France/Afrique : Laurent Bigot n'est pas favorable que "la France décide de la manière dont l'Afrique doit fonctionner"

Mardi, Mars 16, 2021 - 13:48

Interviewé par le magazine New Africa, l'ancien ambassadeur de France critique, sans langue de bois, la politique de la France en Afrique. Il déplore son paternalisme et la diminution des moyens, et plaide pour des partenariats en faveur des aspirations des peuples et des Etats.

A quelques mois de la fin du mandat du président actuel Emmanuel Macron, Laurent Bigot, ancien ambassadeur de France, préfère attendre son terme pour tirer un bilan. Il constate une similitude de style entre Emmanuel Macron et ses prédécesseurs : « On entretient un regard condescendant et paternaliste sur l’Afrique. Comme sous Nicolas Sarkozy et François Hollande, on déplore une méconnaissance grandissante de l’Afrique, dont les institutions françaises s’éloignent ». Laurent Bigot n'est pas favorable que « la France décide de la manière dont l'Afrique doit fontionner […] et mettre en œuvre une politique et des stratégies qui défendent nos intérêts [français], dont nos valeurs font partie », précise-t-il.

La baisse de la présence française en Afrique

Laurent Bigot explique sa position, à travers la diminution de la présence diplomatique, culturelle et de coopération de la France, qui se recroqueville et « considère les questions africaines comme des questions de politique intérieure sous l’angle de la migration et par l’hystérisation de la question de l’Islam ». Il note également une diminution du personnel de la cellule africaine et son déclassement, désormais sous l’autorité du conseiller diplomatique de l'Elysée. En bref, une « perte de connaissances et de spécificité de l’Afrique dans les institutions ». Ce qui traduit, selon lui, le désintéressement de la France au continent africain. Il émet des réserves sur le Conseil présidentiel pour l'Afrique (CPA), « au fonctionnement opaque, à l'utilité incertaine ».

Changer le rapport à l'Afrique

    Le rapport à l’Afrique a changé parce que le continent et la France ont changé rappelle le diplomate : "Nous avons traité pendant des années nos partenaires africains au mieux avec condescendance et paternalisme, parfois avec des pointes de racisme. Le discours fondateur de la politique africaine d’Emmanuel Macron reste celui de Ouagadougou où le président du Burkina Faso est resté assis sans rien dire sur un trône, comme une sorte de roi nègre tandis qu’Emmanuel Macron devisait pendant une heure et demie sur ce que l’Afrique devrait faire pour s’en sortir, ce qui ne choque personne ". Ajoutant : "On n’a pas décolonisé ce discours-là dans nos esprits. C’est pourquoi un sentiment anti-Français monte dans la jeunesse africaine, en particulier francophone, qui ne veut plus être considérée comme ses aînés. Il faut renouveler ce rapport ".

    Les militaires doivent rester à leur place

    Au sujet du Sahel, Laurent Bigot regrette que l'on demande aux militaires français de résoudre des problèmes qui ne relèvent pas de leur compétence, citant la gouvernance, l’organisation de l’État. Une équation qui n'est pas faite pour les militaires. Si Serval a été une réussite, "Barkhane n’a que quelques succès tactiques et demeure un échec ", selon lui. Et concernant les alternances en Côte d'Ivoire, au Niger, au Tchad et en Guinée, Laurent Bigot est direct : "Ce n'est pas notre mission, nous ne sommes pas chargés de décider la manière dont l’Afrique doit évoluer. On a le devoir de porter un regard pour analyser la réalité et mettre en œuvre une politique et des stratégies qui défendent nos intérêts, dont nos valeurs font partie.[...] Nous ne sommes pas en charge du développement de l’Afrique mais nous devons construire un partenariat où chacun défend ses intérêts et où on négocie". Le diplomate est plutôt favorable à un nouveau partenariat : "définir des objectifs, des moyens pour les atteindre, en menant des évaluations, puis confronter les partenaires, demander leur avis sur ces projets, et y trouver les solutions. [Et en cas d'échec] il va falloir avoir l'objectivité de dire on arrête, sinon nous perdons énormément de crédibilité ".

    Noël Ndong
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