Mois de la femme : des femmes artistes échangent sur leurs difficultés

Mardi, Mars 16, 2021 - 13:45

Elles ont récemment participé à une table ronde organisé par l’Institut Français du Congo (IFC) axée sur le thème : «Etre une artiste, quelle crédibilité ?». Ces femmes artistes de Brazzaville et de Pointe-Noire ont discuté de leur métier et échangé sur leurs multiples difficultés.

 

Elles étaient 7 au total à intervenir à cette rencontre dont la modération a été assurée par Elvie Gotienne. L’activité qui s’est déroulée le 12 mars dans la salle Tchicaya U Tam’Si de l’IFC a permis à Laure Bandoki (actrice comédienne), Nicole Mikolo (écrivaine), Jussie Nsana (peintre, bédéiste), Spirita Nanda (chanteuse, auteure-compositrice), Mixiana Laba (comédienne, actrice, modèle de photo), Andrane Mbemba (actrice, comédienne) et Mwasi Moyindo (slameuse) de discuter de leur métier «encore stigmatisé et parfois mal compris dans une société pleine d’injonctions envers la gente féminine» et de faire état des multiples difficultés que la femme en général, et la femme artiste en particulier rencontre dans l’exercice de son métier.

Plusieurs thématiques ont été abordées portant, entre autres, sur le harcèlement sexuel dans le milieu artistique, les conjonctions à la beauté, le rapport au corps, la confiance en soi, la recherche des opportunités. Les femmes artistes ont aussi évoqué les maux qui minent l’art congolais en général. Il ressort de leurs interventions qu’au Congo le métier d’artiste est encore peu considéré et que l’artiste ne vit pas de son art. Parmi les raisons citées figurent  le manque de soutien, d’accompagnement et d’espaces d’expression.

Les congolais ne consomment pas congolais en matière d’art

Il y a aussi les faibles rémunérations qu’ils reçoivent lors des prestations et la négligence de leur talent par les congolais qui préfèrent consommer des produits étrangers plutôt que le made in Congo. «Les congolais ne consomment pas congolais en matière d’art. On t’encourage avec des mots mais on ne consomme pas pour te soutenir», a déploré Nicole Mikolo. Appuyant ces propos, Spirita Nanda a lancé : «Les gens sont contents de se prendre en photo avec vous mais quand vous produisez un son, ils n’achètent pas». Mixiana Laba s’est aussi indignée : «C’est parce qu’on est passionné qu’on continue de faire de l’art. Mais c’est difficile d’avancer sans soutien ni accompagnement». Mwasi Moyindo a pour sa part lancé un appel aux congolais : «Achetez nos produits pour nous permettre de vivre de notre art, de vivre de notre passion».

Toutefois, ces femmes restent optimistes malgré tout, espérant que les choses vont changer et qu’elles pourront vivre de l’art. Pour elles les lignes bougent déjà avec le digital qui offre de nouveaux moyens d’expressions ainsi que de multiples opportunités à saisir.  Elles ont encouragé les autres femmes artistes à continuer de travailler et de se former, à fréquenter les espaces culturels, et rechercher l’information utile. Elles doivent aussi dépasser les préjugés qui bloquent beaucoup d’artistes, être déterminées, donner de la valeur à ce qu’elles font et avoir confiance en elles. Jussie Nsana a aussi conseillé  «de  bénéficier de l’expérience des anciens, s’entourer des personnes qui croient en vous et se donner des opportunités pour mettre son talent en avant».

On peut réussir sa carrière sans passer par la casserole ou au canapé

Outre ces points, d’autres ont aussi fait couler beaucoup de salive même lors des échanges avec le public. Il s’agit notamment des thématiques sur le harcèlement sexuel, « la sexualisation des œuvres artistiques (clips, films…) et l’accoutrement de certaines femmes artistes jugé trop sexy. Les expressions «passer à la casserole» et «promotion canapé» (c’est dire donner son corps pour obtenir quelque chose) souvent imposé aux femmes ont été régulièrement évoquées. Mais, après leurs témoignages sur le harcèlement sexuel,  les intervenantes ont été catégoriques : il faut changer les choses et mettre fin à ce genre de pratiques qui ont tué beaucoup de carrières qui s’annonçaient prometteuses.

Les  intervenantes n’y sont pas allées avec le dos de la cuillère pour s’exprimer et donner leurs avis. «On peut s’habiller tel qu’on veut sans avoir l’idée de se vendre ou de séduire. On peut réussir sa carrière sans passer par la casserole ou au canapé», a estimé Spirita Nanda. De son côté, Andrane Mbemba a encouragé à dénoncer ces pratiques : «Dans le domaine artistique les femmes doivent très souvent batailler pour réussir et évoluer. Nous devons dénoncer ceux qui exigent de passer d’abord à la casserole ou au Canapé et nous imposer par notre travail». Mélanger le sexe et le métier est un danger pour Laure Bandoki : «La casserole et le canapé ce n’est pas seulement dans le domaine artistique. C’est dans toutes les professions. Il y en a peut-être qui ont réussi leur carrière grâce à la casserole mais en général le mélange du sexe et du métier fait qu’on n’aille pas loin».

Au terme de la rencontre les femmes artistes ont souhaité plus de considération de leur talent et de consommation de leurs produits pour leur permettre de vivre de leur métier. Elles ont aussi souhaité bénéficier du soutien des pouvoirs publics, des collectivités locales pour leur permettre d’évoluer, de faire avancer l’art congolais et contribuer au développement du pays.

Notons qu’à l’occasion de cette table ronde des participantes d’un appel à textes lancé par l’IFC sur la thématique «Un bol d’air au féminin» ont fait lecture de leurs écrits et que la table ronde a été suivie en direct sur le compte facebook de l'IFC Pointe-Noire, une première expérience réussie.

Lucie Prisca Condhet N’Zinga
Légendes et crédits photo : 
-Une vue des femmes artistes lors de la table ronde
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