Interview. Josué Rodrigue Ngouonimba esquisse le bilan des soixante dernières années

Mardi, Août 24, 2021 - 12:45

 Ministre de la Construction, de l’Urbanisme et de l’Habitat, Josué Rodrigue Ngouonimba dévoile, dans cette interview exclusive aux Dépêches de Brazzaville, les grandes lignes de la politique nationale en ces matières durant les six dernières décennies. Architecte de profession, il explique, détails à l’appui, une situation globale dans laquelle la mise en œuvre des initiatives publiques conçues pour l’intérêt général est confrontée à la mobilisation des moyens et à l’action des opérateurs privés détenteurs de terres qu’ils attribuent aux particuliers sans se soucier des règles établies. Il est évident que dans cet état de choses, la responsabilité des pouvoirs publics est engagée. Interview.

Les Dépêches de Brazzaville (LDB): Monsieur le ministre, 61 ans d’indépendance du Congo, quel diagnostic faites-vous du secteur de l’habitat et de l’urbanisme ?

Josué Rodrigue Ngouonimba (JRN) : En 1960, au moment de l’indépendance, institutionnellement, la jeune République du Congo ne disposait pas, hormis les communes bien entendu, de structures administratives de l’urbanisme. Ce sont les services du cadastre et de la topographie qui exerçaient les compétences en matière d’urbanisme, de lotissements. C’est en 1961 qu’a été créée une administration spécifique de l’urbanisme.

En fait, la République naissante a hérité de la colonisation son code civil, la législation foncière et domaniale, la législation de l’urbanisme, les procédés et procédures d’intervention de la puissance publique, pour ordonner le développement urbain.

Parmi ces instruments juridiques, on peut citer l’ordonnance n°45-1423 du 28 juin 1945 relative à l’urbanisme dans les territoires relevant de l’autorité du ministère de la France d’Outre-Mer. Cette ordonnance visait à introduire dans les colonies une législation sur l’urbanisme comparable à la loi du 15 juin 1943. Elle donna lieu à l’établissement des premiers plans directeurs d’urbanisme en Afrique équatoriale française, dont celui de Brazzaville qui a été élaboré par l’architecte urbaniste, Jean Marc Legrand, et approuvé en 1954.

Mais à la différence de la période coloniale, les années suivant la création de la République du Congo, en 1958, voient se développer, dans un contexte d’urbanisation rapide et de contestation de la législation domaniale coloniale par de nouveaux acteurs urbains, les « propriétaires fonciers dits coutumiers », les premiers lotissements privés à la périphérie des grandes villes. Dans la foulée, le service public de l’urbanisme s’est renforcé. Ainsi, à la fin des années 1970, l’adaptation des instruments de l’urbanisme s’est imposée comme une nécessité, car il fallait aussi bien « maîtriser l’urbanisation », les objectifs assignés à la politique urbaine que la redistribution des compétences entre l’Etat et les collectivités locales. Tout cela ne pouvait être possible que par l’adoption d’une loi légitimant notre action. C’est en ce sens qu’a été promulguée la loi du 17 septembre 1988 sur l’aménagement et l’urbanisme ayant permis l’élaboration des schémas directeurs d’urbanisme, des plans directeurs d’urbanisme et des plans d’urbanisme de détail. Ce avec l’appui de la coopération française, dans le cadre d’une « Mission d’urbanisme et d’habitat au Congo » qu’ont été élaborés deux schémas directeurs et dix-huit plans directeurs d’urbanisme.

C’est autant dire que la création des lotissements privés et l’essor de la ville dans la périphérie sont les faits urbains majeurs de l’après indépendance. Dans les grandes villes, le laissez-faire règne en maître et le sol est la proie des spéculateurs. Les lois et les plans d’urbanisme sont pratiquement inopérants. D’où un faible impact des différents documents d’urbanisme mis en place dans le développement des villes. Par la suite, de nombreux cadres techniques ont été formés dans les années 1970-1980 dont nombreux ont fait valoir leurs droits à la retraite. D’où un déficit important de cadres techniques au niveau des administrations centrales et départementales, et au niveau des communes et des communautés.

LDB : Au Congo, plus de 60% de la population manquent de logements décents, ce qui constitue un facteur de pauvreté. Il a été également constaté le développement effréné, souvent au-delà du cadre légal, de nos principales capitales. Pourtant, des schémas directeurs existent pour la maîtrise de ces phénomènes. Monsieur le ministre, comment le gouvernement s’emploie –t-il pour mettre fin à cette réalité ?

JRN : Le logement est une des questions les plus préoccupantes pour de nombreuses familles en milieu urbain comme en milieu rural. Pouvoir se loger, avoir une parcelle de terrain à bâtir en ville ou savoir comment payer son loyer sont de véritables obsessions et causes d’angoisse. A défaut de construction de logements, nombre de citoyens spéculent sur les terrains à bâtir, constructibles ou inconstructibles, les maisons et appartements à louer ou à vendre.

Cette question n’est pas nouvelle. Elle existe depuis la colonisation, avec la création des villes et l’urbanisation progressive, constante, et sans doute irréversible, de la société congolaise. De manière très simple, on peut dire que l’urbanisation n’est autre que le phénomène de concentration progressive des populations dans les villes. Cette concentration de la population dans les villes, cumulant difficultés sociales et économiques, dysfonctionnements institutionnels, est source de préoccupations pour le gouvernement. L’urbanisation fait partie aujourd’hui des enjeux de la société congolaise et de la politique d’aménagement et de développement durable du territoire.

Depuis l’indépendance, malgré son caractère social, le secteur du logement n’a pas bénéficié de dispositions spécifiques pour son financement. Malgré des efforts importants, le fossé toujours croissant qui existe entre l’offre et la demande de logements décents demeure et persiste en milieu urbain. Il faut noter, avec la croissance accélérée de nos villes, qu’il n’est donc pas facile de mettre fin à cette réalité complexe.

Il est à souligner que le nouveau paradigme de l’économie de marché consiste en un appel pour une participation directe du secteur privé dans la production de logements. A cet effet, il a été adopté une charte des investissements accordant des avantages aux entreprises et différentes lois concernant l’immobilier dont laloin°37-2012 du 12 décembre 2012 portant règlementation de la location à usage d’habitation, la loi n° 13-2004 du 31 mars 2004 relative aux activités de promotion immobilière et de construction d’ouvrages de bâtiment.

LDB : Comment les deux schémas directeurs anticipent-ils l’étalement de Brazzaville et Pointe-Noire ?

JRN : Il est à rappeler que les deux schémas directeurs définissent tous les aspects du développement urbain, les orientations pour l’évolution des villes de Brazzaville et Pointe-Noire sur la base des scénarios du développement spatial et économique, validés par toutes les parties prenantes.

Ainsi, à chaque zone de chaque ville, en matière d’habitat, par exemple, il est défini une orientation spécifique. Il y a des zones à densifier, à restructurer ou à valoriser. Et il y a des zones soit à densifier fortement ou à développer pour des nouveaux quartiers ou pour des villes nouvelles.

Pour chaque zone, il est défini l’implantation des mini pôles urbains et pour l’agglomération en général. Les schémas directeurs définissent les principaux équipements et infrastructures. De la même manière, le schéma directeur formule les orientations de développement des réseaux de voiries, transport et mobilité, d’assainissement, d’adduction d’eau et de gestion de déchets. Ces outils traitent spécifiquement du volet environnement de chaque ville et son agglomération.

Ainsi, il est prévu, pour Pointe-Noire, par exemple, la rematérialisation d’une ceinture verte pour freiner son développement anarchique et se concentrer sur l’espace actuel. Autres exemples, des voies de contournement dans les deux villes sont proposées pour réguler les gros trafics pour éviter la traversée des villes par tout type de transporteur, etc…

LDB : La ville de Brazzaville, avec son million et demi d’habitants, nécessite sans doute plus de ressources pour la gestion urbaine, ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’assainissement, le transport et le logement décent accessible à tous. L’impression est que le gouvernement seul ne parvient pas à implémenter une politique de la ville efficace et pérenne. Quels mécanismes avez-vous mis en place pour mobiliser les ressources nécessaires à ce qui pourrait être une stratégie d’assainissement et d’amélioration du cadre de vie de la population ?

JRN : La mise en place des infrastructures d’assainissement, de transport et de logements décents accessibles à tous sont des problématiques complexes et transversales, donc ne relevant pas du seul ministère de la construction, de l’urbanisme et de l’habitat. La Constitution du 25 octobre 2015 définit à l’article 210 les compétences propres aux collectivités locales. Parmi ces dernières figurent en bonne position l’urbanisme et l’habitat. C’est donc dire que les collectivités locales sont également des partenaires clés pouvant mobiliser les ressources nécessaires pour cette stratégie d’assainissement et d’amélioration du cadre de vie de la population.

Pour autant, sous l’impulsion du chef de l’Etat, son excellence Denis Sassou N’Guesso, et du gouvernement de la République, des outils financiers sont mobilisés depuis quelques décennies pour améliorer progressivement notre situation à tous. Ces derniers sont à la fois le fait des ressources propres de l’Etat ou des partenaires techniques et financiers.

A Brazzaville, par exemple, dans certains quartiers, la Banque mondiale et l’Agence française de développement appuient respectivement le gouvernement pour la restructuration des quartiers précaires et le drainage des eaux pluviales. Beaucoup reste à faire, mais c’est une priorité du président de la République et du gouvernement.

LDB : Concrètement, quelle est la particularité et l’importance du code de l’urbanisme et de la construction ? Ne vient-il pas simplement contribuer à cette inflation législative sans effet dans la société ?

JRN : Le code d’urbanisme et de la construction est un important document de la politique d’aménagement du territoire au même titre que le schéma national d’aménagement du territoire et d’autres schémas et plans. Ce n’est pas une loi de trop. Bien au contraire, elle est venue combler un vide important que d’autres lois avaient essayé de couvrir. Il a l’avantage d’avoir mis dans un seul texte l’ensemble des principes fondamentaux et des dispositions législatives qui s’imposent à tous les usagers du sol, notamment l’Etat, les collectivités publiques, les entreprises et les particuliers. Nous travaillons actuellement à la finalisation des textes d’application de ce code en vue de leur publication comme l’a martelé le chef de l’Etat lors de son allocution d’orientation du nouveau quinquennat, le 16 avril dernier.

LDB : Monsieur le ministre, vous avez réussi à faire voter et promulguer la loi 6-2019 du 5 mars 2019 portant code de l’urbanisme et de la construction. Cette loi est censée mettre l’ordre et la discipline dans l’urbanisme comme vous venez de le rappeler. Pourquoi a-t-on l’impression qu’elle n’a pas d’effet ?

JRN : Vous faites bien de parler d’impression. On peut, en effet, de façon laconique, affirmer que le code de l’urbanisme et de la construction n’a pas d’effet sur les usagers du sol. Cette impression est cependant loin de la réalité. Certains pans de cette loi sont actuellement exécutés, même si d’autres ne le seront qu’avec les textes d’application en cours de finalisation. Je vous citerai une fois de plus le cas des règles en matière de lotissements prises en application de la loi 6-2019 du 5 mars 2019 portant code de l’urbanisme et de la construction qui dispose, in fine, que seuls les lotissements dans les agglomérations dotées de documents d’urbanisme approuvés pourront être autorisés. Tous les membres du gouvernement de la République concernés par l’application de cette disposition du code s’activent pour l’effectivité de cette mesure.

LDB : Que compte faire le gouvernement des zones non viabilisées, donc inhabitables, mais déjà habitées ?

JRN : Ces zones seront identifiées dans les locaux d’urbanisme comme étant impropres à la construction. Le gouvernement mettra en place les dispositions pour résoudre, au cas par cas, les habitations qui occupent ces zones. Les experts recrutés pour l’élaboration des plans locaux d’urbanisme sont en train de formuler les solutions pour la réappropriation de ces zones. Attendant donc la finalisation des plans locaux de nos villes, notamment Brazzaville et Pointe-Noire.

LDB : Un peu partout dans le monde, la tendance est aux quartiers verts, aux villes durables, aux villes résilientes, certains parlent même de villes intelligentes. Le gouvernement a-t-il une vision à court ou moyen terme de ce type de cités ?

JRN : Oui, déjà pour Brazzaville et Pointe-Noire, les schémas directeurs définissent les orientations stratégiques en matière d’environnement de ces deux agglomérations. L’une des orientations plaide, par exemple, pour faire de Brazzaville une ville de l’environnement au sens plus large du terme y compris la notion de ville intelligente. D’ailleurs, vous constaterez l’installation de la fibre optique dans tous les quartiers, alors qu’avant, les réseaux dans nos villes étaient classiques, c’est-à-dire ne concernaient que l’eau, l’électricité et l’assainissement. Aujourd’hui, s’ajoute le réseau internet par fibre optique, ce qui permet à nos villes d’être prédisposées à se transformer totalement ou partiellement en villes intelligentes.

LDB : Dans notre pays, nous faisons face à une crise de logement. Les statistiques de votre ministère font état d’un besoin de 15 000 logements par an en zones urbaines. Ceux construits jusqu’ici sont hors de prix pour les citoyens ordinaires et les ménages aux revenus modestes. Pour résorber cette situation, quelle est votre politique globale des logements, et celle des logements sociaux en particulier ?

JRN : La problématique des logements sociaux reste une question lancinante pour toutes les sociétés y compris la nôtre, particulièrement dans nos pays en développement. De manière général, l’offre en logement est largement inférieure à la demande. Jusqu’à présent, le seul promoteur impliqué dans les logements sociaux est étatique. Pour diversifier l’offre en logement, le gouvernement a fait adopter par le parlement une loi relative aux activités de la promotion immobilière et de constructions d’ouvrage de bâtiment afin de permettre aux opérateurs privés, seuls ou en partenariat à contribuer, à produire massivement les logements et, donc, à la satisfaire cette forte demande.

Malheureusement, le privé est encore frileux et l’Etat est en train de se battre seul sur cette question.

La question du logement social nécessite de compléter le dispositif législatif actuel par deux projets de loi que le ministère a déjà élaborés, dont un sur le logement social qui permettra aux législateurs de définir clairement ce qu’on entend par logement social au Congo, les modalités d’accession et de financement. Et, l’autre, de la mise en place d’un fonds national de l’habitat qui va permettre à l’Etat d’appuyer les actions entreprises par les promoteurs publics ou privés et aussi d’appuyer les acquéreurs des différentes catégories sociales en vue de l’ascension aux logements sociaux par le plus grand nombre.

LDB : Monsieur le ministre, pour terminer, une question sur votre personnalité : lorsqu’on scrute de près votre action au gouvernement, et en tant que député de Djambala, on réalise que vous êtes non seulement un boulimique du travail, mais aussi vous réalisez beaucoup d’actions à fort impact socioéconomique. Paradoxalement, vous êtes assez rare sur les médias. Qu’est-ce qui explique cela ?

JRN : C’est peut-être mon côté croyant et pratiquant qui se répercute dans mon action de commis de l’Etat, non ? Vous savez, si je puis me le permettre, il est écrit dans les Écritures saintes « Mais toi, quand tu fais l'aumône, que ta main gauche ignore ce que fait ta main droite, afin que ton aumône reste dans le secret ; ton Père qui voit dans le secret te le rendra. ». C’est, en quelque sorte, le dilemme pudeur et nécessité de communiquer sur l’action publique. Je suis toujours gêné de communiquer sur le fait que j’ai aidé à se sortir d’une difficulté mes mères, mes pères, mes sœurs et mes frères, bref, mes compatriotes. Le président de la République, le chef de l’Etat, son excellence Denis Sassou N’Guesso, ne dira pas le contraire. Lui qui passe sa vie, nuit et jour, à aider les Congolais de tous bords, sans en faire une publicité. Pour le reste, j’aurais tendance à croire que c’est à vous la presse d’aller à la pêche de l’information et de relayer au grand public ce que fait le gouvernement dans son ensemble. Vous avez la prestigieuse et noble mission de pédagogie en direction de la population. Vous devez expliquer à nos compatriotes le sens des différentes initiatives engagées par le gouvernement afin que cela suscite l’éveil des consciences et l’adhésion de la population aux mesures qui sous-tendent la mise en œuvre du processus de développement. Merci !

 

D’emblée, il faudrait définir ce qu’il peut être convenu d’entendre au travers du mot urbanisme. Parmi toutes les définitions, l’urbanisme peut être sommairement défini comme l’art de produire ou de changer la forme physique des villes, d’aménager et d’organiser les villes, une tentative d’ordonner l’espace urbain, urbanisé ou urbanisable à moyen ou long terme. C’est aussi l’une des manifestations de la volonté des autorités publiques de réguler ou d’encadrer l’urbanisation.

L’urbanisme met en œuvre une politique publique de gestion et d’utilisation des sols et de l’espace urbain. Une démarche d’urbanisme, c’est donc une volonté dans laquelle il y a le droit de l’urbanisme chargé d’encadrer, par des procédures, par des règles générales et territorialisées, toute la dynamique relative à l’occupation des sols. C’est en ce sens que nous avons des plans locaux d’urbanisme, des plans sommaires d’urbanisme, etc. Cela dit, poser un diagnostic du secteur de l’urbanisme dans notre pays, c’est en établir un état des lieux, c’est aussi en faire une analyse politique objective.

Propos recueillis par Les Dépêches de Brazzaville
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