Du 24 au 25 juin dernier, les représentants de trente pays du continent se sont retrouvés aux célèbres chutes Victoria, au Zimbabwe, pour leurs premières assises sur l’économie de la faune sauvage dans la région.
Le rendez-vous, organisé conjointement par les Nations unies et l’Union africaine, avait pour objectif de mettre en place une vision de conservation pour l’Afrique. L’objectif principal étant de coordonner les politiques de tous les pays concernés et surtout de tous les acteurs : les gouvernements, les professionnels du tourisme et les communautés locales.
Pour l’ensemble du continent africain, l’apport de devises généré par le tourisme lié à la faune est considérable et croissant. En 2015, il était de cent vingt-cinq milliards de dollars et il sera sans doute le double d’ici à dix ans, avec des millions d’emplois à la clé. Toutefois, cet argent n’est pas nécessairement réinvesti dans l’économie locale.
Episode révélateur de ce paradoxe, c’est la réautorisation récente de la chasse aux éléphants au Botswana. Vu d’Europe, on se dit qu’il faut absolument sauver ces animaux emblématiques de l’Afrique, dont le nombre a beaucoup diminué. Ils ne sont plus qu’estimés à près de quatre cent mille, alors qu’on parlait d’un chiffre de vingt millions avant le début de la colonisation européenne. Plusieurs ONG de défense de l’environnement s’inquiètent. Cette affaire montre bien qu’il n’y a pas de solution sur le sujet si les besoins de la population locale ne sont pas pris en compte dans la gestion de la faune. Cet épisode met aussi en évidence la nécessité d’une politique coordonnée entre tous ces pays frontaliers, car les éléphants ont proliféré au Botswana parce qu’ils ont fui les pays voisins, l’Angola et la Zambie.
Il y a aussi la question du braconnage et celle de l’ivoire en particulier. Mais là encore, les choses sont moins évidentes qu’il n’y paraît. Des ONG affirment que l’essor du braconnage est directement lié, d’une part à la pauvreté de la population, d’autre part à la corruption. Donc là encore, la seule solution pour l’arrêter, c’est de favoriser le développement économique de cette population locale. Pour tous ces pays, il y a donc un point d’équilibre à trouver, entre les recettes du tourisme qui sont devenues indispensables, la lutte contre la pauvreté dans les villages et la préservation de la biodiversité.
La France en première ligne dans la lutte contre le braconnage
De son coté, la France s’insurge contre l’hypocrisie de ses pairs. En effet, elle dénonce les « résistances » de l’Union européenne à interdire totalement le commerce de l’ivoire lors de la prochaine Conférence des Nations unies sur les espèces menacées, en août, à Genève en Suisse. Selon Yann Wehrling, ambassadeur de France à l’Environnement, qui conduira la délégation de son pays à la réunion de la Convention de l’ONU sur le commerce des espèces menacées (Cites), « l’Europe votera contre les motions déposées par les pays africains pour réclamer un retour à l'interdiction totale de ce commerce ».
Malgré des opinions publiques favorables à la protection des éléphants, massivement ciblés par le braconnage, « il y a de vraies résistances en Europe à fermer le marché de l’ivoire », a-t-il affirmé. La position communautaire a été adoptée à huis clos en conseil des ministres de l’Environnement des vingt-huit Etats. Le parlement européen n’est ni consulté ni appelé à s’exprimer sur le sujet. Seuls cinq des vingt-huit Etats membres prohibent ce commerce, a-t-il précisé: la France (depuis 2016), le Luxembourg, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Belgique.
Les Etats-Unis (en juin 2016) et la Chine (en 2017), principal marché pour l’or blanc des éléphants, ont pourtant également fermé leur marché à l’ivoire.
Yann Wehrling rappelle qu’un « quart des éléphants d’Afrique a été abattu au cours de la décennie écoulée » : environ trente mille têtes, chassées pour leurs défenses, ont été tuées durant cette période sur une population totale estimée à moins d’un demi-million. Le trafic, évalué à vingt milliards de dollars par an, selon la Cites, est le quatrième commerce illégal le plus lucratif après les armes, la contrefaçon et les êtres humains. Les éléphants, avec les rhinocéros, sont les premiers visés.
« Au-delà des éléphants et de l’ivoire, on sait que la contrebande profite aux réseaux criminels et à certains réseaux terroristes », martèle Yann Wehrling qui regrette les réticences de l’Union européenne sur le sujet. Quatre motions, déposées par une trentaine de pays d’Afrique, seront présentées lors de la Cites qui se tiendra du 17-25 août, visant à réinscrire les éléphants à l’Annexe 1 de la Convention, qui signifie « interdiction totale » de commerce.
Les pachydermes qui s’y trouvaient en 1989 ont été en partie repassés en 1997 à l’Annexe 2 (commerce encadré) pour ceux d’Afrique australe dont la population était jugée suffisamment robuste. « Mais depuis, le braconnage a repris à grande échelle : il n’y a pire situation que de répartir une même espèce entre deux annexes », sous deux régimes différents, insiste Yann Wehrling pour qui, la seule urgence, est de « maintenir un engagement très fort de protection ».