A l'échelle mondiale, ces études n’impliquent que 2% des Africains noirs contre plus de 78% d’Européens, ou de Nord-Américains blancs d’ascendance européenne. Une disparité qui a d’importantes conséquences scientifiques et médicales.
Tout a commencé en mars 2019 avec la parution dans la revue scientifique américaine Cell d’un article intitulé Le manque de diversité dans les études de génétique humaine.En clair : Alors qu’elles ne représentent que 16% des habitants de la planète, les populations blanches d’origine européenne, notamment nord -américaines, plus de 78% des catégories participant à ce type d’études, contre 2% de personnes noires d'origine africaine. "Ce parti pris (…) a d’importantes implications pour la prédiction du risque de maladies au niveau de la population mondiale", précise l’article de Cell.
De fait, ces études passent ainsi à côté d’éléments génétiques présents chez les populations d'origine africaine, mais absents chez celles d’origine européenne. Ce qui limite largement leur portée. Résultat : les tests génétiques sur le marché seraient quatre à cinq fois moins performants pour les individus africains et ceux d’autres origines. Cell rend compte d’une étude menée sur 6000 personnes, dans une communauté rurale du sud-ouest de l’Ouganda, par Deepti Gurdasani (Queen Mary University à Londres). Il en ressort que 29% des variantes génétiques découvertes au cours de cette étude n’étaient pas présentes dans les plus grandes bases de données recensant les séquences du génome humain.
Un oubli d’autant plus gênant que la diversité génétique est plus importante sur le continent africain qu’européen. "Deux individus d’une population africaine sont bien plus différents que deux individus issus d’une population européenne", explique la chercheuse à la revue NewScientist. Laquelle précise que "le niveau plus élevé de diversité génétique en Afrique offre aux chercheurs la possibilité de savoir si des variantes génétiques particulières sont associées avec des maladies particulières".
Taux de décès liés à l’asthme
"Africains et Européens diffèrent dans l’amplitude de leur réponse immunitaire, notamment pour certains gènes impliqués dans les réponses inflammatoire et antivirale. Ces différences sont en grande partie dues à des mutations génétiques, différemment distribuées entre Africains et Européens, qui modulent l’expression des gènes de l’immunité", précise de son côté le site de l’institut Pasteur. Le mode de traitement des données génétiques qui "zappe" les populations noires a des conséquences très concrètes.
"Les médecins savent depuis des décennies que les personnes d’origine africaine, portoricaine et mexicaine ont des taux de décès liés à l’asthme inhabituellement élevés. Mais l’on connaît depuis peu les probables raisons de ce phénomène : ces groupes sont généralement porteurs de variantes génétiques qui pourraient les rendre moins sensibles à l’albuterol, un médicament utilisé dans les inhalateurs", explique une enquête publiée sur le site de la tv américaine PBS. Une étude génétique croisant les données de différentes populations aurait pu faire le lien. Mais "plus de 90% des recherches faites dans le domaine pulmonaire l’ont été sur des populations d’ascendance européenne"…
Cette polarisation de la recherche pose ainsi de nombreux problèmes. Notamment pour l’efficacité de la médecine de pointe qui permet aux médecins "d’utiliser le patrimoine génétique unique de chaque patient pour personnaliser les traitements", observe PBS. On commence seulement à connaître l’importance des facteurs génétiques dans un nombre important de maladies : obésité, certains cancers, diabète de type 2, schizophrénie… "Mais dans l’état actuel de la recherche, ce sont seulement les personnes d’origine européenne qui (…) bénéficient le plus" des découvertes récentes.
"Les médicaments ne sont même pas fabriqués en pensant aux Africains, ils ne sont pas testés cliniquement auprès d’une population africaine, donc ce que vous avez, (ce sont) des médicaments moins efficaces pour les populations africaines et moins sûrs", explique de son côté Abasi Ene-Obong, fondateur et PDG de la start-up biotechnologique nigériane 54gene.
Il entend "africaniser" davantage la recherche génétique. La situation est d’autant plus compliquée qu’il faut "du temps pour que les nouveaux médicaments atteignent l’Afrique – parfois entre 15 et 20 ans", selon lui. Et d’ajouter : "Les géants pharmaceutiques fabriquent souvent des médicaments pour le rentable marché occidental, et les (...) génériques ne sont disponibles en Afrique qu'après que ces sociétés ont perdu leurs brevets. " Apparemment, il en va de même avec les études génétiques et leurs débouchés…