Interview. Siska Genbrugge : « J’évite de restaurer un objet quand ce n’est pas nécessaire »

Mercredi, Janvier 29, 2020 - 16:11

Plutôt partisane de la préservation et de la conservation préventive, la coordinatrice de la restauration de l’AfricaMuseum est très à cheval sur les principes de son métier. D’autre part, la restauration n’étant pas une science stricte, elle s’efforce donc de trouver la juste mesure. Dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa, elle propose une immersion dans une profession qui exige de la délicatesse au quotidien et dont elle cherche à éclaircir les zones d’ombres privilégiant le partage d’expérience avec ses homologues congolais de l’Académie des beaux-arts, en partenariat avec l’Institut des musées nationaux du Congo (IMNC).

 Siska Genbrugge, coordinatrice restauration de l’AfricaMuseum (Adiac)Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Pourriez-vous nous aider à vous présenter à nos lecteurs  ?

Siska Genbrugge (S.G.) : Je suis Siska Genbrugge, restauratrice à la tête de la cellule de restauration et conservation du Musée royal d’Afrique centrale (MRAC). J’y suis depuis cinq ans maintenant, j’ai commencé alors qu’il était en pleine rénovation. J’ai longuement travaillé sur la rénovation jusqu’à la réouverture et depuis je m’occupe des dépôts, des réserves et de la conservation des objets ethnographiques et historiques des réserves.

L.C.K. : Lorsque le MRAC est sollicité pour un prêt d’objets pour une exposition extérieure, sur quelles bases votre avis est-il favorable ou non  ?

S.G. : Nous voyons si l’objet est assez stable physiquement pour être montré dans une exposition. C’est en cela que consiste notre travail. Lorsque nous donnons notre avis, il nous arrive de dire non. Un objet ne peut pas voyager lorsqu’il est trop fragile. C’est le cas notamment des peintures à la gouache ou à l’aquarelle qui sont très sensibles à la lumière. S’ils ont déjà été exposés pendant longtemps, nous ne pouvons plus les exposer, tout ce que l’on peut faire, c’est un fac-similé. Nous scannons et nous imprimons des copies des peintures que nous montrons à la place des originaux. C’est une option que nous prenons parfois pour préserver nos objets. Par exemple, pour l’exposition permanente du musée, plusieurs des documents en papier sont des copies. Les originaux sont gardés dans les dépôts et nous exposons des copies de haute qualité de sorte que l’on ne voit presque pas la différence entre l’original et la copie.

L.C.K. : Comment avez-vous contribué à fournir les œuvres destinées au réaménagement des salles pour la rénovation du musée  ?

S.G. : Nous avons reçu des listes d’objet dont les scientifiques avaient besoin. Nous les avons pris dans les réserves et leur avons montré tous ceux qu’ils avaient choisis. Nous avons décidé de les exposer ou non en raison de la stabilité. Je n’ai rien à voir avec l’histoire ou le contenu de l’exposition, tout ce qui m’intéresse, c’est l‘aspect matériel. La protection de l’objet vient avant tout. Si un objet demandé ne peut pas être exposé parce qu’il est composé par exemple de perles de verre et qu’elles se cassent très vite, ne sont pas stables, alors on lève une autre option, nous proposons un autre objet à la place en fonction de ce que nous avons dans les réserves. Je peux alors faire une proposition sachant qu’il y a cinq autres objets similaires à celui demandé, l’un deux peut être un substitut. Mais il peut arriver des cas d’exception eu égard à l’histoire : un tel objet, acheté par untel, il ne peut donc pas être remplacé par un autre. Ainsi, nous travaillons toujours en concertation avec le scientifique ou le muséologue qui fait connaître ses exigences, ce qu’il veut exposer. Ils sont toujours tenus de passer par nous, il peut avoir une liste de ce qu’il veut mais il peut arriver que ce ne soit pas possible de lui donner un objet parce qu’il n’est pas en bon état ou trop fragile. Mais il y a ceux que l’on peut restaurer. Dans ce cas, je demande que l’on m’accorde du temps pour la restauration.

L.C.K. : Dans quel cas est-il indiqué de prendre le risque de restaurer les objets  ? Siska Genbrugge dans un atelier de restauration au sein de l’AfricaMuseum (Adiac)

S.G. : Il est parfois possible de restaurer quand les dégâts ne sont pas énormes. Je respecte le code éthique de ma profession, l’Icom-CC (Conseil international des musées, comité pour la conservation). Il y a aussi un code pour les cultures, indigenous culture, un groupe de l’Icom-CC spécialisé dans les cultures ethnographiques. Ce qui nous donne l’occasion, entre homologues travaillant dans les mêmes types de musées et possédant les mêmes types de collection d’échanger à propos des restaurations. Nous avons beaucoup d’articles qui renseignent, par exemple sur ce qu’il convient d’utiliser comme objets, notamment dans le cas des objets rituels. Faut-il les enlever parce qu’ils ne sont pas jolis ou plutôt les laisser parce qu’ils ont une signification et sont d’usage dans un type de rituel donné. Nous avons beaucoup de discussions de ce genre entre collègues du domaine de la restauration des objets des cultures du monde. Par ailleurs, notre cas est unique parce qu’il n’y a pas beaucoup de musées avec une collection d’objets d’Afrique centrale si vaste et immense. La restauration n’est pas une science stricte, il faut trouver la juste mesure. Lorsqu’une décision est prise de poser un acte, c’est parfois irréversible. La restauration peut avoir de graves conséquences pour l’objet. C’est ainsi que je n’aime pas trop restaurer, j’évite de le faire quand ce n’est pas nécessaire.

L.C.K. : Quelles sont les questions persistantes qui vous viennent à l’esprit dans la pratique de votre métier  ?

S.G. : Savoir pourquoi et pour qui nous faisons la préservation, la conservation ? Est-ce pour tout le monde, les Congolais ou les peuples de cette culture ? Pour qui est-ce que tout ce travail est-il fait ? Va-t-on les exposer dans les vitrines ? C’est ainsi que nous pouvons les préserver, mais est-ce là le but de les préserver de la sorte, même si nous n’avons pas d’informations suffisantes ? Ce sont des questions très difficiles… Et finalement, ces questions peuvent être étendues. Pourquoi créer un musée ? Pourquoi exposer des objets, les mettre dans une vitrine ? Pourquoi gardons-nous tous ces matériaux dans des dépôts obscurs sans lumière ? Voulons-nous qu’ils demeurent pour les générations futures ? Est-il nécessaire de les garder ? Ce sont de grandes questions pour lesquelles je n’ai pas de réponses mais auxquelles nous faisons souvent face dans la pratique de la restauration. Par ailleurs, il y a beaucoup de changements dans la muséologie, la manière d’exposer les objets. Il faut aussi considérer l’aspect du public, la manière dont il est impliqué, les artistes aussi. Nous recevons des artistes dans les réserves dans le cadre du projet artistes en résidence alors que nous ne devons pas le faire pour bien préserver les objets.

 Une séance de travail dans l’atelier de restauration (Adiac)L.C.K. : Outre les règles d’usage qui changent, quel serait un autre changement majeur dans les pratiques qui posent des problèmes ?

S.G. : Nous avons aussi des problèmes avec les pesticides qui étaient utilisés pour protéger les objets dans le passé. Des résidus demeurent encore sur les objets et cela cause des soucis lorsqu’il faut restituer les objets dans leur culture. J’en parle en référence à un cas observé en Amérique. Des masques avaient été traités avec des pesticides dans les années 1920 et vers les années 1990, le gouvernement a plus tard décidé de les restituer en Amérique latine, aux Indiens. Ils devaient servir à des rituels mais les masques contenaient des pesticides et ne pouvaient plus être portés. Alors que faire face à ce type de problème ? Ce n’était pas possible de faire autrement car, même en nettoyant, il reste toujours des résidus de pesticides. Par ailleurs, en travaillant dans les dépôts huit heures par jour, l’on ne connaît pas la nature de tous les produits utilisés, il n’y avait pas que les pesticides. Parmi ceux utilisé pour les masques par exemple, il y a des pigments toxiques. Il faut toujours faire attention à l’atmosphère et à ce que l’on touche.

L.C.K. : Comment entrevoyez-vous la restitution au niveau de votre service  ?

S.G. : C’est un sujet très difficile mais en ce qui concerne les objets, je ne vois pas de grands problèmes. Il faudrait qu’ils soient stables et que leur environnement aussi le soit. Pour moi, il suffit d’avoir des espaces adéquats qui puissent accueillir les objets. Il faut un bon fonctionnement du système d’enregistrement des objets de sorte à éviter les vols. Ces différents paramètres d’accueil indispensables doivent être pris en compte. Une fois qu’ils sont mis en place, je crois que c’est possible de le faire. Je crois qu’il serait bon de commencer par des tests. Organiser des expositions assez longues qui permettent d’évaluer cette possibilité parce que du point de vue logistique, c’est un travail immense. Notre système d’enregistrement a fait ses preuves, nous avons une logistique assez rôdée grâce à des années d’expérience, nous avons une façon de faire. Pour le moment, les objets sont en notre possession mais si cela change, celui qui en prendra la propriété pourra le gérer à sa manière, en faire ce qu’il voudra. Ce ne sera pas à moi de lui dicter la manière de s’y prendre, la responsabilité lui incombera d’y veiller à sa guise. Seulement, j’estime que c’est important d’assurer la conservation des objets, l’Académie des beaux-arts a un département qui s’occupe de la conservation et restauration. Les étudiants doivent y être formés à conserver et restaurer les objets comme cela se fait partout dans le monde. Ainsi, l’on peut espérer que si des objets sont renvoyés au Congo, à l’IMNC, ils pourront être bien conservés. Car, une fois qu’ils passent de Tervuren à l’IMNC, ce sera à lui d’en prendre la responsabilité sinon on tomberait dans le piège d’imposer nos règles. 

Propos recueillis par

Nioni Masela
Légendes et crédits photo : 
Photo 1 : Siska Genbrugge, coordinatrice restauration de l’AfricaMuseum (Adiac) Photo 2 : Siska Genbrugge en plein travail dans un atelier de restauration au sein de l’AfricaMuseum (Adiac) Photo 3 :Ambiance d'une séance de travail dans l’atelier de restauration (Adiac)
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