C’était il y a 80 ans. De Gaulle venait à la rencontre du gouverneur général de l’AEF à Brazzaville, une ville dans laquelle la France s’était installée en 1880. Depuis, presque plus personne ne se rappelle. Le souvenir semble s’être effacé. La mémoire de l’événement s’est estompée.
Dans quelques semaines, les choses vont changer. En octobre 2020, des anciennes colonies africaines et leur ancienne métropole vont enfin se retrouver en terre congolaise pour « se souvenir tous ensemble ».
Juin 1940 : moins d’un an après l’éclatement de la conflagration qui embrasera le monde pendant six ans, tout s’accélère. Le 16, la France est envahie par l’Allemagne. Le 17, le maréchal Pétain devenu président du Conseil, demande aux Français avec « le cœur serré » de cesser le combat. Le 22, il signe l’armistice et s’installe à Vichy. Le 18, le général de Gaulle qui a quitté la France pour Londres lance à la BBC son Appel pour que la guerre continue. Il recrute une petite armée composée de volontaires français (les Forces françaises libres) qui vont se battre aux côtés des Anglais.
Le général de Gaulle est vite reconnu comme chef des Français Libres. Son action manque cependant d’assise territoriale. Elle ne peut donc pas s’exercer avec efficacité ; elle ne peut tout simplement pas s’exercer. La question n’allait pas se poser indéfiniment. De Gaulle en invitant les Français à poursuivre la guerre avait anticipé : « La France n’est pas seule. Elle n’est pas seule. Elle a un vaste empire derrière elle ». C’est donc vers celui-ci qu’il se tourne. L’Afrique équatoriale française est une fédération de quatre colonies françaises d’Afrique centrale (Gabon, Oubangui-Chari, Tchad et Moyen-Congo) entre 1910 et 1958. Sa capitale est Brazzaville. Félix Eboué, son gouverneur général, a favorablement répondu à l’appel de Londres. Il a rallié le général de Gaulle.
De Gaulle arrive à Brazzaville
Octobre 1940 : la situation qui empire de jour en jour couvre la France de déshonneur et de honte. Le 22, Hitler et Pétain s’entretiennent à Montoire. La rencontre engage le pays dans une collaboration d’État avec l’Allemagne. Occupée, la France traverse la plus terrible crise de son histoire. Ses frontières, son empire, son indépendance et son âme sont menacés de collapse. Il n’existe plus de gouvernement proprement français. Dans son état de servitude, le gouvernement de Vichy soumis à l’envahisseur n’est qu’un instrument utilisé par les nazis contre l’honneur et l’intérêt du pays. Le drapeau tricolore ne flottera plus. La Marseillaise ne résonnera plus. Il faut donc qu’un pouvoir nouveau assure la charge de diriger l’effort français dans la guerre. Le 24, deux jours après la « poignée de main de la honte », le général de Gaulle arrive à Brazzaville. La capitale du Moyen-Congo et de l’Afrique équatoriale devient aussi la capitale de la France Libre qui venait de se donner une assise territoriale. Le 27, le Manifeste de Brazzaville est lancé. De Gaulle annonce dans son discours la création d’un Conseil de défense de l’Empire qui est en fait le gouvernement de la France Libre. Par son nouveau statut, Brazzaville avait vocation à recevoir les visites du Général. En 1941, une maison est construite pour l’accueillir. Le gouvernement général la lui donnera comme propriété légale à titre privé. C’est la « Case De Gaulle » depuis laquelle le général de Gaulle prend plusieurs décisions politiques et militaires majeures comme l’affirme l’historien canadien Eric Jennings quand il écrit : « De 1940 à 1943, Brazzaville est le lieu où le général de Gaulle, pour la première fois, s’est comporté en homme d’État, où il a créé l’Ordre de la Libération, là où s’est dénoué le destin de la France ».
Brazzaville, capitale oubliée de la France Libre
Tout cela reste cependant curieusement méconnu. Dans les ouvrages scolaires et dans les discours officiels, Brazzaville, capitale de la France Libre, brille par son absence. La ville s’est éclipsée devant Londres et la Résistance intérieure. Le général de Gaulle lui-même y aura largement contribué. En 1960, le Congo accède à son indépendance. Le Général, qui entretemps a oublié de décorer sa capitale de la médaille de l’Ordre de la libération, rétrocède la Case De Gaulle à l’État français. Elle devient la Résidence de ses ambassadeurs. Pourquoi ne pas l’avoir laissée à la France Libre ? Le premier et plus haut lieu de la mémoire de la résistance extérieure venait d’être expulsée de l’histoire. Pour De Gaulle, la France Libre était morte.
L’initiative du président Denis Sassou N'Guesso de célébrer en cette année 2020 « Brazzaville, capitale de la France Libre » mérite bien d’être saluée. Elle ne doit souffrir d’aucune contestation. En déterrant un souvenir bien enfoui, le chef de l’État congolais installe l’Afrique au cœur du dispositif qui a conduit à la victoire des Alliés et à la Libération de Paris. La célébration de Brazzaville, capitale de la France Libre, remet tout simplement l’histoire à l’endroit. Elle ressuscite à bon escient une mémoire vieille de 80 ans.
Se souvenir du Manifeste de Brazzaville
A un moment où pour la première fois, 130 ans après la naissance du général de Gaulle, 50 ans après sa mort et 80 ans après l’Appel du 18 Juin célébré tous les ans, une ville, Brazzaville, un pays, le Congo, et un continent, l’Afrique se lèvent pour dire à la face de tous le rôle plus qu’important qui fut le leur dans la construction de notre monde, l’historien ne peut qu’adhérer et l’enseignant d’histoire et géographie dans les collèges et lycées de France et de Navarre, plus encore.
Cependant, pour revêtir tout son sens, la célébration de la capitale de la France Libre ne doit pas se limiter à la fête d’un jour. C’est le point de départ de la reconnaissance d’un moment majeur de notre histoire commune. Son souvenir doit s’inscrire dans la durée pour être approprié par tous ceux qui l’ont en partage. Inscrire cette mémoire dans le temps et dans l’espace pour mieux la partager est possible. A condition que sans attendre, les enseignants d’histoire et géographie des collèges et lycées de la place et leurs élèves des classes concernées soient investis dans les processus de l’élaboration des instruments de sa diffusion et de son partage. Dès lors, il leur revient de découvrir et de faire connaître, dans cette phase préparatoire des festivités, le Manifeste de Brazzaville partout où cela sera nécessaire et le jour de l’ouverture officielle, de le déclamer à voix haute et intelligible devant le public rassemblé.
Alors, partout où nous sommes, commémorons dans l’allégresse Brazzaville, capitale de la France Libre. Partageons sans retenue cette mémoire avec les autres. Et, que la fête soit belle.