Très peu connu du public sportif congolais, Raymond Lokuli Ilombe a fait une carrière exemplaire en D2 en France à la fin des années 1980, lorsque les ex-Zaïrois se faisaient rares dans le football français. Installé en France depuis plus de deux décennies et oeuvrant dans le domaine hospitalier, il a accepté d’accorder un entretien exclusif au Courrier de Kinshasa en cette période de confinement à cause de la pandémie du Covid-19.
Courrier de Kinshasa : Voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Raymond Lokuli Ilombe : Je m’appelle Lokuli Ilombe Raymond, né le 28 avril 1971 à Kinshasa. Je suis marié et père de trois filles. J’habite à Amiens en France.
CK: Parlez-nous brièvement de votre carrière de footballeur ?
RLI : J’ai commencé le football dans la commune de Kintambo à Kinshasa. Ensuite, j’ai intégré l’US Kintambo, un club du quartier dirigé à l’époque par mon mentor, feu commissaire de zone (aujourd’hui bourgmestre de commune) Kale Bakolota, et son grand frère, le grand secrétaire sportif de Kalamu (ancien club de football) Ado Kale. Ce sont eux qui m’ont amené dans un club professionnel de D3 en Belgique, Rita Berlaar. La première moitié de la saison s’est bien passée, j’ai inscrit onze buts en vingt-deux journées. La deuxième moitié de saison a été très compliquée à cause des problèmes de papiers. J’ai été obligé de quitter la Belgique pour la France en 1987, pour faire un essai au Nîmes Olympique en D2 française, avant d’être recruté grâce à ma pointe de vitesse. Au bout d’une année, je n’avais pas beaucoup joué, je suis parti à Tours en D3. Et là, j’ai trouvé du temps de jeu, on a réussi à accéder en D2 et la machine était en marche. Après cinq saisons en Touraine, le club a déposé le bilan. Et moi, j’avais deux blessures aux genoux, ligaments croisés. Je me suis remis, et je suis parti à Amiens en D3 qui est monté en D2 la saison suivante. J’ai joué jusqu’en 2008, contraint d’arrêter ma carrière à cause de blessures aux genoux.
CK : Qu’est-ce que vous pouvez ajouter par rapport à votre carrière de footballeur en France ?
RLI : C’était un rêve de jouer en Europe, c’était avec beaucoup de difficultés, parce que j’étais tout seul, sans famille, mais avec uniquement la volonté de réussir et la motivation. J’ai été impressionné par les bonnes conditions, des terrains magnifiques de football, des clubs professionnels de qualité. J’étais sur une autre planète par rapport au football au pays, et la réussite de ma carrière ne dépendait que de moi.
CK : N’avez-vous pas eu des coéquipiers congolais à Tours ou à Amiens ?
RLI : Non. A Tours, j’ai plutôt joué avec un Béninois, Jimmy Adjovi-Boco (ndlr : actuel directeur général de l’Association Diambars dont il est cofondateur avec Patrick Vieira et Bernard Lama, une école de formation aux métiers de football installée au départ au Sénégal avant de s’étendre en Afrique du Sud, en France, au Québec et en Martinique). J’ai aussi joué avec le « grand » José Touré à Amiens, ainsi qu’à avec trois Ivoiriens, mais pas de Congolais.
CK : Vous n’êtes apparemment pas resté dans le milieu de football à la fin de votre carrière ?
RLI : Non, je ne suis pas resté dans le football, parce que c’était vraiment compliqué de trouver un club après avoir eu des diplômes pour entraîner. Mais je ne suis pas allé plus loin, parce qu'avoir des diplômes à l’époque était très compliqué.
CK : Par rapport aux années 90, pensez-vous qu’il y a eu évolution du football en France ?
RLI : Oui, le football a beaucoup évolué en France, surtout financièrement. Et les clubs font beaucoup confiance aux jeunes talents africains. Le niveau du football dans l’Hexagone est bien plus haut qu’à l’époque.
CK : L’idée d’une carrière dans les Léopards ne vous a jamais traversé l’esprit ?
LRI : Oui, Santos Muitubile est venu me voir jouer à Amiens, il m’a porté chance ce jour-là, j’ai marqué deux buts, avec à la clé une victoire d’Amiens. J’ai été sélectionné pour un match contre le Cameroun à Douala, match perdu par zéro but à un. Ce fut une belle expérience pour moi.
CK : Que pensez-vous des Léopards binationaux nés à l’étranger ?
LRI : Je suis très content et fier de voir beaucoup de jeunes congolais choisir la RD-Congo pour une carrière internationale. Si le gouvernement congolais fait montre d’une politique efficace à ce sujet, avec des joueurs binationaux dont on peut avoir, on peut faire quelque chose. Il faut mettre des moyens pour des stages fréquents et jouer des matchs de date Fifa. Ce serait idéal. L’ancien sélectionneur des Léopards, Florent Ibenge, que je salue a beaucoup œuvré dans ce sens-là, la RDC a été active lors des périodes de répétition Fifa. Et ces matchs permettent à ces jeunes de faire leurs premiers pas avec la sélection. En plus, beaucoup parmi ces jeunes ont compris qu’ils sont bloqués avec des sélections comme la France, la Belgique, l’Angleterre, les Pays-Bas alors qu’ils peuvent avoir une carrière internationale bien remplie avec la RD-Congo.
CK : Avez-vous déjà rencontré les Congolais d’Amiens, Gaël Kakuta et Chadrac Akolo ?
LRI : Non. Je ne vais pas souvent au stade. Mon travail à l’hôpital ne permet pas, mais j’ai des amis qui les connaissent très bien.
CK : Un commentaire sur la situation du football en RD Congo ?
LRI: Au pays, mis à part V.Club, Mazembe, Daring Club Motema Pembe, il n’y a presque rien derrière. Les clubs de football manquent de moyens. V.Club a vendu presque tous ses meilleurs joueurs ! Et la Ligue nationale de football (Linafoot) donne au vainqueur du championnat national cent mille dollars américains, pour quoi faire avec ? Les déplacements d’un club pendant toute la saison déjà coûtent bien plus cher que cette donation de la Linafoot. Voilà le vrai problème du football congolais : les moyens nécessaires pour son développement ; même si l’on peut avoir un bon niveau continental, mais la problématique des moyens financiers et de l’infrastructure sportive est très cruciale et maintient notre sport, le football dans le cas d’espèce, dans l’abîme.
CK : Lors des deux premières journées des éliminatoires de la CAN, les Léopards, conduits par le sélectionneur Christian N’sengi Biembe, ont fait jeu égal avec les Panthères du Gabon à Kinshasa et les Scorpions de la Gambie à Banjul. Votre commentaire sur l’entame des Léopards
LRI: Je trouve que la RD-Congo a raté son entrée aux éliminatoires de la CAN. Commencer par un match nul à domicile n’est pas vraiment bon. On gagne à domicile, et on cherche un match nul ou une éventuelle victoire à l’extérieur. Cependant, les Léopards conservent encore leurs chances de se qualifier.
CK : Que dites-vous de l'arrêt du sport mondial causé par la pandémie du coronavirus.
LRI : Cette pandémie est atroce. Je travaille dans un hôpital, et je vois des morts chaque jour. Pour le football, ça va être compliqué de reprendre et de jouer tous les trois jours pour rattraper les temps perdus. Et il faut une préparation avant de reprendre des matchs, et les équipes qui étaient dynamiques vont avoir du mal.
CK : Des projets sportifs à initier en RD Congo ?
LRI : Oui, j’ai eu beaucoup de projets en RD-Congo, avoir un club de football et s’occuper de la jeunesse, mais ce fut encore compliqué. Il y a un club que j’ai voulu acheter en division inférieure de l’entente de football de Lukunga à Kinshasa. Le club s’appeler Corinthiens. J’ai emmené du matériel sportif (ballons, chaussures de football, maillots, survêtements et consorts). Mais quand tu viens de l’Europe, on te considère comme une vache à lait. J’ai préféré arrêter. Mais on est sur un autre projet de mon club formateur, l’US Kintambo, pour le remettre sur le rail du football au pays. Il y a beaucoup de projets à initier au pays, mais il n'y a pas de personnes fiables avec lesquelles mener ces projets à leur réalisation.
CK: Avez-vous un sujet qui vous tient à cœur ?
Les stades en RD-Congo ! Les championnats se jouent sur des champs de patates, des terrains sans traçage, sans limites ! Ce n’est pas normal qu’une nation de football comme la RD-Congo n’ait pas des stades aux normes internationales ! Mais où va cette nation ? Avec tout l’argent et les richesses qu’elle possède, on a des stades délabrés qui n’abritent que des concerts musicaux, des réunions d’églises et des meetings politiques. Le pays n’a pas de terrain de basket-ball, de hand-ball, pas de salles de sports ! Et comment peut-on parler du développement des sports dans ce contexte-là ? C’est très triste. Merci de m’avoir accordé la parole. C’était un plaisir de partager ce moment.