60 ans de musique congolaise : décryptage avec Freddy Kebano

Dimanche, Août 16, 2020 - 14:14

Il y a six décennies, la musique congolaise forgeait sa légende autour de grands noms, comme celui du pionnier Freddy Kebano. Les mythiques chansons orchestrées par ces férus de belles mélodies ont propulsé la musique congolaise sur le devant de la scène internationale. 60 ans après, où en est le succès de la musique congolaise ?  

Au début des années 1960, la proclamation des indépendances et l'urbanisation annoncent une ère nouvelle, celles des sociétés en pleine mutation qui veulent rompre définitivement avec le colonialisme en adoptant des modes de vie modernes. La généralisation d'instruments amplifiés et des cuivres, tout comme la naissance de maisons de disques et de producteurs locaux sont les premiers grands signes de cette évolution. « Dans ma passion, je suis content d’avoir été le premier à avoir fait venir un synthétiseur. Le premier synthétiseur des deux Congo, c’est moi qui l’est fait venir, je suis le premier à en jouer. Je suis le premier à installer un studio à domicile avec l’aide de quelques magnétos et après des ordinateurs. J’ai montré le chemin. Aujourd’hui, beaucoup de jeunes se l’approprient ».

Dans ce courant, des rythmes nouveaux voient le jour, influencés par la musique cubaine, le folklore, la pop, la soul, le rock ou le funk. Les Bantous de la Capitale, Rumbaya, Balka Sound, les légendaires Youlou Mabiala, Fernand Mabiala, Théo Blaise Nkounkou, Zao, autant de groupes et de noms qui illustrent la richesse et la diversité musicale du Congo, qui avaient conquis le monde dans les années 1960 et 1980.

Fortune artistique perdue

Au fil des années, la musique congolaise aurait perdu un peu de sa force, de sa considération, de sa fortune artistique et de son identité. Elle navigue au gré des changements et souffre d’un manque d’encadrement et d’accompagnement qui empiète sur son essor.  Entre esthétique subversive et pratiques mercantiles, la sphère musicale congolaise a fait naître une tendance, qui dans un contexte de manque de politique culturelle adéquat, pousse les musiciens à inventer des stratégies nouvelles pour se ménager des revenus nécessaires à la poursuite de leur carrière. Du « libanga ou dédicace », introduite au cours des années 1980, qui consiste à ponctuer les morceaux de dédicaces aux puissants, politiciens, hommes d’affaires et de pouvoir,  les mélodies miroirs de la société ont fait place à celles des louanges aux particuliers.

Infrastructures aux abonnés absents

« Nous étions les premiers à avoir le grand studio d’Afrique centrale. C’était L’IAD, entendu par Industrie africaine du disque. Mais nous l’avons tué nous-même », a déclaré Freddy Kebano. Pléthore d’effectif, incapacité de payer le personnel, de faire une mise à jour technologique de l’IAD, autant de maux qui ont entraîné la fermeture de cet institut  ayant contribué à l’essor de la musique congolaise et de ses acteurs. « Dans le cas actuel des choses, il est mal aisé de faire une prospective du lendemain. Mais lorsque nous ne tenons pas compte de notre passé, nous voguons à vue sans plan de navigation », a-t-il poursuivi.

Le manque d’infrastructures adéquates, mieux l’absence d’un écosystème propice à motiver la création, a ruiné l’effort de certains artistes musiciens. Comme dans d’autres secteurs, celui de la musique a également connu le départ de plusieurs artistes à l’étranger. « Nous avons beaucoup de musiciens à l’extérieur, cela est un grand frein à l’expansion de notre musique.  Les jeunes groupes qui ont existé ici comme les Balka Sound, les premiers à avoir mis au-devant de la scène la véritable musique tradi-moderne, ont plié bagages. Nous n’employons pas les moyens nécessaires pour faire la promotion de notre musique. Aujourd’hui comme hier, les jeunes sont galvanisés par les musiques d’ailleurs entérinées aussi par tout ce qui vient de la télévision », a indiqué Freddy Kebano

Le rebondissement : apporter des réformes politiques profondes

Freddy reconnaît que le pays est l’un de ceux regorgent de plus de musiciens créatifs. Mais comme le talent seul ne suffit pas, un environnement capable de soutenir la créativité est nécessaire. Le cadre culturel devrait proposer une politique enthousiaste. « S’il y a une politique culturelle bien précise, qui aide par exemple à la création des structures pour l’accompagnement des opérateurs des industries cultures que nous sommes, cela pourrait changer la donne », a-t-il signifié.

Nous sommes des génies mais ça ne suffit pas !

« Plusieurs musiciens du Congo aujourd’hui ne savant pas lire la musique. Ils ne savent pas écrire une partition musicale, mais nous avons une école nationale des beaux-arts. Nous devrons former tous les artistes aussi vieux que nous comme les plus jeunes pour qu’ils apprennent l’ABC de la musique afin qu’ils ne soient pas pris pour des incompétents aux yeux des artistes d’autres nations », a conclu Freddy Kebano.

 

 

Emilia Gankama et Quentin Loubou
Légendes et crédits photo : 
Freddy Kebano
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