En République centrafricaine, les premières enquêtes de la Cour pénale spéciale (CPS) ont débuté pour juger les responsables de graves crimes commis durant les conflits, mais les moyens manquent cruellement pour répondre aux attentes de la population, s’alarme l'ONG américaine, dans un rapport publié, le 24 juillet.
« La Cour pénale spéciale de la République centrafricaine devrait intensifier ses enquêtes judiciaires et recruter, sans attendre, du personnel supplémentaire afin de rendre la justice dans les affaires de crimes de guerre et les autres infractions graves qu’elle doit juger », a déclaré Human Rights Watch, une ONG américaine.
En effet, ce nouveau tribunal, qui fonctionne dans un contexte extrêmement difficile, après des années de conflit brutal et d'insécurité dans le pays, a besoin davantage d’appui de la part du gouvernement et de la communauté internationale.
La CPS est un tribunal nouvellement créé au sein du système judiciaire centrafricain, doté de la compétence de juger les crimes graves commis lors des conflits armés que le pays a connus depuis 2005.
« Les Centrafricains attendent depuis si longtemps de voir justice rendue pour les nombreux meurtres, viols et atrocités qui ont été commis en République centrafricaine », a déclaré Elise Keppler, directrice adjointe du programme Justice internationale de Human Rights Watch. « Même si la Cour pénale spéciale tient ses promesses, son démarrage a été laborieux. Il faut qu’elle intensifie ses enquêtes pour que les procès puissent s’ouvrir sur la base de preuves solides et irréfutables », a-t-elle ajouté.
Cette Cour spéciale, où travaillent juges et procureurs, à la fois internationaux et nationaux, bénéficie de l’aide internationale. La loi portant sa création a été adoptée en 2015, mais pour démarrer ses enquêtes, elle a dû attendre que le parlement adopte, en mai 2018, les règlementations régissant sa procédure judiciaire et son système de preuves. Elle a tenu sa première session officielle en octobre et des enquêtes judiciaires sont actuellement en attente auprès du parquet et des juges d’instruction.
Suite à son rapport sur la CPS, publié en mai 2018, Human Rights Watch a mené des recherches, du 10 au 14 avril dernier à Bangui, sur les progrès de la Cour et les difficultés qu’elle traverse.
Les chercheurs se sont entretenus avec vingt-cinq personnes, dont des employés et des consultants de la Cour, des responsables des Nations unies, des défenseurs des droits humains, des avocats et des bailleurs de fonds. Ils ont aussi effectué deux entretiens collectifs: l’un avec des défenseurs des droits humains et l’autre avec des victimes qui travaillent au sein des associations de victimes des crimes.
Human Rights Watch a tout d’abord essayé de rencontrer les responsables du gouvernement qui travaillent sur la Cour pénale spéciale, mais ils n’étaient pas disponibles, puis, elle a effectué des entretiens à New York, par téléphone et en personne, en mai, juin et juillet, puis consulté des documents en lien avec les activités de la Cour.
« La justice doit être au premier rang dans un Etat qui prône la bonne gouvernance et la démocratie. Sans justice, tout le reste est appelé à faire naufrage », a déclaré un défenseur des droits humains à Human Rights Watch, en avril.
Aussi bien les défenseurs des droits humains que les victimes se sont dits très inquiets du fait que les dispositions de l'accord de paix signé en février, sur le sujet de la justice, pourraient limiter la coopération et l’appui du gouvernement vis-à-vis de la CPS. Ils ont critiqué le fait que des personnes impliquées dans des crimes aient été intégrées au gouvernement suite au récent accord de paix. « Nous voyons en ce moment que nos bourreaux règnent sur nous. Ils sont entrés au gouvernement », a estimé une femme, à la tête d'un groupe de victimes.
Créée par décret en 2015, mais effectivement lancée en octobre 2018, composée de juges nationaux et internationaux, la CPS est chargée de juger les violations graves des droits humains commises en République centrafricaine depuis 2003. Huit mois plus tard, ses magistrats ont instruit quatre dossiers. Trois autres font l’objet d’une enquête préliminaire. Au total, vingt-sept plaintes y ont été déposées.
Le bilan est bien maigre au regard du nombre de victimes et de crimes perpétrés. Mais les procédures sont longues et complexes: la CPS ne dispose que de quatre procureurs et vingt officiers de police judiciaire pour juger des crimes commis durant quinze années secouées par une succession de conflits.