Les systèmes de santé en Afrique aux prises avec la pandémie de Covid-19 depuis un an et aux retards de prestations médicales essentielles inquiètent les experts.
Il s'agit là d'un double fardeau : la gestion d'une pandémie d'une part et des besoins continus en matière de santé de la population d'autre part. Ce qui oblige les dirigeants du monde entier à prendre des décisions difficiles, à rechercher des solutions innovantes et à répondre à la question suivante : Les systèmes de santé actuels survivront-ils à la pandémie et aux futures urgences sanitaires, notamment en Afrique ?
Les données au coeur des systèmes de santé africains
A travers tout le continent, les pays recherchent des solutions innovantes pour accélérer les objectifs de couverture universelle et pour progresser vers les objectifs de développement durable (ODD), tout en "naviguant" dans la pandémie. "Les données sont l'un des éléments les plus importants pour informer ces innovations et soutenir la reprise après cette crise", a déclaré Githinji Githahi, co-président du comité de pilotage UH2030, une initiative de la Banque mondiale (BM) et de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) en faveur de la couverture de santé universelle (CSU). Il faut des données fiables, ventilées et complètes pour permettre une bonne gestion et un bon financement de la prestation des services de santé. Mais Githinji Githahi déplore que "les décideurs doivent prendre des décisions en utilisant des données incomplètes ou obsolètes avec des résultats sous-optimaux, voire négatifs".
L'indice de durabilité FutureProofing Healthcare Africa
La conférence internationale 2021 de l'Agenda de santé en Afrique a vu le lancement du FutureProofing Healthcare African Sustainability Index (Indice de durabilité FutureProofing Healthcare Africa), un outil en ligne sur les données et l'innovation en matière de santé. Ce dernier offre un aperçu de 18 systèmes de santé à travers le continent. Il est composé de 76 mesures différentes réparties en 6 catégories : accès, financement, innovation, qualité, statut et facteurs plus larges. Il s'agit de mesures identifiées par des experts à travers le continent africain intervenant dans les systèmes de santé, les organisations multilatérales, les organisations de la société civile, les groupes de réflexion et les universités. Cet indice est conçu pour encourager un dialogue fondé sur les données sur l'avenir des soins de santé et constitue une ressource importante alors que l'Afrique travaille pour atteindre les objectifs de la CSU et une meilleure santé pour tous les Africains.
Les 4 points majeurs aux systèmes de santé en Afrique :
Au cours de la session de l'Africa Health Agenda International Conférence (AHAIC) qui vient de se tenir à Kigali au Rwanda, axée sur la recherche, les experts de la santé qui ont supervisé le développement de l'Indice ont partagé 4 points majeurs pour appliquer la mentalité "à l'épreuve du futur" aux systèmes de santé en Afrique.
1- L'impact de la collaboration régionale sur l'innovation. Le Professeur Saber Boutayeb, de l'Université de Rabat au Maroc, a souligné l'importance de la collaboration régionale dans la création de systèmes de soins de santé durables, y compris la création de pôles de recherche régionaux pour maximiser les ressources nécessaires pour financer la conception et la mise en œuvre de projets de recherche innovants. Parmi les autres actions, il a cité le partage de données au-delà des frontières nationales pour accroître le partage des connaissances ; la priorité aux partenariats public-privé pour construire des modèles durables de collaborations régionales ; la nécessité d'une approche régionale pour faire progresser la formation des prestataires de soins de santé africains ; et la mise en œuvre d'études cliniques régionales pour innover et offrir le meilleur niveau de soins aux patients en Afrique.
2. La technologie pour accélérer les changements au niveau du système et améliorer la prestation des soins de santé. Près de 39 millions d'Africains pourraient basculer dans l'extrême pauvreté en 2021, selon la Banque africaine de développement (BAD). Seth Akumani, responsable de l'exploration à l'Accelerator Lab du Programme des Nations unies pour le développement (Pnud) a cité le Ghana, pays qui a mis en avant trois domaines clés dans lesquels la technologie peut améliorer l'accès aux soins : les technologies mobiles et numériques pour améliorer l'accès et résoudre les problèmes de prestation ; la numérisation des dossiers de santé - domaine dans lequel l'Indice montre que son utilisation est actuellement limitée - qui peut aider à collecter et à centraliser des données de santé fiables et de qualité ; la technologie pour surmonter les problèmes systémiques et contourner les défis - par exemple, utiliser des drones pour livrer des médicaments. On sait que le niveau de pauvreté, le coût des soins et la distance par rapport aux établissements de santé empêchent d'accéder à des soins de qualité.
3. La réorganisation des dépenses de santé pour combler les lacunes du système. Olimide Okunola, spécialiste de la santé à la Banque mondiale (BM) au Nigeria, a pésenté une rédéfinition des priorités des dépenses de santé pour combler les lacunes du système. Les faiblesses du système actuel révélées dans l'Indice étant dû en partie à des dépenses de santé inefficaces et à une mauvaise allocation des ressources. Pour réparer ces faiblesses, il proposer de repenser les modèles de financement, en particulier les dépenses, en augmentant les allocations budgétaires à la santé, en donnant la priorité aux ressources pour les membres les plus pauvres et les plus vulnérables afin de combler l'écart d'accès et de qualité des soins. De préparer également dès maintenant l'avenir tout en comprenant la nécessité immédiate de concentrer les dépenses sur les tendances émergentes et l'augmentation croissante des MNT (maladies non transmissibles).
4. Améliorer l'équité entre les sexes dans les soins de santé. La professeure Glenda Gray, Pdg du Conseil sud-africain de la recherche médicale a émis pour sa part des recommandations visant à améliorer l'égalité des sexes dans les soins de santé. En premier l'amélioration de la santé génésique (par exemple les différences marquées à travers le continent concernant l'accès aux services de santé reproductive. Il existerait de fait une corrélation positive entre l'accès à ces services et un bon résultat de la mortalité néonatale. "Là où l'accès est tendu, la santé des femmes fait des ravages", a déclaré Glenda Gray, prenant l'exemple de la RD du Congo, qui a obtenu le score le plus bas sur l'Indice d'accès à la planification familiale et le plus faible pour la mortalité néonatale. La deuxième étape consisterait à améliorer l'accès à un enseignement primaire et secondaire de qualité, tout en accroissant l'accès des femmes à l'éducation. Ce qui peut améliorer l'alphabétisation et leur permettre de prendre soin de leur santé. Par exemple, l'Angola se classe en bas de l'indice d'accès à l'enseignement primaire et de l'écart d'âge entre les sexes en matière d'alphabétisation des adultes. Enfin, élever les femmes à des rôles de leadership, en particulier dans les systèmes de santé nationaux.
Si "la route à parcourir pour chaque pays est différente, la destination est la même", a déclaré Githinji Githahi. Il a appelé à collaborer pour des soins de santé à l'épreuve du temps et atteindre la CSU. Des plus performants aux plus faibles dans chacun de ces signes vitaux, tous les pays peuvent s'améliorer, a-t-il souligné.
Cet indice devrait servir d'inspiration et créer des opportunités pour démocratiser l'accès, les données et les approches qui permettront de renforcer les réponses aux défis de santé et améliorer la mise en œuvre des solutions, a-t-il conclu.