Interview. Henri Ossebi: " Ce n'est que justice que la rumba soit élevée au rang de légitimité culturelle à travers l’Unesco"

Jeudi, Décembre 16, 2021 - 12:15

Les deux Congo viennent de démontrer que la rumba méritait une inscription sur la liste du patrimoine culturel immatériel de l'humanité, nécessitant une sauvegarde urgente suivant les critères exigés. Henri Ossebi, ambassadeur, délégué permanent de la Délégation permanente du Congo auprès de l'Unesco, parle de cette consécration. Interview.

Unesco, photo de groupe autour de la directrice de l'Unesco, Audrey AzoulayLes Dépêches de Brazzaville (L.D.B.) : Que constitue désormais pour vous la date du 14 décembre 2021, date du classement de la rumba congolaise au Patrimoine immatériel de l'humanité par l'Unesco ?

Henri Ossebi (H.O.) : C’est l’occasion de rendre hommage aux deux chefs d'État, celui de la République du Congo, Denis Sassou N'Guesso, et de la République démocratique du Congo, Félix-Antoine Tshisekedi-Tshilombo. Leur volonté a permis l’heureux aboutissement du dossier de candidature solide et pertinent présenté dans le respect des procédures  auprès d’une institution multilatérale du système des Nations unies par le Comité rumba du Congo, présidé au départ par feu Mfumu Fylla. Avec la contribution du Groupe Afrique auprès de l’Unesco, nous sommes plusieurs experts des deux Congo à avoir pu piloter conjointement ce projet culturel de grande envergure. Aujourd’hui, nous pouvons clamer haut et fort combien cette date symbolise désormais une reconnaissance internationale où la rumba congolaise, après avoir conquis ses lettres de noblesse sur le continent africain, emboîte le pas à sa « cousine » cubaine déjà inscrite à l’Unesco en 2016.

L.D.B. : Quels sont les critères déterminants ayant permis cette inscription ?

H.O. : Brazzaville et Kinshasa font partie du réseau des « villes créatives » de l’Unesco. Brazzaville, en particulier, est une ville de référence sur le plan musical, en tant que siège du Festival panafricain de musique en Afrique. Nous avons répondu aux cinq questions essentielles concernant la viabilité de la danse : la reconnaissance des communautés locales, l’intérêt des scientifiques pour la rumba, de même que le degré d’implication des États candidats dans sa sauvegarde et sa promotion, spécialement avec des inventaires fiables comme « pièces à conviction ». L’Unesco considère également que le patrimoine immatériel est l’ensemble des créations anonymes surgies de l’âme populaire, dont il faut assurer la sauvegarde, en impliquant les communautés de base et en tenant compte de la dimension ̏genre ̋. Entre autres critères, la rumba est un des éléments d'identification des deux Congo à l'extérieur. Cette forme d’expression musicale concerne tout un pan de la sous-région du Bassin du Congo et constitue le socle de la plupart des musiques urbaines africaines. Bénéficiant de l’apport des musiciens et artistes de pays tels que l’Angola, le Cameroun, la Centrafrique ou le Zimbabwe, la rumba est devenue un produit transversal. Son empreinte est ancienne, avec des musiciens emblématiques tels que Joseph Kabasele, Jean-Serge Essous, Nino Malapet, Franco Lwambo, Mujos, Pamelo Mounka, José Missamou, Sam Mangwana.

L.D.B. Comment percevez-vous les attentes auprès de la population ?

H.O. : Elles sont assurément multiples et légitimes de la part des artistes, mélomanes, chercheurs et du grand public. La démonstration était déjà faite en termes de présence identitaire sur la scène musicale internationale et cette reconnaissance espérée arrive à point nommé. Il est néanmoins important de préciser que cette inscription n’octroie pas au pays bénéficiaire des ressources en tant que telles. Par contre, nous veillerons particulièrement à celles relatives à la sauvegarde de l'élément rumba, c'est-à-dire tout ce qui doit être fait au niveau des politiques publiques gouvernementales en matière culturelle pour bien répertorier la rumba. La population vit au rythme de l’essor de la rumba, de son impact et de son influence qui ont traversé les limites géographiques du site où elle est née pour se répandre aujourd'hui dans toute l'Afrique. Elle influe dans l’afro-beat, le rap, le kizomba, la biguine, le zouk, le compas haïtien, le calypso, et dans beaucoup d’autres styles ou écritures musicales. Cela n’est donc que justice, plus de 70 ans après son émergence, et vu le chemin parcouru, que ce fait social, cette musique urbaine, soit élevée à un rang de visibilité et de légitimité culturelle à travers l’Unesco. Et donc, il importe de sauvegarder les origines et le patrimoine parce qu’elles sont partie intégrante de l'identité constitutive de la population présente des deux côtés du fleuve Congo.

L.D.B. : Comment comptez-vous la capitaliser ?

H.O. : Grâce à cette labellisation professionnelle internationale, la rumba pourra permettre à l’Afrique d’avoir des effets collatéraux positifs, en termes de contribution à l’écotourisme et au produit intérieur brut, et en termes d’industries culturelles. Nous mènerons un travail d’universalisation du label pour traduire les partitions. À ce jour, la plupart des rumbas sont jouées sans partition, à l’oreille, alors que les talents artistiques sont légion dans les différents instruments : à corde, à vent, les percussions, etc. Beaucoup de choses changeront, comme pour la plupart des référentiels qui sont aujourd’hui répertoriés à l’Unesco. D’abord, la visibilité internationale. Ensuite, l’effort que les Etats doivent accomplir en complément pour renforcer, par des politiques publiques volontaristes et des investissements significatifs dans le secteur culturel, la sauvegarde de toutes ces expressions qui font partie de ce que l’on appelle la création populaire. Enfin, il s’agira, pour les deux Congo, d’assurer la perpétuation de cette tradition de la rumba à travers les écoles, dans l’éducation, la professionnalisation des corps de métiers, la détection, la formation et la promotion des talents, la protection intellectuelle des œuvres, la lutte contre la piraterie, etc. La rumba pourra, en outre, contribuer à la recherche à travers des colloques ou séminaires de formation qui permettront aux Congolais et à d'autres peuples de connaître véritablement ce patrimoine et à se l'approprier au point de devenir à ce titre partie intégrante du patrimoine de l’humanité, non pas seulement pour un moment festif et un défouloir, mais également, pour un vecteur de mobilisation des consciences populaires. 

Propos recueillis par Marie Alfred Ngoma
Légendes et crédits photo : 
La photo de groupe autour de la directrice de l'Unesco, Audrey Azoulay
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