Sahel : l’EI, ennemi prioritaire des forces nationales et internationales

Mercredi, Janvier 15, 2020 - 14:15

Si depuis le début du conflit les groupes basés au Mali et regroupés sous la bannière d’Al Qaïda constituaient la figure de proue du djihadisme sahélien, aujourd’hui, les chefs d’Etat de la région et les autorités françaises ne se trompent plus d’adversaire principal qui n’est autre que l’Etat islamique (EI). Le groupe tue par dizaines dans la zone et pose un redoutable défi aux armées régulières, à l’opération Barkhane et à la force onusienne.

Dans le but d’enrayer le mal à la racine, les dirigeants du G5 Sahel (Roch Marc Christian Kaboré du Burkina, Ibrahim Boubacar Keïta du Mali, Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani de la Mauritanie, Mahamadou Issoufou du Niger et Idriss Déby du Tchad) et le président français, Emmanuel Macron, ainsi que les armées de leurs pays, ont adopté de nouvelles stratégies. Ils l’ont dit ouvertement, le 13 janvier à Pau (Sud-ouest de la France), lors d’un sommet consacré à la lutte contre le terrorisme au Sahel.

Désormais, nous savons que l’« ennemi prioritaire », c’est l’EI, a assuré le chef de l’Etat français devant ses alliés sahéliens rassemblés à Pau. « La priorité, c’est l’Etat islamique du Grand Sahara » (EIGS), a-t-il insisté. Son homologue burkinabè a, quant à lui, écrit sur sa page Facebook : « L’Etat islamique pour le Grand Sahara (EIGS) se révèle notre principal ennemi, sur lequel nous devons davantage orienter notre lutte ». Il s’agit d’un groupe qui a été créé en 2015 par Adnane Abou Walid al-Sahraoui, ancien membre du Front Polisario, puis d’un groupe djihadiste, le Mujao, et qui a été reconnu par l’EI en 2016.

Pour Mahamoudou Savadogo, chercheur burkinabè au Carrefour d’études et de recherche d’action pour la démocratie et le développement, « il y a eu une importante montée en puissance de l’EIGS », depuis qu’il bénéficie du soutien du principal groupe terroriste. « Jusqu’en 2018, le groupe a travaillé à s’implanter dans la zone des trois frontières (Niger, Burkina Faso et Mali), à recruter et se financer. Et en 2019 ils étaient prêts », a-t-il confié. Selon la propagande islamiste, l’EIGS a été incorporé mi-2019 à la branche de l’EI en Afrique de l’Ouest (ISWAP), qui comprend également une faction dissidente du groupe Boko Haram au Nigeria.

De récentes attaques plus meurtrières perpétrées dans trois pays

Plusieurs attaques ont été perpétrées au Sahel et les plus meurtrières de ces derniers mois ont eu lieu dans la zone d’influence de l’EIGS, qui les a quasiment toutes revendiquées. Il s’agit notamment de celles menées dans un rayon de 200 km dans la région des trois frontières : le 9 janvier à Chinégodar (Niger, 89 soldats tués), fin décembre à Arbinda (Burkina, 42 morts, dont 35 civils), le 10 décembre à Inates (Niger, 71 soldats tués), et en novembre les combats à Tabankort (Mali, 43 soldats tués) et l’attaque d’Indelimane (Mali, 49 soldats tués).

« Les dernières attaques semblent montrer que le groupe a acquis des compétences en command and control (commandement et coordination) qu’il n’avait pas avant, avec des chefs de groupes capables de monter des attaques d’ampleur », s’inquiète une source militaire française.

La question qui revient sur presque toutes les lèvres dans les pays concernés c’est celle de savoir comment les groupes djihadistes réussissent-ils à exterminer les militaires dans les camps alors que leur mode opératoire reste le même partout. En effet, tout le monde sait que chaque fois que les insurgés s'engagent dans une attaque, ce sont des dizaines de motos qui foncent sur un camp militaire isolé, leur donnant la possibilité de détruire les moyens de communication et de pilonner au mortier, en tuant les soldats sur place, avant de s’échapper dans la brousse.

Selon un expert de sécurité à Bamako, qui a requis l’anonymat, le groupe - comme les autres au Sahel - emploie des « combattants de circonstance ». « Pour un combattant entraîné et radicalisé, il y a deux ou trois alliés embauchés pour l’attaque seulement », détaille-t-il.

Le noyau dur du groupe terroriste qui attaque un camp donné ne dépasserait pas « 200 à 300 personnes », selon des fins connaisseurs du contexte. « Ils font appel aux braconniers, aux criminels, aux trafiquants », explique l’un deux, en invoquant leur parfaite connaissance du terrain.

Matteo Puxton, analyste indépendant qui s’exprime sous un pseudonyme après avoir été menacé, assure que le groupe reçoit souvent un appui technique de l’ISWAP. « La maison mère de l’EI a pris les rênes de l’EIGS. Cela se voit dans la propagande, dans la technicité », estime-t-il, ajoutant : « Ce n’est plus le niveau des attaques de l’EIGS en 2015, il y a une sophistication des opérations et, pour la première fois dans la propagande, il y a des vidéos longues montées par l’appareil central de propagande de l’EI ».

 

 

Nestor N'Gampoula
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