Chaque année, des milliers de tonnes de produits agricoles passent illégalement les frontières, à l’insu des autorités douanières des pays de la sous-région. Profitant de la porosité des limites territoriales et parfois des failles dans les politiques étatiques, le phénomène reste un véritable casse-tête.
La contrebande agricole en Afrique de l’ouest prend la forme d’un commerce de réexportation de produits agricoles. Un réel manque à gagner. S’il reste difficile d’intégrer les flux de contrebande aux systèmes d’information statistique officielle, il n’en reste pas moins une activité lucrative pour les opérateurs.
Contrairement aux contrebandiers, les acteurs du commerce transfrontalier informel échangent des biens de valeur modeste souvent faible, en raison de contraintes comme le manque d’efficacité des circuits de commercialisation et de distribution.
« Ils ne sont pas forcément enregistrés officiellement en tant que chefs d’entreprise, mais dans la plupart des cas, ne cherchent pas pour autant à contourner la législation, la fiscalité ou les procédures applicables », indique le Centre international pour le commerce et le développement durable.
Dans la région ouest-africaine, l’un des pays les plus touchés est la Côte d’Ivoire. Son statut de premier producteur de cultures de rente comme le cacao et l’anacarde en fait un marché de choix pour de nombreux contrebandiers.
Dans le cas du cacao, un flux important non déclaré traverse, chaque année, les frontières du pays vers ses voisins comme le Ghana, alors même que les deux pays n’autorisent l’exportation de fèves que par voie maritime. D’après les estimations des autorités ivoiriennes, sur une récolte de cacao de 1,47 million de tonnes en 2011/2012, un volume de cent cinquante-trois mille tonnes a été écoulé en contrebande. Ce stock représentait alors un manque à gagner d’environ quatre cents millions de dollars pour le segment d’exportation et soixante-seize millions de dollars de recettes fiscales pour le gouvernement.
Plus de 10% des récoltes écoulées en contrebande
Loin d’être l’apanage d’acteurs disparates, ce commerce est structuré au sein de réseaux pouvant s’étendre et mener des opérations à grande échelle. « La plus grande partie du cacao est convoyée dans des camions de capacité moyenne de cinq tonnes qui transitent dès la nuit tombante. Habituellement, les trafiquants envoient par avance des groupes de motocyclistes pour scruter l’horizon », souligne le rapport d’un groupe d’experts de l’ONU datant de 2013.
Du côté de la filière anacarde, les autorités ont estimé, en 2011, les pertes fiscales à trois millions de dollars et les recettes d’exportation de cent trente millions de dollars, pour un volume de cent cinquante mille tonnes ayant franchi illégalement les frontières.
Au-delà de l’aspect financier, la contrebande agricole biaise la mesure réelle des efforts déployés par les filières concernées et fausse la perception des investisseurs ou des autorités, de la performance effective de produits agricoles.
Les statistiques officielles de la filière de l'anacarde ghanéenne en 2016 en sont une parfaite illustration. Cette année-là, le pays annonçait des recettes de 244,5 millions de dollars grâce à l’exportation de cent soixante-trois mille tonnes de noix de cajou, alors même qu'il n’en produit que soixante-dix mille tonnes par an.
Pas de solution miracle
Si, comme toute activité illicite, la contrebande agricole se joue des règles établies, son essor est aussi lié à des insuffisances au niveau des politiques intérieures ou régionales. Sur le plan intérieur, le principal moteur reste le différentiel de prix qui règne souvent entre pays pour un même produit agricole.
A l’échelle régionale, la contrebande agricole est surtout liée à l’application de différents droits de douane entre pays membres d’une même zone économique. De nombreux analystes pointent du doigt la difficulté de la mise en œuvre effective du tarif extérieur commun dans l’émergence d’un segment d’importation-réexportation de produits agricoles.
Afin d’éradiquer le phénomène ou, à défaut, tenter d'en minimiser l'impact, certains pays de la région ont pris des mesures fortes. En mai 2018, la Côte d’Ivoire prenait une ordonnance interdisant l’achat, la vente, le stockage, l’écoulement ou la distribution sans agrément de produits comme le café, le cacao, l’hévéa, la noix de cajou et le coton.
Cette disposition prévoit une amende allant jusqu'à cinquante millions francs CFA, une peine d’emprisonnement de dix ans ainsi qu’une confiscation des produits et moyens employés dans la fraude.
De son côté, le Nigeria a fermé provisoirement, depuis le 20 août, plusieurs points de passage frontalier avec le Bénin, avec l’objectif affiché de lutter contre la contrebande de riz. Malgré ces dispositions, de nombreux observateurs soulignent que l’éradication risque d’être une longue marche tant les intérêts particuliers sont importants.
Au regard de la gravité du phénomène, certains parlent de la nécessité d’une coordination au plan régional. Cela pourrait passer par une meilleure harmonisation des prix et des mesures tarifaires entre pays, ainsi qu’un renforcement de la coopération et de l’efficacité dans le contrôle ainsi que la gestion des frontières.
Pour les experts, la lutte contre la contrebande agricole dans la région reste essentielle afin de récolter les fruits de l’intégration régionale et continentale, notamment à travers la Zone de libre-échange continentale africaine.