La Belgique organise ce vendredi 19 juillet sa réception à l’occasion de sa fête nationale qui commémore la prestation de serment du premier Roi des Belges, Léopold Ier, le 21 juillet 1831. C’est un retour à une tradition qui existait à Brazzaville avant la fermeture de l’ambassade en 2015. À cette occasion, nous avons voulu savoir quelles étaient les ambitions de la Belgique au Congo, connaître un peu mieux la nature des relations entre les deux pays ainsi que le contexte dans lequel avait été décidée la réouverture de l’ambassade. Pour ce faire, nous avons rencontré le premier responsable de l’ambassade, le chargé d’Affaires en pied, Frédéric Meurice.
Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B) : La Belgique a récemment rouvert son ambassade à Brazzaville. Pouvez-vous nous dire dans quel contexte l’ambassade avait été fermée et pourquoi on a décidé de la rouvrir ?
Frédéric Meurice (F.M) : Effectivement, l’ambassade avait été fermée en 2015. À l’époque, il s’agissait d’une mesure d’économie budgétaire qui avait frappé une vingtaine de missions diplomatiques belges à travers le monde et qui ne concernait donc pas spécifiquement la République du Congo.
On s’est toutefois rapidement rendu compte qu’en raison des orientations de la politique belge en Afrique centrale qui, plus que par le passé, s’appuie sur des partenaires régionaux, disposer d’un canal permanent de communication à Brazzaville était important. Le rôle que le Congo joue dans la région et que le président Denis Sassou N’Guesso joue au niveau continental est indéniable. C’est aussi la constatation qu’ont faite les dirigeants politiques belges qui ont eu, ces dernières années, à s’entretenir à de multiples reprises avec leurs homologues Congolais et qui ont pu être reçus en audience par le chef de l’Etat congolais. Dans ce contexte, la réouverture de l’ambassade s’est imposée comme une évidence. Annoncée à l’été 2018, elle est effective depuis décembre 2018.
L.D.B : Les Congolais se réjouissent certainement de la présence de votre ambassade mais ils regrettent qu’ils doivent toujours se rendre à Kinshasa en République démocratique du Congo (RDC) pour solliciter des visas d’études ou de regroupement familial. Quand cela va-t-il changer ?
F.M : Comme c’est souvent le cas lorsqu’on ouvre ou rouvre une mission diplomatique, il faut un certain temps d’adaptation. Il faut se mettre en place, il faut s’installer, il faut évaluer ses options, etc.
Dans l’état actuel des choses, l’ambassade n’assume pas de compétences consulaires. Elle concentre son travail sur les relations politiques, le développement de nos relations économiques, la coopération militaire, la promotion des échanges culturels ou académiques, etc.
L’ambassade ne délivre pas de visas et les demandes pour les visas ‘court séjour’ (visa Schengen) qui ont la Belgique comme destination principale doivent être déposées auprès du consulat général de France à Brazzaville ou à Pointe-Noire. Les demandes pour les visas ‘long séjour’ (visa pour étude, regroupement familial, par exemple) doivent toujours être déposées auprès du Centre européen des visas à Kinshasa.
Je signale toutefois que l’ambassade travaille activement à faciliter la vie des gens. C’est ainsi que nos consuls honoraires à Brazzaville et à Pointe-Noire sont en mesure de légaliser les documents officiels congolais et qu’il n’est donc plus nécessaire pour les Congolais de se rendre à Kinshasa dans ce cadre. C’est d’ailleurs dorénavant dans les locaux de l’ambassade que notre Consule honoraire à Brazzaville reçoit désormais ses visiteurs et procède à la légalisation des documents qui lui sont soumis. J’ajoute également qu’un accord de principe a été acté pour dispenser prochainement les titulaires de certains passeports officiels de l’obligation d’obtenir un visa pour se rendre dans les pays du Benelux. Des discussions pour la mise en œuvre de cet accord de principe devraient débuter incessamment.
La philosophie de cette situation est qu’il faut apprendre à marcher avant de vouloir courir : l’ambition est certes de fournir à terme un service consulaire complet mais cela ne se fera que lorsque les conditions seront propices et les moyens nécessaires seront disponibles.
L.D.B : Comment caractériseriez-vous les relations entre la République du Congo et la Belgique ? Comment les intensifier ou les améliorer ?
F.M : Les relations sont excellentes. La réouverture de l’ambassade en témoigne.
Elles sont basées tout d’abord sur l’ancienneté de la présence belge en Afrique centrale et en RDC en particulier.
Ce voisinage se manifeste d’abord sur le plan humain : beaucoup de mes compatriotes qui sont installés au Congo sont arrivés depuis Kinshasa à diverses époques.
Par ailleurs, la présence et les intérêts belges en RDC ont parfois nécessité de prendre des mesures de précaution lorsque la situation à Kinshasa devenait délicate. Les autorités congolaises ont toujours manifesté leur disponibilité à faciliter l’action des pouvoirs publics belges si cette action devait se révéler nécessaire. Ce fut encore le cas à la fin de l’année dernière et au début de cette année ; les responsables politiques belges n’ont pas manqué, à juste titre, d’exprimer leur reconnaissance aux autorités congolaises à ce sujet.
Au-delà de cela, la Belgique est un pays partiellement francophone, ce qui facilite forcément les échanges, les contacts et les relations. Nous essayons d’exploiter cet atout : ainsi, sur le plan universitaire, la Belgique soutient pleinement l’ambition de la Délégation de l’Union européenne (UE) à Brazzaville de mieux faire connaître le programme Erasmus + et Horizon 2020 afin que plus de jeunes congolais puissent bénéficier de formation de bonne qualité dans des filières utiles pour le Congo. A cet égard, les établissements belges et congolais d’enseignement supérieur ont vocation naturelle à s’associer dans ce genre de programmes pour le bénéfice des étudiants congolais.
Autre aspect où les synergies francophones et la présence belge en Afrique centrale doivent permettre une meilleure collaboration est celui de la coopération culturelle : la Délégation Wallonie Bruxelles est très active sur le plan culturel à Kinshasa ; elle souhaite profiter de la présence de l’ambassade à Brazzaville pour développer son activité de ce côté du fleuve. On devrait bientôt en voir les effets, sur un plan bilatéral mais aussi européen avec la création avec d’autres partenaires d’une structure regroupant plusieurs pays européens qui souhaitent, en commun, mener une action de coopération culturelle avec le Congo.
Je pense aussi que la Belgique doit être plus présente sur le plan économique en République du Congo. Les entreprises belges ont des atouts à faire valoir et de l’expérience dans la région.
Le récent accord avec le FMI montre que le climat est à nouveau propice même si, comme le disait récemment le Premier ministre, « le plus dur reste maintenant à faire » puisque des efforts constants et persévérants doivent être menés pour rétablir non seulement les équilibres budgétaires et financiers mais aussi améliorer le climat des affaires.
Dans ce contexte, l’ambassade – en collaboration avec les services économiques et commerciaux des Régions belges qui, dans le système de mon pays, sont compétents pour ce genre d’initiative - prépare une mission économique et commerciale d’une quarantaine d’entreprises belges qui viendront à Brazzaville et à Pointe-Noire au mois d’octobre de cette année.
L’objectif est de prendre contact avec les réalités et les acteurs économiques congolais pour évaluer les besoins du marché, les possibilités de partenariat, voire, à terme, les perspectives d’investissement.
Le développement de la coopération militaire est également un autre axe sur lequel nous travaillons pour intensifier nos relations bilatérales. Des discussions entre milieux militaires ont lieu régulièrement pour mettre au point le cadre dans lequel cette coopération pourrait le mieux s’exprimer.
Sur le plan sécuritaire, la Belgique, convaincue de l’importance stratégique pour le continent de la stabilité de la République du Congo, envisage également comment elle pourrait contribuer aux efforts que souhaite mener l’UE dans ce pays en terme de contribution des forces de sécurité au renforcement de l’Etat de droit.
Enfin, et c’est peut-être la raison fondamentale de notre présence ici, les relations et échanges sur les questions politiques sont une autre caractéristique des relations entre nos deux pays. Nous échangeons fréquemment sur les sujets d’intérêt régional et international.
À cet égard, le rôle et l’action du Congo, de son président et de sa diplomatie, que ce soit au niveau régional, continental voire mondial, sur les thèmes transversaux importants de la vie internationale (révision des Accords de Cotonou ; environnement ; etc.) ne sont plus à rappeler. Cette expérience et cette action sont pour nous précieux et nous attachons de la valeur aux occasions qui nous sont données de pouvoir échanger à ce sujet avec nos partenaires congolais.
L.D.B : Depuis quelques mois, la Belgique siège au Conseil de sécurité des Nations unies. Quel rôle peut-elle y jouer ? Quelles sont ses priorités ?
F.M : Permettez-moi d’abord de profiter de votre question pour exprimer ici la reconnaissance belge vis-à-vis des autorités congolaises qui ont soutenu la candidature belge à un siège non-permanent du Conseil de sécurité.
Ainsi que nous l’avons dit durant notre campagne, nous avons l’ambition d’être un intermédiaire honnête, utile et apprécié. Nous savons que nous sommes un pays à la taille et aux moyens modestes mais nous souhaitons être la voix de tous ceux qui, comme nous, doivent être entendus au Conseil de sécurité. La Belgique veut que les préoccupations des pays moins puissants et moins vocaux soient aussi portées jusqu’au Conseil. Plus particulièrement, la Belgique veut être un partenaire de l’Afrique au Conseil de sécurité. Mon pays apporte son intérêt et son expertise sur plusieurs dossiers africains : l’Afrique des Grands Lacs, bien sûr, mais aussi le Sahel où la Belgique s’est investie de manière très importante et multidimensionnelle depuis plusieurs années. La Belgique suit aussi particulièrement les dossiers centrafricain, du Sud-Soudan et de la Corne de l’Afrique au Conseil de sécurité. Sur tous ces sujets, l’expérience et les conseils du Congo sont accueillis avec grand intérêt.
L.D.B : La Belgique est un membre fondateur de l’UE. Quelle est sa vision pour l’Europe à l’heure où la question du Brexit, la difficile gestion des résultats des élections européennes mettent en question le modèle européen ?
F.M : Je commencerai par dire que la Belgique reste profondément attachée à l’expérience et à la réalité européenne. La Belgique, à mon avis, a la chance d’être un des pays les moins frappés par l’euro-pessimisme. C’est en tout cas ce que les résultats des récentes élections européennes en Belgique ont montré.
Ceci dit, les défis sont évidents et ceux que vous avez mentionnés sont sans doute les plus exemplatifs. En ce qui concerne la Belgique, c’est notre conviction que les pays fondateurs doivent continuer à porter le flambeau de l’idéal européen de paix, de sécurité, de cohésion sociale, de développement économique partagé.
Même si la conjoncture politique est difficile, nous restons persuadé que c’est en maintenant le cap que nous surmonterons cet écueil.
La récente désignation de l’actuel Premier ministre belge, Charles Michel, au poste important de président du Conseil européen, outre l’honneur qu’il constitue pour mon pays, est sans doute aussi le signe que les partenaires européens reconnaissent de la valeur à l’engagement belge tenace et convaincu en faveur de l’idée européenne.
J’ajouterai que sur le plan international, cet engagement européen se traduit par une conviction profonde de la valeur du multilatéralisme, de la recherche de solutions négociées et du respect des différences.
L.D.B : Cela fait maintenant 8 mois que vous êtes en poste au Congo. Quelles sont vos impressions ? Qu’est-ce que vous aimez de notre pays ? Qu’est-ce qui devrait changer ou évoluer ?
F.M : Après 8 mois de présence, il serait peut-être un peu présomptueux de venir vous dire ce qui doit changer ou ce qui est bien et ce qui est moins bien.
Ceci dit, un diplomate a souvent le bénéfice de la comparaison. Je peux donc vous faire part de quelques constations.
D’abord, ce qui frappe, c’est le caractère paisible de la population et du pays. On a du mal à croire qu’il a été frappé il y a un peu plus d’une décennie d’une guerre civile extrêmement violente et que des troubles sécuritaires graves ont persisté jusqu’il y a très récemment.
Pour moi, une des qualités spécifiques à Brazzaville est la possibilité d’y circuler librement, en sécurité, à pied ou en voiture, sans être importuné ou stressé. Cela tient, je pense, à la grande tolérance de la population mais aussi à sa dignité et à son assurance.
Cette assurance et cette dignité se traduisent aussi dans le comportement général et l’habillement des gens. Les gens sont « bien mis » et prennent soin d’eux.
C’est un pays où, dans la capitale et Pointe-Noire en tout cas, beaucoup des infrastructures sont excellentes.
C’est un pays où les gens prennent le temps – ce qui est à la fois un avantage et un inconvénient.
Et c’est peut-être à ce sujet que je me permettrai un conseil : prendre son temps, c’est bien. Attendre des autres qu’ils résolvent vos problèmes, c’est mauvais. Le Congolais doit veiller à prendre son destin en main, de manière active et positive.
Pour le reste, j’ai encore tant de choses à découvrir ici que je me réjouis chaque jour que mon séjour ne fait finalement que commencer !