Jean-Luc Aka-Evy, ambassadeur du Congo au Sénégal, revient pour les Dépêches de Brazzaville sur les événements qui ont émaillé l’histoire du Congo entre 1943 et 1958.
Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B). Cette année, Brazzaville commémore le 80e anniversaire de la France libre. Qu’est-ce que cela représente pour vous en tant que citoyen congolais ?
Jean-Luc Aka-Evy (J-L A-E). Cette incise historique dans notre traversée mémorielle évoque, sur le plan imaginaire de la représentation de la conscience historique congolaise, un bon souvenir symbolique et émotionnel. C’est au lycée Pierre-Savorgnan-de-Brazza, en classe de terminale, lors de l’année scolaire 1971-72, que monsieur Janin, notre professeur d’histoire-géographie, nous a véritablement dégagé l’importance de cet événement. Mais c’est bien plus tard en lisant l’excellent livre de Jérôme Ollandet, Brazzaville, capitale de la France libre. Histoire de la résistance française en Afrique 1940-1944, que je m’en suis fait une réelle idée.
L.D.B. « C’était en Afrique que nous, Français, devions poursuivre la lutte » a dit le général de Gaulle. Le Congo a joué un rôle crucial dans la Seconde Guerre mondiale puisque la France a choisi de venir y engager sa reconstruction.
J-L A-E. Cette question est délicate et n’étant pas un spécialiste de l’entre-deux guerres, je donnerai juste mon sentiment quant à l’effet miroir que me renvoie cette phrase du général de Gaulle. Je pense, comme le déclarait en 1943 le médecin-général Adolphe Sicé, que deux grands hommes auront marqué l’histoire de la ville de Brazzaville : Pierre Savorgnan de Brazza à qui elle doit son nom, et Charles de Gaulle à qui elle doit son destin. En effet, l’histoire de la Résistance française, celle de la France libre, est liée fondamentalement à Brazzaville capitale de l’AEF qui devient de facto capitale de la France libre. Car si le 18 juin 1940, Londres devient le lieu de l’appel à la résistance, Brazzaville reste celui de la prise de décision pour entamer la vraie lutte pour la libération de la France. C’est de Brazzaville que le général de Gaulle énonça et donna ses instructions et consignes aux officiers dissidents et à ses compagnons européens et africains pour combattre la barbarie nazie qui déferlait sur l’Europe.
L.D.B. Radio Brazzaville a relayé la voix de la liberté dans un monde en guerre avec ses nombreux bulletins d’information. Qu’est-ce que cette station a changé dans le conflit ?
J-L A-E. Je pense que cette radio, qui était la voix de l’actualité de l’AEF à l’instar de Radio Londres ou de la BBC, s’était mise au service de la Résistance française « brazzavilloise ». En diffusant des bulletins d’information, elle contrecarrait la propagande de l’ennemi nazi et couvrait toute l’Afrique équatoriale française de ses « cris » ou « vacarmes » en faveur des chemins de la liberté que proclamait Brazzaville, capitale de la France libre.
L.D.B. Brazzaville a cessé d’être la capitale de la France libre en 1943. Pourtant deux événements importants ont eu lieu au Congo : la Conférence africaine française, dite de Brazzaville en 1944, et le Grand rassemblement du stade Félix-Eboué de septembre 1958 sur l’avenir de la Communauté franco-africaine…
J-L A-E. L’histoire de Brazzaville est sans conteste arrimée à ces deux grands événements. Rappelons que la Conférence de Brazzaville fut organisée afin de déterminer le rôle et l’avenir de l’empire colonial français. A l’issue de cette conférence, où aucun Africain « colonisé » n’a été convié, l’abolition du code de l’indigénat fut décidée. Et c’est au cours du grand rassemblement du stade Félix-Eboué de Brazzaville que le général de Gaulle aurait « scellé » le sort de l’ordre colonial et invité les pays africains à « proclamer » leur indépendance. Ces deux événements montrent bien le rôle combien important joué par Brazzaville dans la formation et la mise en œuvre de la lutte de la France libre contre les forces du mal nazi et du nationalisme français d’obédience pétainiste.
L.D.B. L’appel du général de Gaulle à Brazzaville reste mal connu de la jeunesse congolaise. A votre avis, faut-il intégrer cette partie de l’histoire dans le programme scolaire ?
J-L A-E. Je pense en toute objectivité et sans préjugé qu’il faut intégrer cette partie de l’histoire de la ville de Brazzaville, ancienne capitale de l’AEF et de la France libre dans les manuels scolaires de la France, du Congo et des anciennes colonies de l’empire colonial français. Les jeunesses de ces pays l’auront apprise et y gagneraient en dignité.
Né en 1952 à Brazzaville, Jean-Luc Aka-Evy, est docteur d’État es Lettres et Sciences humaines (Philosophie/Esthétique) de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Professeur Titulaire des Universités (Cames), il a été Coordonnateur de la Formation doctorale de philosophie de l’Université Marien-Ngouabi. ancien commissaire général du Festival panafricain de musique (Fespam), ancien directeur général de la Culture et des Arts du Congo, il est actuellement ambassadeur du Congo au Sénégal.