Nobel de la paix : l’Ethiopien Abiy Ahmed plaide pour l’union contre la haine

Mercredi, Décembre 11, 2019 - 12:15

« Pas de nous et eux » : le Premier ministre éthiopien a, en recevant sa distinction, le 10 décembre, à Stockholm, en Norvège, lancé un plaidoyer à propos à l’heure où son pays est déchiré par des violences ethniques et où ses efforts de réconciliation avec l’ex-frère ennemi érythréen piétinent.

Ahmed Abiy, 43 ans, s’est vu attribuer le Nobel de la paix pour la réconciliation qu’il a menée tambour battant avec l’Erythrée. Annoncé le 11 octobre, le prix récompense aussi ses tentatives de médiation dans une région tourmentée ainsi que ses réformes visant à démocratiser son pays, longtemps livré à l’autoritarisme. Après des progrès spectaculaires dans les mois ayant suivi son entrée en fonction en avril 2018, le vent a tourné : sa politique d’ouverture a offert la voie à une flambée de violences intercommunautaires en Ethiopie tandis que le processus de paix avec l’Erythrée semble à l’arrêt.

Dans le discours de remerciement qu’il a tenu, en costume sombre, dans les murs fleuris de l’Hôtel de ville d’Oslo, le plus jeune dirigeant d’Afrique s’est voulu rassembleur. « Il n’y a qu’un nous car nous sommes tous liés par un destin commun d’amour, de pardon et de réconciliation », a-t-il insisté sous le regard de la famille royale norvégienne. Le 9 juillet 2018, à l’issue d’une rencontre historique à Asmara, la capitale érythréenne, le chef du gouvernement éthiopien avait mis fin avec le président érythréen, Issaias Afeworki, à vingt ans d’état de guerre.

Ahmed Abyi a veillé à associer à sa récompense son « partenaire et camarade de paix » érythréen, le seul dirigeant que l’Erythrée ait connu depuis l’indépendance acquise en 1993. « Nous avions compris que nos nations ne sont pas ennemies mais que nous étions plutôt victimes d’un même ennemi qui s’appelle la pauvreté », a-t-il affirmé. Ancien soldat, il a aussi témoigné des ravages de la guerre, se rappelant comment son unité avait été anéantie par une attaque d’artillerie érythréenne à laquelle il avait échappé parce qu’il s’était momentanément éloigné pour trouver un meilleur signal radio. « La guerre est l’incarnation de l’enfer pour toutes les personnes impliquées », a-t-il dit.

Si l’accord de paix avec Asmara a été suivi de gestes de bonne volonté tels que la réouverture d’ambassades et de postes-frontières ou le rétablissement des liaisons aériennes, le processus de rapprochement connaît aujourd’hui des ratés.

Les frontières de nouveau fermées

Plusieurs postes-frontières importants sont de nouveau fermés et la question du tracé des frontières reste en suspens. « Ce travail semble être au point mort », a noté, d’ailleurs, la présidente du comité Nobel, Berit Reiss-Andersen, avant de remettre le prix. « Le comité Nobel norvégien espère que vos réalisations antérieures, conjuguées au surcroît d’encouragement que représente le prix de la paix, inciteront les parties à poursuivre la mise en œuvre des traités de paix », a-t-elle dit.

Les experts redoutent toutefois que Ahmed Abiy soit contraint d’accorder moins d’attention au processus de paix pour pouvoir se concentrer sur les élections « libres, justes et démocratiques » qu’il a promises pour mai. Une gageure vu la situation sécuritaire actuelle en Ethiopie.

Rompant avec l’autoritarisme de ses prédécesseurs, Ahmed Abiy a levé l’état d’urgence, libéré des milliers de prisonniers politiques, créé une commission de réconciliation nationale et levé l’interdiction pesant sur certains partis. Mais cet élan de démocratisation a favorisé l’affirmation des identités ethniques. Des manifestations anti-Abiy ont ainsi débouché en octobre sur des affrontements ethniques qui ont fait quatre-vingt-six morts. Dans son discours, le Premier ministre a fustigé « les prêcheurs de la haine et de la division » qui « font des ravages » au sein de la «société en utilisant les réseaux sociaux ».

Les festivités Nobel ont été assombries par son refus de s’exposer aux questions des médias: l’ex-chef d’un service d’espionnage a considérablement écourté le programme officiel et expurgé toutes les conférences de presse. « Hautement problématique », a jugé le directeur de l’Institut Nobel, Olav Njølstad. Ses services ont rétorqué qu’il était « assez difficile » pour un dirigeant en exercice de consacrer plusieurs jours à un tel événement, en particulier quand « les problèmes intérieurs sont urgents et requièrent l’attention ». Ils ont aussi invoqué son « humilité », selon eux, « guère compatible avec la nature très publique du prix Nobel ».

Le Nobel consiste en un diplôme, une médaille d’or et un chèque de neuf millions de couronnes suédoises (environ huit cent cinquante mille euros). Les autres prix (littérature, physique, chimie, médecine et économie) ont aussi été remis à Stockholm.

 

 

Nestor N'Gampoula et AFP
Notification: 
Non