Le représentant du Programme alimentaire mondial (PAM), Jean-Martin Bauer, fait le point dans cet entretien aux Dépêches de Brazzaville, des interventions menées par son institution au Congo, dans le cadre de la lutte contre le coronavirus (Covid-19) et les inondations ayant touché certaines régions du pays.
Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Pouvez-vous nous faire le point, à mi-parcours, des interventions du PAM dans le cadre de la lutte contre le Covid-19 au Congo ?
Jean-Martin Bauer (J M B) : L’épidémie du Covid-19 est une priorité pour les Nations unies. Pour le PAM, nous souhaitons pouvoir contribuer à la réponse nationale qui se met en place. Nous avons une série d’actions pour répondre aux effets de l’épidémie sur la sécurité alimentaire. La première chose a été la distribution des rations sèches aux élèves du primaire. Nous avons lancé cette distribution au mois d’avril avec le monsieur le ministre de l’Enseignement primaire, secondaire et de l’alphabétisation. Il s’agissait de la distribution du riz, de haricot, d’huile végétale, de poisson, de sel à 61000 élèves du primaire dans les écoles de la Bouenza, du Pool, de la Cuvette, de la Sangha, de la Likouala et des Plateaux.
La deuxième réponse concerne le lancement des transferts monétaires en faveur de la population vulnérable de Brazzaville. Le Covid-19 a été accompagné par une série de mesures pour prévenir sa propagation, notamment le couvre-feu, le confinement. Tout cela a eu des effets sur la sécurité alimentaire en particulier des ménages les plus vulnérables. Ainsi, nous avons fait une analyse qui a estimé que le nombre de personnes qui ne mangent pas à leur faim à Brazzaville et Pointe-Noire, est passé de 150 mille à 300 mille personnes.
Nous avons récemment lancé avec la ministre des Affaires sociales, l’opération de transferts monétaires en faveur de 34 mille personnes. Chacune d’elle a reçu 10400 FCFA pour pouvoir acheter les produits essentiels. Le plus grand enjeu c’est de passer à l’échelle. J’encouragerai tous les partenaires qui œuvrent dans le domaine de la protection sociale et de la sécurité alimentaire de faire ce qu’ils peuvent pour qu’un maximum de personnes puissent recevoir des bons alimentaires ou de l’argent pour pouvoir s’acheter de quoi à manger, c’est très important.
La troisième réponse du PAM a été un appui logistique. La logistique est l’un de nos domaines d’excellence. Nous avons des camions, des entrepôts dans le pays. Tout cela peut aider le gouvernement et les partenaires à gérer la réponse. Nous avons conclu un contrat avec la Centrale d’achat des médicaments essentiels et des produits de santé pour l'aider à déplacer d’un coin du territoire du matériel. Nous avons aussi joué un rôle dans l’arrivée de certains cargos de l’étranger pour faire venir au Congo des équipements médicaux qui sont nécessaires pour cette réponse.
LDB : Vous avez parlé de quatre actions, quelle est la dernière ?
J M B : Le dernier élément de nos interventions, c’est une réponse à plus long terme. Nous avons compris avec épidémie de Covid-19 que les systèmes alimentaires au Congo sont fragiles. Ce n’est pas la première fois que nous le voyons, il y a aussi la crise des prix en 2007-2008 qui a mis en lumière la grande vulnérabilité du Congo par rapport à des perturbations du marché international. Le pays importe 70%, soit une facture d’importation de 600 milliards FCFA (chiffres du gouvernement). C’est quelque chose qui est un facteur de vulnérabilité quand il y a un évènement comme le Covid-19 ou comme la hausse des prix. Il faut pouvoir contrecarrer cela.
Ce que fait le PAM de façon concrète, c’est appuyer la transformation du manioc. Il y a au Congo beaucoup de manioc, il n’est pas suffisamment transformé, on ne valorise pas ce produit pour en faire quelque chose qui puisse concurrencer ce flux d’importation, voire remplacer les importations. Idéalement, le Congo devrait pouvoir se fier ou se reposer sur la production nationale afin de s’approvisionner y compris en période de crise. En ce moment, nous travaillons en particulier dans la Bouenza avec des groupes de productrices et transformatrices de manioc. Nous avons fait venir au mois de décembre dernier des spécialistes béninois et ivoiriens pour travailler avec les artisans-soudeurs de la Bouenza. Le but était de construire des machines qui transforment le manioc en gari et en l'attiéké, des produits qui ne sont pas encore très connus au Congo.
En cette période de crise due au Covid-19, nous allons travailler sur ces produits à base de manioc pour faire en sorte que les groupes qui y produisent et y vendent puissent avoir de plus grandes capacités à approvisionner le marché national. Cela passe par la mécanisation de certaines étapes de la transformation en particulier mais aussi la mise en relation sur la chaîne de valeur manioc entre ces groupes de producteurs et les marchés urbains.
LDB : Le PAM a récemment alerté sur la multiplication du nombre de personnes souffrant de famine en 2020. Le Congo est-il concerné par cette menace ?
JMB : Le Congo n’est pas isolé de cette dynamique globale, il y a un risque. Sur le plan international, le chiffre que vous avez dû entendre c’est pratiquement un doublement du nombre de personnes en insécurité alimentaire qui est passé de 130 millions en 2019 à environ 260 millions cette année, c’est une projection si rien n’est fait. Nous espérons que les gouvernements, les partenaires au niveau international sauront se mobiliser pour éviter ce scénario catastrophe. Donc, il nous revient en tant que système international de se mobiliser pour éviter le pire. Le Congo est concerné dans la mesure où on a vu cette augmentation de la sécurité alimentaire en milieu urbain.
LDB : Avez-vous un appel à lancer à l’endroit du gouvernement et de vos partenaires ?
J M B : L’appel, c’est se mobiliser. Nous sortons du confinement dans quelques heures, mais les problèmes d’insécurité alimentaire, de la faim au niveau des zones urbaines et peut-être d’autres zones du pays perdurent encore. Nous constatons qu’il y a une forte demande sur le terrain, il faudrait que nous puissions nous mobiliser maintenant pour apporter une assistance à toutes ces personnes qui ont perdu leurs emplois, leurs moyens de subsistance, qui font face à des prix très élevés sur le marché. C’est maintenant qu’il faut se mobiliser pour qu’on ait aussi une chance de se rétablir et d’éviter le pire.