Arabie Saoudite : l’autre route migratoire

Mardi, Décembre 14, 2021 - 21:15

Les passeurs vous promettent de gagner plus d’argent que vous n’en avez jamais rêvé, puis revenir en Afrique pour monter son entreprise.

Arrivés sur la côte somalienne, les passeurs demandent plus d'argent. Les migrants ne peuvent pas. Ils abandonnent, pour rebrousser chemin plusieurs centaines de kilomètres à travers le désert en attendant. Car on leur a promis  un bon travail et qu’ils changeront de vie facilement. De nombreux migrants africains, échouent aujourd’hui dans une des routes migratoires les plus fréquentées au monde : la « route de l'Est », vers la péninsule arabique. Loin des caméras braquées sur l'Europe, les traversées de la Méditerranée et les milliers de réfugiés actuellement massés aux frontières polonaises, cette autre route connaît un regain de fréquentation. Le voyage est périlleux, parfois fatal, à travers les déserts et certaines régions chaotiques de la Corne de l'Afrique, les eaux tumultueuses du golfe d'Aden, jusqu'au Yémen en guerre. De là, les migrants doivent traverser de nouvelles zones hostiles dans l'espoir d'atteindre l'Arabie saoudite ou d'autres États du Golfe pour y trouver du travail, en vue d’améliorer leurs conditions de vie.

La plupart n'y arrivent jamais

Des dizaines de milliers de jeunes Africains se retrouvent piégés au Yémen, incapables de payer un voyage retour, pris en otage par des passeurs ou détenus par les autorités locales. Récemment, un incendie dans un centre de détention surpeuplé de la capitale yéménite a tué des dizaines de migrants. Vingt autres sont morts noyés lorsque des passeurs ont jeté par-dessus bord des dizaines de migrants de leur embarcation surchargée en route vers le Yémen.  D’autres ne quitteront jamais l'Afrique, escroqués. Pour rejoindre le Yemen depuis l’Afrique, les migrants ont deux options. L'une via Obock, à Djibouti, mais les côtes sont surveillées et les migrants traqués. L'autre depuis Bosaso, dans le nord de la Somalie, où le contrôle est plus faible. Cette dernière est plus populaire mais aussi plus longue et plus dangereuse. Fentahun raconte que durant sa marche d'un mois entre Bosaso et Hargeisa (600 kilomètres à vol d'oiseau), il a croisé de nombreux migrants dans une situation désespérée. Certains avaient été volés ou maltraités physiquement. Tous manquaient désespérément d'eau et de nourriture. La route n’est pas sûre, elle fait peur. Beaucoup des migrants sur cette route sont parfois des adolescents seuls, dont « certains n'ont pas de chaussures », souligne Farhan Omer, employé dans un centre de l'Organisation internationale de la migration (OIM) à Hargeisa.

Nombreux  de ces migrants sont coincés à Hargeisa, désœuvrés, sans argent pour gagner Bosaso ou faire demi-tour et rentrer chez eux. Woynshat  Esheto, 35 ans, rêvait d'aller en Arabie saoudite et devenir femme de ménage. Mais elle est tombée à court d'argent. « Je suis partie pour mes enfants », explique cette mère célibataire de quatre enfants: « Je n'avais aucun moyen de les nourrir ou de les envoyer à l'école. Je n'avais pas le choix ». Les mouvements ont repris sur la « route de l'Est », après un ralentissement en 2020 en raison des fermetures de frontières causées par la pandémie de coronavirus.  En 2018 et 2019, c'était la route de migration maritime la plus fréquentée au monde. Plus de 138.000 migrants ont embarqué sur des bateaux à destination du Yémen en 2019, contre 110.000 traversant la Méditerranée la même année. Mais ces déplacements de population, qui ne touchent pas l'Europe ou l'Amérique du Nord, sont souvent ignorés.  « Ce qui est frustrant ici, c'est qu'il y ait si peu d'attention (...) Personne ne s'intéresse vraiment aux gens qui ont des problèmes dans les pays de la Corne de l'Afrique », déplore Richard Danziger, chef de mission de l'OIM pour la Somalie. 

Accroché à ses rêves d'une vie meilleure, Mengistu Amare n'est pas découragé par les périls à venir, même s'il ne sait pas grand-chose de l'endroit où il va ni de ce qui l'attend en chemin. « Je sais qu'il faut traverser la mer pour rejoindre l'Arabie Saoudite. Je ne suis jamais monté sur un bateau et je ne sais pas nager », explique cet Éthiopien de 21 ans. Mais il va tenter sa chance: « J'irais n'importe où, tant qu'il y a du travail », a-t-il déclaré.

Noël Ndong
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