Culture : la langue française compte plus de mots arabes que gaulois

Vendredi, Janvier 28, 2022 - 12:49

Le lexicologue Jean Pruvost raconte comment la langue arabe s'est inscrite dans l'histoire et la langue française, et l’utilisation quotidienne de mots arabes dans cette langue. Les Français parlent beaucoup mieux l’arabe que le gaulois ! La langue française compterait en effet cinq cents mots arabes, contre seulement deux cents d’origine gauloise.

Troisième langue d’emprunt après l’anglais et l’italien, l’arabe n'a cessé d'enrichir la langue française entre le IXe siècle et aujourd'hui. Une influence née de la période où l’Espagne voisine était musulmane, puis de l’époque coloniale et, même, post-coloniale. Au départ, c'est principalement Al Andalus, l'Espagne musulmane, qui a donné de nombreux mots courants et mots savants au XIIIe siècle en français. Plus tard, la colonisation et la décolonisation ont apporté une nouvelle vague de mots, avec notamment un volet important dans le domaine de la gastronomie. De manière concrète, au petit déjeuner, on commande une tasse (mot arabe) de café (mot arabe) et un jus d’orange (mot arabe). On a sans le savoir, parlé arabe (ou plutôt français). Lorsqu’on fait un marché et qu’on achète des épinards, de l'estragon, du potiron, des artichauts..., tous ces mots sont arabes. Même le mot « artichaut » qui ne vient pas de Bretagne ! Avec l'arrivée des rapatriés d'Algérie en 1962, après la décolonisation, les mots merguez, méchouis, sont entrés dans le langage courant. On retrouve aussi beaucoup de mots arabes dans l’habillement. Lorsqu’on va dans un magasin (mot arabe), acheter une jupe (mot arabe) de coton (mot arabe), un gilet et un caban (mots arabes), on utilise des mots arabes.

Et plus récemment, de nouveaux mots arabes sont apparus avec l'immigration récente. C’est le cas du mot « bled » qui s’est tellement installé dans la langue française. Les plus jeunes s'en sont à nouveau emparés avec le mot « blédard », qui désignait celui qui débarquait de la campagne algérienne ou marocaine et qui s'installait dans la région parisienne.  Avoir le « seum », c'est-à-dire le cafard en arabe (« cafard », qui est aussi un mot arabe) a été repris en 2012 par une campagne de la sécurité routière. Les mots « chouf » ou « kiffer » sont utilisés depuis longtemps, comme dans l'expression kiff-kiff bouricot. Au début, le kiff c'était la drogue et aujourd'hui, cela désigne le fait de prendre du plaisir. Le mot toubib vient du mot toubab et veut dire médecin. Ce mot est passé dans la langue familière. « En effet, parler français, c’est parler arabe beaucoup plus que gaulois... Le gaulois, c'est à peine un centaine de mots. Pour l'arabe, on est à cinq cents mots et même davantage si l'on compte les mots savants du côté de la faune et la flore. Un enfant qui part faire de l'algèbre et de la chimie dans son collège est dans le monde arabe », explique Jean Pruvost.

L'arabe beaucoup mieux parlé par les Français que le gaulois

Pour  l’historien, « c’est un fait… et c’est passionnant ! Nous, Français, maîtrisons mieux la langue arabe que celle de nos supposés ancêtres ». Les Français parlent beaucoup mieux l’arabe que le gaulois. La langue française compterait en effet cinq cents mots arabes, contre seulement deux cents d’origine gauloise. « Nos dictionnaires comptent entre quatre cents et cinq cents mots d'origine arabe, contre cent cinquante d'origine gauloise », déclare le lexicologue et historien.

« Le matin, je prends mon café dans une tasse, avec un sucre, et un jus d'orange ». Cette phrase pourrait être prononcée chaque matin par des millions de Français. A l’arrivée des Romains en Gaule, le latin a absorbé le gaulois. La langue gauloise va disparaître au contact des Romains, de « bons » colonisateurs. Après les invasions germaniques, le français va emprunter de nombreux mots aux Germains. « C'est là qu'une grande partie de la langue française se crée, c'est son noyau. Ensuite, elle va emprunter ailleurs », poursuit le lexicologue. C'est alors que les Arabes entrent en jeu. Lorsqu'ils s'installent en Europe, notamment à Cordoue (Espagne) qui devient la capitale de leur califat, ils font étalage de leurs savoirs, notamment en sciences, en mathématiques ou en chimie. Par les voies intellectuelles et commerciales, les mots arabes arrivent dans le vocabulaire français.

Le dynamisme de l'espace linguistique francophone vient d’Afrique. Près de 60 % des locuteurs de français vivent en Afrique et au Proche-Orient (44 % en Afrique subsaharienne et dans l’océan Indien et 15% en Afrique du Nord et au Proche-Orient) ; 33 % vivent en Europe, dont environ 28 % en France ; 7 % vivent en Amérique et  0,3 % en Asie et Océanie. La France n’est  donc pas au cœur de la francophonie puisqu’à peine plus du quart des francophones sont Français. Avec au total trois cents millions de locuteurs, le français est la sixième langue la plus parlée au monde après le mandarin (1,385 milliard), l'anglais (1,132 milliard), l’hindi (615,4 millions) l'espagnol (534,3 millions) et l'arabe (512,8 millions).

Noël Ndong
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