Les obsèques de l'ancien président tunisien, décédé le 19 septembre à l’âge de 83 ans à Djeddah, en Arabie saoudite où il vivait en exil depuis la révolution de 2011, ont eu lieu le 21 septembre , à la ville sainte musulmane de Médine dans l'Ouest de l'Arabie Saoudite, au cimétiere d'Al-Baqi, près du Mausolée du prophète Mohamet.
Après plus de deux décennies d'un pouvoir répressif, Ben Ali avait été forcé à quitter le pouvoir, sous l'impulsion d'un mouvement populaire, point de départ d'une vague de révoltes dans la région sous le nom de « Printemps arabe ». Les manifestations, marquées par des émeutes sanglantes, s'étendent à tout le pays.
Il prend la fuite, le 14 janvier 2011, après cinq mandats à la tête de l’Etat, dans des conditions rocambolesques, vers Djeddah, où il vivait en exil avec sa famille. Depuis cette date, la Tunisie, qui a vécu le 15 septembre le premier tour d'une élection présidentielle libre, s'est engagée sur le chemin de la démocratisation, même si les difficultés politiques et économiques ont vu naître, ces dernières années, une forme de nostalgie dans une frange de la population.
Des promesses de « changement » sans succès
La présidence de Ben Ali avait pourtant commencé en 1987 avec des promesses de démocratisation. À l’époque, la Tunisie était en pleine crise de succession, le président Habib Bourguiba, vieillissant et malade, devant faire face à une crise économique et financière et à une importante contestation sociale et islamiste.
Nommé Premier ministre, le 2 octobre 1987, Ben Ali se confirme comme le possible successeur de Bourguiba. Le 7 novembre, il dépose le président pour sénilité dans un « coup d’État médical ». Rejetant ce terme de « coup d’Etat », il qualifiait sa prise de pouvoir comme un « acte de redressement, de salut national et de rétablissement de l’Etat de droit ».
Mais rapidement, des atteintes importantes aux droits de l’homme sont constatées en Tunisie. Et la politique de Ben Ali devient synonyme de répression, de l’emprisonnement et de la torture de ses opposants ainsi que des atteintes à la liberté d’expression et à celle de la presse.
Omniprésent avec ses portraits officiels qui le montraient souriant, il se targuait d'améliorer le niveau de vie de ses compatriotes et d'avoir « fait de la Tunisie un pays moderne ».
Le chiffre 7 (issu de la date du 7 novembre 1987) est devenu le symbole de sa présidence, faisant l’objet d’un culte. Le 7 novembre est un jour férié, et le chiffre 7 est visible dans la quasi-totalité des lieux publics : administrations, cafés, magasins, avenues, établissements scolaires, transports, stades, etc.
Ben Ali laisse, en effet, la trace d’un président autoritaire qui, avec son entourage et en particulier la famille de sa seconde épouse, l'ex-coiffeuse Leïla Trabelsi, a généralisé la corruption dans le pays. Il est toujours difficile à ce jour d'évaluer avec précision la fortune du « clan ».
Mais, durant ses vingt-trois années de règne de bras fer, Ben Ali et son épouse, Leila Trabelsi, ont mis l'économie du pays en coupes réglées.
L'étendue des atteintes aux droits de l'Homme a, en outre, été soulignée lors des auditions publiques de l'Instance vérité et dignité, créée après la révolution pour faire la lumière sur les crimes de la dictature.
Plus de trois cents personnes sont notamment décédées durant la répression du mouvement de révolte né de l'immolation par le feu, le 17 décembre 2010, d'un vendeur ambulant de Sidi Bouzid (centre-ouest), Mohamed Bouazizi, excédé par la pauvreté et les humiliations policières. Le jeune vendeur ambulant décède le 4 janvier.
En 2018, à l'issue de procès par contumace pour « homicides volontaires », « abus de pouvoir » ou encore « détournements de fonds », Ben Ali avait été condamné à de multiples peines de prison, dont plusieurs à perpétuité.
Son renversement en 2011 a profondément bouleversé une partie du monde arabe en constituant le point de départ du Printemps arabe, succession de révoltes ayant notamment abouti à la chute de l'Egyptien Hosni Moubarak et du Libyen Mouammar Kadhafi.
Le décès de Ben Ali est intervenu quatre jours après la tenue du premier tour de la présidentielle, scrutin qui doit permettre de consolider le processus démocratique dans l'unique pays rescapé de ce « Printemps arabe ».
Sa mort survient aussi dans le sillage de celle, le 25 juillet, de Béji Caïd Essebsi, premier président tunisien élu démocratiquement au suffrage universel direct, en 2014.
Ben Ali perpétue le modèle Bourguiba
C’est autour de cette période que le processus politique de démocratisation, qui était promis et avait commencé à s’engager depuis 1987, a fortement ralenti. Mais du point de vue économique et social, Ben Ali a poursuivi la politique de Bourguiba. Libéralisme économique, privatisations dans le secteur touristique et ouverture envers les investisseurs étrangers étaient les mots d’ordre en économie.
D’un point de vue social, Ben Ali s’est inscrit dans le prolongement de Bourguiba pour la promotion de la laïcité et la place de la femme. Il a étendu le code du statut personnel, la loi qui donnait à la femme tunisienne une place inédite dans le monde arabe, en donnant plus de droits aux femmes, et en particulier aux mères. La femme tunisienne a ainsi pu transmettre à son enfant sa nationalité, une nouveauté alors dans le monde arabe.
Après la révolution de 2011, le pays est passé par tant d’instabilités économiques et sécuritaires que certains Tunisiens ont un temps, souhaité le retour de Ben Ali en Tunisie. La nostalgie portait peut-être plus sur une période où l’économie allait mieux et où le pays était beaucoup plus verrouillé sur le plan sécuritaire qu'elle ne portait sur le personnage. Mais les nostalgiques n'ont jamais été majoritaires. Quand le 14 mars 2016, Khaled Chouket, porte-parole du gouvernement, a demandé le retour de Ben Ali en Tunisie au nom de « la réconciliation » et de « la tolérance », aussitôt cette déclaration a provoqué un tollé dans un pays où le nom même de Ben Ali reste un repoussoir.
Né le 3 septembre 1936, dans une famille modeste de Hammam Sousse, Ben Ali intègre très jeune les structures locales du Néo-Destour, le parti de Habib Bourguiba. Il entre dans l’armée après l’indépendance du pays en 1956. Quatrième enfant d’une famille qui en comptait onze, il est affecté au service du général Kéfi, un des plus hauts gradés de l’armée, dont il épouse la fille Naïma en premières noces en 1964.
En janvier 1978, il est nommé à la tête de la sûreté générale, avant de devenir ambassadeur de Tunisie en Pologne en 1980. Le 26 avril 1986, il obtient le poste de ministre de l’Intérieur. C’est alors qu’il commence à fréquenter Leïla Trabelsi, avec qui il se marie en 1992, quatre ans après avoir divorcé de sa première épouse.
Zine El-Abidine Ben Ali en quelques dates
3 septembre 1936 : naissance à Hammam Sousse (Tunisie)
1956 : études militaires à Saint-Cyr puis à l’école d’artillerie de Châlons-sur-Marne
1958-1974 : directeur de la sécurité militaire de Tunisie
1974 : attaché militaire à l’ambassade de Tunisie au Maroc
1980 : ambassadeur en Pologne
1984 : nommé secrétaire d’Etat à la sûreté nationale sur fond d’« émeutes du pain »
1986 : ministre de l’intérieur
1987 : nommé Premier ministre, il dépose Habib Bourguiba et le remplace à la tête de l’Etat
1994 : unique candidat à l’élection présidentielle, il obtient 99,9 % des suffrages. Réélection en 1999, 2004 et 2009
2011 : annonce son intention d’abandonner le pouvoir en 2014, à la fin de son mandat
14 janvier 2011 : quitte la Tunisie après un mouvement de contestation
19 septembre 2019 : mort à Djeddah en Arabie saoudite