Football: Bruce Abdoulaye ouvre la boîte à souvenirs

Jeudi, Avril 16, 2020 - 16:05

Ancien Diable rouge, défenseur aguerri à la Ligue 2 française, Bruce Abdoulaye s'est prêté au jeu des souvenirs d'une carrière longue de seize saisons. Et se poursuit désormais sur le banc de la sélection A' centrafricaine. 

Les Dépêches de Brazzaville : Bruce, merci d’ouvrir avec nous la boîte à souvenirs, en ce jour particulier du 15 avril qui est ton anniversaire (ndlr : ses 38 ans).

Bruce Abdoulaye : C’est tout normal, Les Dépêches de Brazzaville et toi, Camille, vous avez été des témoins et des relais de ma carrière. C’est normal de les évoquer ensemble.

LDB : Alors commençons : ton premier match en pro ?

B.A : C’était avec Grenoble contre Sedan, 0-0 en décembre 2003 au poste de latéral droit dans un système à cinq. J’ai été appelé le mercredi pour participer à une opposition, j’ai refait un entraînement le jeudi et le vendredi, le coach donnait l’équipe et m’appelait en me donnant le numéro 33.

LDB : Te souviens-tu du premier cadeau que tu offres à tes parents comme joueur de football ?

B.A : Oui, bien sûr. En fin de saison 2002-2003, on fait quelques bons résultats qui assurent le maintien, donc le président triple la prime. Comme mon contrat, un contrat Espoir, n’est pas encore signé, il m’avait fait fiche de paye normale et une sorte de défraiement avec huit ou neuf mille euros. Et j’ai tout donné à mes parents.

LDB : Ton premier transfert ?

B.A : En fait, je suis toujours allé au bout de mes contrats. A Clermont, il y avait eu des grosses discussions pour que j’aille en Angleterre. C’était en 2008, avec des grosses sommes annoncées, aux alentours de 900 000 euros, mais ça ne s'était pas fait finalement.

LDB : Est-ce que c’est ton plus gros regret ?

B.A : Oui, sportivement et financièrement, c’était une grosse opportunité. J’avais 26 ans, je sortais d’une saison pleine, c’était le bon moment sportivement. Mais ma femme, originaire de Clermont, était enceinte, je n’ai pas voulu la déstabiliser. Le club me bloquait et je n’ai pas fait le forcing.

LDB : Quel était ce club anglais ?

B.A : Wolverhampton (ndlr : à l’époque, le club ambitionnait la montée en Premier League et sera champion de D2 la saison suivante).

LDB : Malgré cette déception, Clermont Foot ne représente-t-il pas ta plus belle période de footballeur ?

B.A : Si, ça a été une période importante pour moi, comme homme et comme joueur : j’y ai rencontré ma femme, la mère de mes enfants, j’y suis devenu un homme en construisant une famille. Et j’y ai joué six saisons, en accompagnant le club dans sa progression et j’ai participé à ce qu’il est aujourd’hui: une valeur sûre de L2 (ndlr : 139 matches entre 2006 et 2011 avec le club auvergnat).

LDB : Tu as été un défenseur polyvalent, capable de jouer latéral sur les deux côtés et dans l’axe. FInalement quel était ton poste préféré ?

B.A : En défense centrale, j’ai eu de très bonnes sensations. L’année du titre de National (2006-2007), Didier Ollé-Nicolle m’avait fait jouer dans l’axe parce qu’on avait souvent le même profil d’attaquants face à nous : des grands costauds. Puis plus tard, Michel Der Zakarian m’a remis dans l’axe avec Medhi Benatia puis avec Madouni et Damien Perrinelle. Et bien sûr en équipe nationale.

LDB : Tu viens de citer deux entraîneurs. Quels techniciens t’ont marqué au cours de ta carrière ?

B. A : En club, je retiens trois entraîneurs : Didier Ollé-Nicolle, qui était très dur et très juste. Il m’a appris ce qu’était le métier de footballeur professionnel avec les exigences que cela comportait. Michel Der Zakarian, qui était humainement très dur mais était un bon technicien. J’ai aussi beaucoup apprécié mon entraîneur à l’Inter Bakou : le Géorgien Kakhaber Tskhadadze. En sélection nationale, il y a eu celui qui m’a donné envie de devenir entraîneur : Ivica Todorov. Humainement et sportivement, il est le meilleur que j’ai connu.

B.A : Son nom revient souvent dans les discussions avec les joueurs de ta génération et on sent à chaque fois beaucoup d’admiration mais aussi la frustration d’une histoire qui n’est pas allée au bout…

LDB : Oui. Je pense qu’on ne lui a pas laissé le temps à l’époque. A son arrivée, le chantier était considérable et il a su créer un groupe avec certains anciens, comme Guié Mien, relancer un gardien comme Barel Mouko, pour encadrer des talents en devenir comme Delvin Ndinga, Prince Oniangué et Ladislas Douniama. Quand je parle de lui, j’ai envie de parler d’un papa. Il savait nous sentir, il savait quand un joueur allait bien ou pas, il savait nous parler. Et il avait cette force des « yougos » (ndlr : yougoslaves) de pouvoir pourrir un joueur quand il le fallait, mais aussi le prendre dans ses bras et lui dire « je t’aime ». Au-delà d’être un grand coach, c’est un grand homme qui a marqué notre génération.

LDB : Restons sur l’équipe nationale que tu as côtoyée pendant plus de six ans (2006-2012). Te souviens-tu de ta première sélection ?

B.A : Bien sûr. Première sélection et premier but en octobre 2006, face au Tchad. J’ouvre le score, puis Chris Malonga, qui faisait aussi ses débuts, marque le deuxième. Je ne me souviens plus du troisième buteur (ndlr : Ondama marque le 3-0, lors de la 2e journée des éliminatoires de la CAN 2008).

LDB : Et ton plus grand souvenir ?

B.A : Notre victoire contre le Mali en 2008 (ndlr : 7 septembre, éliminatoires CAN/CM 2010) avec un but dans les dernières minutes de Willy Endzanga. J’ai cru que le pays allait se retourner, c’était énorme. C’était la grosse équipe du Mali, qui nous avait battu 2-4 à l’aller à Bamako, la génération des Seydou Keita, Djila Diarra, Momo Sissoko, Fred Kanouté. Ma plus grosse émotion…

LDB : Et la plus mauvaise ?

B.A : le match suivant, que je n’avais pas joué, car j’avais pris un carton jaune contre le Mali. Un nul à Khartoum nous aurait permis d’aller à la CAN 2010. J’étais devant la télévision, le scénario, on s’en souvient tous. Franchement, les larmes ont coulé. J’étais déçu pour le public, pour le groupe, pour le coach Todorov. Mais aussi pour le Ministre Odzoki qui, en quelques mois, avait tout fait pour que cette équipe puisse être compétitive. Il était abattu par cette imposture, comme nous tous. Il y avait une belle synergie autour de l’équipe et cette élimination a coupé l’élan. La suite a été compliquée pendant quelques années.

LDB : Tu souviens-tu ton dernier match en pro ?

B.A : Oui, très bien. Il y a presque trois ans : Strasbourg-Bourg-Péronnas. Le match de la montée pour les Alsaciens, nous on avait déjà acquis le maintien. Je joue avec le brassard devant près de 30 000 spectateurs à La Meinau. Une belle fin…

LDB : La fin d’un chapitre, mais pas du livre, puisque tu as directement enchaîné par une carrière d’entraîneur, à Louhans-Cuiseaux et désormais avec la Centrafrique.

B.A : Très tôt, j’ai préparé ma reconversion en passant les diplômes lorsque j’étais joueur. J’ai arrêté de jouer il y a trois ans, mais ça fait déjà sept ans que j’entraîne.

LDB : Pour revivre des émotions aussi fortes que celles que tu as connues comme joueur, faudra-t-il que tu entraînes les Diables rouges un jour ?

B.A : Forcément, ce serait à la fois une revanche, pour aller disputer comme coach la CAN que je n’ai pas jouée, et une récompense. Mais il y a des techniciens en place et de mon côté, j’ai la chance de travailler avec une Fédération (ndlr : la Centrafrique) qui me fait confiance et qui me donne beaucoup de responsabilités. Je continue à progresser et apprendre en attendant qu’on me donne ma chance.

LDB : Pour finir, Bruce, le foot est à l’arrêt avec cette pandémie du Coronavirus. Tu as hâte de retrouver les terrains ?

B.A : Le football, c’est ma vie, ma passion, mon métier. Mais aujourd’hui, c’est devenu secondaire. La priorité est de prendre soin des gens, de nos proches. Le football reprendra, comme les autres activités, ses droits. Mais en attendant, il faut vraiment que chacun reste à la maison, respecte les règles pour empêcher ce virus de se propager. Tous ensemble, nous la vaincrons.

Camille Delourme
Légendes et crédits photo : 
Bruce Abdoulaye, ici à Ouagadougou en 2012, a vécu de grandes émotions avec le maillot des DIables rouges (CD/ADIAC) La dernière apparition de Bruce Abdoulaye chez les pros, à Strasbourg, le vendredi 19 mai 2017 (DR)
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