Belgique : regain de critiques sur la période coloniale au Congo

Mardi, Juin 16, 2020 - 14:30

 Le décès de l’Afro-Américain George Floyd, asphyxié par un policier blanc, suivi de la vague de protestations contre le racisme, ont relancé les critiques sur les crimes commis lors de la colonisation au Congo et plusieurs pétitions et initiatives exigent la décolonisation de l'espace public.

En Belgique, plusieurs pétitions ont été lancées pour exiger le déboulonnement des statues à l’effigie de Léopold II. Dans la ville d'Anvers (Flandre), une statue de l'ancien roi des belges a été retirée,officiellement pour être nettoyée et restaurée après avoir été dégradée à plusieurs reprises au cours des dernières semaines. Mais elle pourrait ne plus être visible sur une place publique.

En Wallonie, une autre pétition réclame le retrait de la statue de Léopold II dans la ville d'Arlon. Le collectif à l’origine de la pétition a précisé sa démarche au journal belge la DH: « À l’entrée du chef-lieu qu’est Arlon, l’imposante statue de Léopold II, sanglant colonisateur du Congo, accueille chaque jour les visiteurs dans notre ville avec la phrase suivante : ‘J’ai entrepris l’œuvre du Congo dans l’intérêt de la civilisation et pour le bien de la Belgique’ . Ici, nous honorons la mémoire d’un homme qui a la responsabilité morale du massacre, de l’exploitation et de la torture d’un peuple entier à des fins mercantiles et expansionnistes. Ici, nous ne cherchons même pas à cacher les pans les plus odieux de notre héritage. Non, nous les mettons à l’honneur, aux portes de la ville, comme affront au visage de ceux qui ont souffert et qui sont morts sacrifiés sur l’autel de la colonisation. Ici, les vies des personnes de couleur ne semblent pas compter ».

Pour sa part, l'université de Mons a également retiré une statue de Léopold II installée au sein du campus universitaire. De son côté, la commune bruxelloise d'Etterbeek est en train de rebaptiser et de féminiser les noms de ses rues et avenues qui sont jugés trop "colonial". Pendant neuf mois, ces rues porteront le nom de femmes dont l’engagement ou le talent, trop vite oublié, méritait d’être rappelé. Ainsi la Rue Général Fivé devient la rue Rosa Parks (1913-2005) du nom de la militante contre la ségrégation raciale aux USA et le square Léopoldville a été rebaptisé square Marie-Muilu-Kiawanga (1880-1959), femme de Simon Kimbangu, et qui a dirigé l'église kimbanguiste après l'arrestation de son mari.

Décoloniser l'espace public

Le jeudi juin dernier, les partis politiques de la majorité (PS-Ecolo-Défi-Groen-Open Vld-One Brussels) ont déposé une résolution visant à décoloniser l’espace public en région bruxelloise. Cette résolution, explique-t-on, demande notamment au gouvernement bruxellois d’établir un inventaire des noms de places publiques et de rues sur l’héritage de l’histoire coloniale belge et un groupe de travail va être créé à cet effet. « La proposition de résolution demande également au gouvernement de mettre en place un groupe de pilotage composé, entre autres, d’experts et de personnes de la société civile. Ce groupe de pilotage sera chargé de faire des propositions concrètes dans le cadre du travail de contextualisation et/ou de déplacement des vestiges coloniaux dans les musées. Le texte demande aussi d’attribuer à des nouvelles voiries et infrastructures en général des noms de personnalités – en tenant compte de la diversité au niveau du genre – ayant résisté à la colonisation. « Ce travail important sur la mémoire coloniale constitue une priorité pour la décolonisation des esprits. Elle est primordiale pour lutter contre l’imaginaire colonial en Belgique », explique le député écologiste Kalvin Soiresse Njall.

« Le grand Frantz Fanon écrivait : « L’immobilité à laquelle est condamné le colonisé ne peut être remise en question que si le colonisé décide de mettre un terme à l’histoire de la colonisation, à l’histoire du pillage, pour faire exister l’histoire de la nation, l’histoire de la décolonisation ». Aujourd’hui, par cette résolution, nous souhaitons initier la remise en question de l’immobilité dans laquelle notre société belge a été trop longtemps enfermée, et mettre fin à l’histoire de la colonisation dans les esprits des héritiers d’une ancienne puissance coloniale que nous sommes », a expliqué la députée socialiste, Leila Agic. « Le travail autour de la colonisation et de la décolonisation doit être réalisé de manière rigoureuse et juste. Le besoin de reconnaissance, de justice et de mémoire doit être satisfait. J’aspire à une société plus apaisée et fraternelle », a fait savoir la députée Nicole Bomele d'origine congolaise.

Faire passer le vrai message

Ce regain de critiques sur la période coloniale belge au Congo et les crimes qui y ont été commis ont fait réagir plusieurs personnalités, notamment l'arrière-petite-nièce de Léopold II, la princesse Esmeralda de Belgique qui s’est exprimée sur les actes de vandalisme visant les statues du roi dans un échange avec la chaîne belge RTL. « Nous n’avons jamais réglé cette question. On n’en a jamais parlé de manière posée, transparente. On ne l’enseigne pas dans nos écoles, on n’ose pas aborder ce sujet, on se sent très mal à l’aise et, tant que cela sera comme ça, les communautés ne pourront absolument pas se rejoindre, se comprendre. Je pense qu’il y a une espèce de mythe qui demeure et qui fait que l’on veut parler de la colonisation de la part de nous, Européens, et on refuse de voir ce qu’elle a causé pour tout un continent. Et d’autres continents aussi puisque je veux surtout soulever que ce n’est pas seulement la Belgique bien sûr, c’est un passé que tous les Européens ont en commun. Et tant que l’on ne dénoncera pas ce qu’il s’est passé pendant la colonisation, on ne comprendra pas ce qui existe aujourd’hui encore au niveau du racisme. Il y a un débat à avoir et je pense que ce débat est vraiment urgent. On a vraiment besoin que dans nos écoles le vrai message passe, qu’on arrête d’avoir un seul côté de l’histoire entièrement centré sur l’Europe », a également expliqué l’arrière-petite-nièce de Léopold II.

Pour sa part, Caroline Désir, ministre de l’Enseignement francophone en Belgique, répondant à la lettre ouverte adressée par la journaliste d'origine congolaise Cécile Djunga,a expliqué combien le combat contre le racisme était important et devait s’inscrire dans les réformes menées actuellement dans le domaine de l’enseignement, indique Le Soir. « Ce n’est pas tellement que l’histoire du Congo ou de la colonisation se fait de façon maladroite sur base de références dépassées, c’est surtout que cette histoire est trop souvent ignorée. La plupart des élèves n’entendent pas parler de la colonisation belge au Congo ni des mécanismes d’exploitation et de domination. Nous ne pouvons plus tolérer cette lacune », a rappelé Caroline Désir, tout en assurant que dans le nouveau parcours d’apprentissage des élèves, l’histoire du Congo, de son indépendance et de sa colonisation, sera abordée de manière systématique.

 

 

 

 

Patrick Ndungidi
Légendes et crédits photo : 
Photo1 et 3- Des statues de Leopold II vandalisées Photo 2 -Inscription de rue à la commune d'Etterbeek
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