D’une perpétuelle inventivité « La plus secrète mémoire des hommes » est un roman étourdissant, dominé par l’exigence du choix entre l’écriture et la vie, ou encore par le désir de dépasser la question du face à face entre l’Afrique et l’occident. Il est surtout un chant d’amour à la littérature et à son pouvoir intemporel.
Le livre de Mbougar Sarr est dédié au romancier malien, Yambo Ouologuem, dont la figure admirée traverse le roman, telle une présence tutélaire. L’homme reste dans les annales par son roman « Le devoir de violence », volcanique et arriéré. Paru en 1968, ce récit à souffle épique questionnait les clichés sur une Afrique vierge et harmonieuse d’avant la colonisation. Il fut consécutivement porté aux nues par l’institution littéraire française qui lui avait décerné le prix Renaudot, avant d’être voué aux gémonies pour avoir ouvertement plagié ses contemporains et les classiques de la littérature occidentale. Le scandale suscité par le constat des plagiats et les procès qui ont suivi obligèrent l’éditeur à se désolidariser de l’auteur et retirer le livre des ventes. Révolté par les récriminations aux relents racistes suscités par le scandale, l’auteur retourne chez lui et s’enterra dans son village jusqu’à la mort en 2017. Le mythe est né, d’autant que les admirateurs du Malien n’ont jamais oublié son inventivité, son imagination épique et la langue bouillonnante d’ironie et de révolte. Dans les années 2000, les livres d'Ouologuem dont celui incriminé ont été republiés par son éditeur à Paris.
Sur les implications de cette réhabilitation, Mohamed Mbougar s’est expliqué sur Radio France internationale. « Il s’est écoulé assez de temps depuis l’opprobre qu’il a subi pour qu’on se réintéresse à lui vraiment comme écrivain. Le personnage est fascinant, son destin est fascinant, sa trajectoire est fascinante. Mais le plus intéressant, c’est de revenir à son texte. Et je pense que, comme écrivain, il est maintenant relu plus sérieusement. Mais on se penche aussi un peu sur ce qui s’est vraiment dit à cette époque, sur la solitude qui a été la sienne. Je pense que tout le monde a été ému quand on a annoncé sa disparition », a-t-il indiqué.
« La plus secrète mémoire des hommes » n’est pas une biographie d'Ouologuem, c’est une œuvre de fiction inspirée de la vie du Malien que nous livre Mbougar Sarr. Son héros, T.C. Elimane, connaît la gloire littéraire puis l’opprobre à la suite de la publication, en 1988, de son livre "Magnum, le labyrinthe de l’humain". Son destin maudit, qui n’est pas à rappeler celui d'Ouologuem, fit de lui un écrivain de légende. Diegane latyr Faye, un romancier sénégalais balbutiant et narrateur du livre de Mbougar Sarr, découvre ce roman à Paris à la faveur d’une rencontre érotique. Il lit d’une seule traite ce récit qui commence comme un conte et, pose des questions essentielles sur l’écriture, l’existence, l’amour.
Impressionné par le talent de cet aîné tombé dans les oubliettes de l’histoire, le jeune homme se lance dans une vaste enquête sur les heurts et malheurs de cet écrivain singulier. C’est la quête de Diegane qui est au cœur de "La plus secrète mémoire des hommes", récit magistral de la recherche du livre perdu. Les plus belles pages du livre concernant les évocations de l’Afrique profonde où Elimane a grandi, travaillé entre la résistance et les tentations du pouvoir colonial. Les récits enchâssés interrogent les ambiguïtés de la création littéraire, ses finalités et la malédiction qui l’accompagnent parfois donnent toute la mesure de la puissance narrative mêlant l’écriture et la vie, une dimension ultime de ce roman.