de l’opération était tout autre.
Le porte-parole du Conseil militaire, le général Chamseddine Kabbachi, avait ainsi affirmé que le but initial était de chasser des éléments « criminels » dans un secteur appelé Colombia, près du sit-in.
« L’opération de Colombia a été planifiée par les autorités militaires et sécuritaires », a indiqué le Conseil militaire dans un communiqué.
« Nous soulignons notre volonté d’obtenir toute la vérité, instant par instant, par le biais de notre commission d’enquête », a-t-il ajouté, en référence à l’investigation lancée par les militaires.
Le 15 juin, le porte-parole de la commission d’enquête, Abderrahim Badreddine, a fait savoir que son rapport n’était pas finalisé mais a révélé des conclusions préliminaires selon lesquelles « des officiers et des soldats sont entrés sur les lieux du sit-in sans l’ordre de leurs supérieurs ».