Dialogue Bamako-djihadistes : l’initiative divise les Maliens

Lundi, Mars 2, 2020 - 18:30

Alors que la situation empire dans certaines régions du fait notamment des attaques terroristes qui s’y poursuivent, causant un nombre exponentiel de morts, les autorités ont jugé opportun de prendre langue avec les auteurs des violences. Une démarche perçue par le pouvoir comme une continuité des conclusions du dialogue national inclusif de 2017 tandis que les insurgés se disent opposés à toutes négociations. Faut-il, dans ces conditions, croire aux discussions annoncées ?

Selon les autorités, les négociations doivent être engagées principalement avec deux chefs djihadistes, Iyad ag Ghaly du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, lié à Al-Qaïda) et Amadou Koufa de la Katiba Macina, voire avec Abou Walid al-Sahraoui de l’Etat islamique dans le Grand Sahara, pour permettre au Mali et au Sahel de renouer avec la paix. C’est pour cela qu’en réponse à ceux qui pensent qu’on ne peut appeler à la mobilisation contre le terrorisme tout en se disant prêt à parler avec les terroristes, le président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, a dit que dialoguer avec les insurgés est tout à fait normal puisqu’il s’agira de créer des conditions qui s’imposent pour sortir le pays de la situation sécuritaire critique dans laquelle il se trouve.

« Ce n’est pas du tout antinomique, je crois que, quelle que soit l’âpreté d’un combat (…), j’ai un devoir aujourd’hui et la mission de créer tous les espaces possibles et de tout faire pour que, par un biais ou un autre, on puisse parvenir à quelque apaisement que ce soit. Parce que le nombre aujourd’hui de morts au Sahel devient exponentiel. Et je crois qu’il est temps que certaines voies soient explorées », a-t-il confié le 10 février à la presse.

Assurant que la démarche enclenchée n’est pas une « lubie » de sa part puisqu’une conférence d’entente nationale avait demandé un tel dialogue, le chef de l’Etat malien assure que des pourparlers seront irréversibles pour ramener la paix dans le pays, même si des partisans du pouvoir et d’autres citoyens s’en sont opposés. Ce qui préside à la tenue de ces discussions, étant selon lui, le fait que ces derniers mois, la région du Sahel vit « une sorte d’aguerrissement des forces adverses », avec des attaques lancées régulièrement par des éléments venus du Proche-Orient, de la Syrie, et de l’Irak d’où ils ont été chassés, contre les positions des armées régulières et les civiles malgré la présence des forces internationales (Mission de l’ONU au Mali, force française Barkhane).

Dioncounda Traoré nommé négociateur du pouvoir

Tenant compte de la nécessité d’aller coûte que coûte au dialogue, le pouvoir a d’ores et déjà nommé un négociateur en la personne de l’ancien président malien, Dioncounda Traoré. En sa qualité de représentant d’Ibrahim Boubacar, il aura pour mission d’écouter toute personne qui « peut être sensible à un discours de raison », selon le chef de l’Etat malien. Cet émissaire doit, entre autres, mandater des chefs religieux pour tenter de discuter avec les djihadistes, en vue de conclure un cessez-le-feu et d’atténuer les violences contre les militaires et les civils.

Malgré la détermination des autorités, des voix divergentes s’élèvent sur le projet de dialogue de la présidence : l’idée est soutenue par les partisans du régime, tandis qu’elle est contestée par certains citoyens et autres formations politiques dont le parti Yelema, qui ne croit pas en la pertinence d’une telle démarche. Quant aux chefs djihadistes, ils semblent être réticents, alors que des analystes s’interrogent sur le genre de compromis que Bamako entend faire.

« Ce sont des Maliens… Je ne dis pas que ce qu’ils ont eu comme attitude vis-à-vis du Mali est tolérable. Je pense que les conditions de leur réconciliation vont être définies. Il y a des lignes rouges qu’il ne faut pas franchir. La partition du Mali, la République, le territoire du Mali, la laïcité, les principes républicains… Ce sont des lignes rouges que le président n’acceptera jamais de franchir », pense Me Baber Gano, secrétaire général du Rassemblement pour le Mali, parti de l’actuel chef de l’Etat.

Lors d’une audition devant le Sénat français la semaine dernière, l’ambassadeur du Mali en France, Toumani Djimé Diallo, est revenu sur des « lignes rouges » dans les négociations envisagées par le président malien. « On va vers le dialogue, tout simplement pour exploiter toutes les possibilités qui existent », mais « il y aura des lignes rouges », a assuré le diplomate, interrogé sur le sujet par la commission Défense du Sénat, allusion faite à la charia, l’intégrité territoriale, à la situation des femmes.

 A Bamako, Moussa Mara, le président de Yelema se dit, quant à lui, très réservé en ce qui concerne la démarche des autorités maliennes. « Ceux qui sont à la base de ces attaques, je ne suis pas sûr qu’ils aient l’intention de discuter avec qui que ce soit, puisque les attaques continuent régulièrement. Ensuite, (…) s’ils ont l’intention de discuter, est-ce que les termes de discussion seront compatibles avec le Mali que nous connaissons tous ? », argumente-t-il, en citant l’instauration de la charia, du Califat, la non prise en compte de la Constitution, et le rejet d’un Etat multiconfessionnel.

Quelles concessions feront les parties au dialogue ?

« Et, quand vous regardez le terrain aujourd’hui, les groupes terroristes qui semblent être les plus forts, ne sont pas forcément ceux avec lesquels on veut discuter : l’Etat islamique au Sahara, aujourd’hui, semble être sur le terrain plus fort que le Groupe de soutien aux musulmans et à l’islam. Toutes les attaques des trois frontières, c’est l’Etat islamique. Nous semblons nous focaliser sur Iyad Ag Ghali et Amadou Koufa qui sont des Maliens, mais sur le terrain, ce n’est plus Iyad et Koufa qui sont les seuls acteurs ou les patrons », poursuit-il.

Dans sa réaction, le Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) souligne que la proposition faite par le président est « une fuite en avant » parce que le concept de « réconciliation nationale » initié par l’Algérie ne saurait être appliqué au contexte malien. Même réaction à la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA), alliance des organisations touarègues du Mali, où l’on ne veut rien entendre sur le projet du dialogue. Les terroristes n’accepteront pas le « deal » du président Ibrahim Boubacar Keïta, qui « va à l’encontre de l’engagement de la France et des États-Unis dans le Sahel », prévient Hama Ag Sid’Ahmed, conseiller spécial chargé des affaires politiques auprès du secrétaire général du MNLA-CMA. « Le gouvernement malien laisse traîner les choses pour ne pas faire la paix, il crée une diversion pour retarder l’application de l’Accord d’Alger de juin 2015 », affirme-t-il. 

Quant à Jean-Hervé Jezéquel de l’International Crisis Group, il relève que « toute la question est de savoir quelles concessions » les uns et les autres vont faire au cours des discussions.  « A court terme, il n’y a pas grand-chose à attendre de ce dialogue désormais assumé par l’Etat. En revanche, à plus long terme, il pourrait déboucher sur des négociations plus ambitieuses politiquement, voire sur des accords pouvant amener une résolution durable de la crise », soutient-il.

Malgré ces prises de position, l’Union africaine a décidé d’apporter son soutien au président malien au sujet de son initiative sur les pourparlers avec les chefs djihadistes, selon Pierre Buyoya, haut représentant de l’organisation panafricaine pour le Mali et le Sahel. Hors d’Afrique, la France, principal partenaire dans la lutte contre le terrorisme au Mali et dans le Sahel ne soutient nullement l’initiative d’IBK, mais elle n’a pas non plus exprimé une quelconque opposition. « C’est de la responsabilité des Maliens de faire en sorte qu’un débat inclusif ait lieu », déclarait le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, le 25 février, lors d’une conférence de presse en marge du sixième sommet du G5 Sahel et de l’assemblée générale de l’Alliance Sahel à Nouakchott en Mauritanie.

 

 

Nestor N'Gampoula
Légendes et crédits photo : 
1- Le président malien Ibrahim Boubacar Keïta 2- Amadou Koufa et Iyad ag Ghaly
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