Génocide rwandais : Emmanuel Macron reconnaît les responsabilités de la France

Jeudi, Mai 27, 2021 - 16:45

Les présidents rwandais et français ont promis jeudi de renouer des relations puissantes et irréversibles entre leurs deux pays peu après la reconnaissance, par Emmanuel Macron, des responsabilités de la France dans le génocide des Tutsis de 1994 au Rwanda.

"En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, je viens reconnaître nos responsabilités", a déclaré le chef de l'Etat français peu après son arrivée à Kigali, tout en affirmant que la France n'avait pas été complice du génocide ayant fait plus de 800.000 morts. Dans son discours empreint de solennité au mémorial du génocide de Kigali, où reposent les restes de plus de 250.000 victimes, il a déclaré espérer que ceux qui "ont traversé la nuit" du génocide des Tutsis puissent "nous faire le don de nous pardonner". La France a fait "trop longtemps prévaloir le silence sur l'examen de la vérité", a-t-il regretté.

L'objectif affiché d'Emmanuel Macron était de finaliser la normalisation des relations avec le Rwanda. Il a en revanche écarté la complicité de son pays. "Les tueurs qui hantaient les marais, les collines, les églises n'avaient pas le visage de la France. Le sang qui a coulé n'a pas déshonoré ses armes, ni les mains de ses soldats qui ont eux aussi vu de leurs yeux l'innommable, pansé des blessures, et étouffé leurs larmes." Mais"au lendemain, alors que des responsables français avaient eu la lucidité et le courage de le qualifier de génocide, la France n'a pas su en tirer les conséquences appropriées", a-t-il poursuivi dans son discours.

"En voulant faire obstacle à un conflit régional ou une guerre civile, elle restait de fait aux côtés d'un régime génocidaire. En ignorant les alertes des plus lucides observateurs, la France endossait une responsabilité accablante dans un engrenage qui a abouti au pire, alors même qu'elle cherchait précisément à l'éviter", selon lui.

Ce discours a été salué par son homologue Paul Kagame, lors d'une conférence de presse commune :"Ses paroles avaient plus de valeur que des excuses. Elles étaient la vérité", a-t-il réagi, en évoquant le "courage immense" de son "ami" Emmanuel Macron. 

Egide Nkuranga, le président de la principale organisation de rescapés Ibuka, a regretté pour sa part, que le président français n'ait "pas présenté clairement des excuses au nom de l'Etat français" ,ni "même demandé pardon". Mais, "il a vraiment essayé d'expliquer le génocide et la responsabilité de la France. C'est très important. Cela montre qu'il nous comprend", a-t-il reconnu.

Le président français s'est justifié, en estimant que l'évocation d'"excuses", également souhaitée par des responsables politiques français, n'était pas "appropriée" et qu'il préférait la "reconnaissance des faits". Quant au pardon, "ce n'est pas moi qui peut le donner", a-t-il ajouté.

L’aveuglement du président François Mitterrand

La question du rôle de la France avant, pendant et après le génocide des Tutsis du Rwanda a été un sujet brûlant pendant des années, conduisant même à une rupture des relations diplomatiques entre Paris et Kigali, entre 2006 et 2009. En février 2010, Nicolas Sarkozy avait reconnu de graves erreurs et une forme d'aveuglement des autorités françaises ayant eu des conséquences absolument dramatiques.

Depuis, le fossé s'est cependant comblé avec une série d'initiatives françaises pour sortir de l'impasse. Dont un rapport d'historiens, publié en mars, qui a conclu à des "responsabilités lourdes et accablantes" de la France et à l'"aveuglement" du président socialiste de l'époque, François Mitterrand, et de son entourage face à la dérive raciste et génocidaire du gouvernement hutu que soutenait alors Paris. Le président rwandais, Paul Kagame, avait d’ailleurs salué un "important pas en avant vers une compréhension commune de ce qu'il s'est passé".

Et peu de temps après, dans un entretien au quotidien "Le Monde", le ministre rwandais des Affaires étrangères, Vincent Biruta, avait écarté le terme lourd de « complicité » qui sème depuis si longtemps la discorde entre les deux pays. « Je pense que la France n’a pas participé à la planification du génocide et que les Français n’ont pas participé aux tueries et aux exactions. La France, en tant qu’État, n’a pas fait cela. Si la complicité se définit par ce que je viens de dire, alors l’État français n’est pas complice. »

Pour concrétiser cette normalisation, le président Macron a annoncé jeudi la nomination prochaine d'un ambassadeur français au Rwanda, où le poste est vacant depuis 2015. Il s'est aussi engagé "à ce qu’aucune personne soupçonnée de crimes de génocide ne puisse échapper à la justice", alors que plusieurs d'entre elles résident en France.

La délégation française est venue avec 100.000 doses de vaccins contre la Covid-19, provenant de l'initiative Covax pour la fourniture de vaccins aux pays pauvres. Et pour tenter de redonner de la vigueur au français, désormais moins enseigné que l'anglais au Rwanda, Emmanuel Macron devait inaugurer, en fin de journée, le centre culturel francophone de Kigali. Il se rendra ensuite vendredi en Afrique du Sud pour une visite consacrée à la pandémie de Covid-19 et notamment à la production de vaccins sur le continent africain.

« Lorsqu’en avril 1994, les bourreaux commencèrent ce qu’ils appelaient odieusement leur « travail », la communauté internationale mit près de trois mois, trois interminables mois, avant de réagir. Nous avons, tous, abandonné des centaines de milliers de victimes à cet infernal huis clos (…). En me tenant, avec humilité et respect, à vos côtés, ce jour, je viens reconnaître l’ampleur de nos responsabilités. »

Emmanuel Macron, Kigali .

Julia Ndeko avec AFP
Légendes et crédits photo : 
Emmanuel Macron prononçant son discours; les présidents français, Emmanuel Macron, et rwandais, Paul Kagamé à Kigali/ AFP
Notification: 
Non