A peine annoncées, les grandes retrouvailles décrétées le 10 septembre par le chef de l'Etat, en vue de mettre fin au conflit meurtrier dans les régions anglophones, sont déjà rejetées par plusieurs organisations séparatistes regroupées au sein du Mouvement de libération du Sud-Cameroun.
Non satisfait de la convocation de la rencontre, le mouvement a d’ores et déjà demandé au chef de l’Etat camerounais de retirer son armée et son administration des régions anglophones. « Nous ne lui permettrons pas d’utiliser un tel cirque pour attirer la communauté internationale », a-t-on précisé alors que ce dialogue est perçu par certains observateurs comme un signe d’ouverture.
Pour le célèbre avocat anglophone et défenseur des droits de l’Homme, Felix Agbor Nkongho, « l’appel pour un dialogue inclusif est très apprécié », ajoutant: « Le gouvernement doit maintenant autoriser les Anglophones des différents bords à prendre part à ce dialogue sans craindre d’être arrêtés ou inquiétés pour leurs idées ».
Blaise Chamango, acteur local de la société civile, a dit qu’à Buea, le chef-lieu de la région du Sud-Ouest, l’organisation d’un dialogue « que les gens demandent depuis longtemps » est perçue comme un signe d’apaisement. « Mais les séparatistes sont devenus radicaux et tout ce qui est proposé par Yaoundé est perçu comme un cadeau empoisonné », a-t-il relevé, estimant que le retour à la paix sera impossible sans leur participation aux pourparlers.
Lors de l’annonce de la convocation fin septembre de ces pourparlers sur le conflit meurtrier entre des groupes séparatistes de la minorité anglophone et les forces de sécurité dans l’ouest, Paul Biya, 86 ans et au pouvoir depuis 37 ans, avait, dans une adresse à la nation, déclaré : « J’ai décidé de convoquer, dès la fin du mois en cours, un grand dialogue national qui nous permettra (...) d’examiner les voies et moyens de répondre aux aspirations profondes des populations du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, mais aussi de toutes les autres composantes de notre Nation ».
Le chef de l’Etat camerounais a, par ailleurs, réitéré son offre de « pardon » aux séparatistes qui « déposent volontairement les armes », mais il a promis à ceux qui s’y refuseraient de subir « toute la rigueur de la loi ». Il veut donc que son pays renoue avec la paix alors que dans les régions du Nord-Ouest et du Sud-Ouest, peuplées majoritairement par la minorité anglophone, l’armée affronte depuis deux ans des groupes armés militant pour la création d’un Etat indépendant.
L’annonce du dialogue intervient trois semaines après la condamnation à la prison à vie d’un des principaux chefs séparatistes, Julius Ayuk Tabe, pourtant pas perçu comme un fervent partisan de la lutte armée, et celle de neuf proches militants par un tribunal militaire. Le chef de l'Etat n'a rien dit sur leur libération.
Le groupe de réflexion International Crisis Group estime que ces exactions de part et d’autre et les combats ont fait plus de deux mille morts depuis fin 2017, et forcé plus de cinq cent trente mille personnes à fuir leur domicile, selon l’ONU.
La crise avait débuté en 2016 par des mouvements de protestation, mais elle a pris un tour meurtrier fin 2017 quand des groupes sécessionnistes ont pris les armes et radicalisé le mouvement. Et devant l’inquiétante dégradation de la situation humanitaire, le régime s’était dit prêt à dialoguer, notamment sous la pression de la communauté internationale.