Le groupe de travail sur la décolonisation de l’espace public en Région de Bruxelles-Capitale (RBC), constitué de seize membres, a présenté sa méthode de travail, son rapport et ses conclusions, le 17 février, dont les recommandations pour la décolonisation de cet espace.
Le groupe de travail, convoqué en septembre 2020 par Pascal Smet, secrétaire d’État belge à la Région de Bruxelles-Capitale et chargé de l’urbanisme et du patrimoine, a remis son rapport à Rachid Madrane, président du Parlement bruxellois, et à Pascal Smet. Fruit de quinze mois de recherches, réflexions et débats de la part des experts désignés à cet effet, ce rapport de 256 pages, explique-t-on, dresse un cadre de réflexion et émet une série de recommandations à l’attention du gouvernement bruxellois.
Ce groupe de travail avait été mis en place à la suite des manifestations mondiales contre le racisme anti-noir, en réaction au décès de George Floyd le 20 mai 2020, et de nombreuses contestations – initiées depuis fort longtemps par les associations d’Afrodescendants – exprimées à l’égard de monuments commémoratifs et dans un cadre général de réflexion sur la colonisation belge et ses conséquences. A cette occasion, le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale avait décidé de mandater un groupe de travail pour entamer la réflexion nécessaire sur les « symboles liés à la colonisation et à la période coloniale présents dans l'espace public de la Région de Bruxelles-Capitale » afin de proposer un cadre d'analyse et d'action aux autorités de cet espace.
Différentes possibilités pour les symboles coloniaux érigés intentionnellement
Afin de décoloniser l'espace public, le groupe de travail propose différentes possibilités pour les symboles coloniaux érigés intentionnellement. Pour ce faire, il distingue trois options temporaires axées sur le dialogue social, l'interprétation, la problématisation et parfois la recherche de scénarios, et trois options pour des interventions à long terme, de plus grande envergure, qui ne visent pas à l'effacement mais à la transformation des supports de mémoire dans le paysage urbain. « Le groupe de travail souligne l'importance de la préservation et de la gestion des traces et vestiges historiques en tant que documents et points d'ancrage urbains pour une mémoire historique critique publique et pour une conscience décoloniale. Dès lors, le groupe de travail ne recommande pas forcément la suppression ou le déplacement des symboles coloniaux, et leur destruction éventuelle ne peut être qu'exceptionnelle et doit être dûment argumentée. Par ailleurs, il estime nécessaire de valoriser les traces et vestiges qui indiquent et racontent la présence historique des Congolais, des Rwandais et des Burundais en Belgique », indique le rapport.
Création de nouveaux monuments
Dans la perspective de créer un espace public plus inclusif, fait savoir le rapport, le groupe de travail propose la création de nouveaux monuments et d'inscriptions commémoratives symboliques afin de permettre la représentation de récits, notamment historiques qui seraient actuellement absents, tant par rapport au passé colonial qu'à la diversité de la société actuelle. « Le groupe de travail est toutefois conscient que l'érection de nouveaux monuments est beaucoup moins courante aujourd'hui qu'elle ne l'était au XIXe siècle et jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Il convient surtout d'éviter la reproduction de nouveaux stéréotypes dans la sélection des personnes ou des thèmes à représenter, ainsi que dans leur représentation visuelle. Aussi l'art dans l'espace public – plus large que la simple demande de nouveaux monuments – peut constituer un vecteur critique de transformation décoloniale en particulier en intégrant le travail d'artistes d'origine africaine subsaharienne », souligne le rapport.
Dissimuler la statue de Léopold II ou la retirer
Pour finir, le groupe de travail propose des recommandations concrètes pour une sélection de monuments commémoratifs et de traces dans la Région de Bruxelles-Capitale, avec un ou plusieurs scénarios d'intervention ciblés qui illustrent les différentes stratégies de décolonisation de l'espace public. Ainsi, pour la statue équestre de Léopold II sur la place du Trône, le groupe recommande, dans une première phase, qu’une construction temporaire soit élevée qui dissimule la statue et qui serve aussi de support pour des informations sur l’histoire coloniale belge et sur le processus d’intervention sur ce site, ou que la statue soit retirée de son socle et que ce socle vide soit utilisé pour des interventions artistiques temporaires. « Puis, comme transformation permanente, le premier scénario que nous recommandons est de fondre la statue, le bronze fondu servant à la réalisation d’un mémorial commémorant les victimes de la colonisation; le deuxième scénario consisterait à déplacer la statue et établir sur l’espace libéré un nouveau narratif sur l’histoire coloniale, peut-être faisant référence à des traces et vestiges dans la proximité du site », recommande le groupe.
Un réaménagement thématique global du parc du cinquantenaire
Pour l'ensemble du parc du cinquantenaire, en tant qu’articulation urbaine entre Bruxelles et Tervuren avec ses nombreux mémoriaux coloniaux, mais aussi comme lieu de l'histoire aujourd'hui invisible des Congolais en Belgique, les membres du groupe de travail recommandent un réaménagement thématique global. « Cela permettra de valoriser et de problématiser les différents objets du patrimoine in situ. Pour le Monument aux premiers pionniers belges (également inauguré en 1921) dans le Parc du cinquantenaire, nous recommandons de le renommer "Monument pour la déconstruction de la propagande coloniale belge" et de le déconstruire visuellement et dans son contenu », indique le rapport.
Quant au Monument aux pionniers coloniaux d'Ixelles, en revanche, le groupe de travail considère que l'implication locale de la commune d'Ixelles et de ses habitants est importante. Pour ce faire, il recommande que le monument sculptural soit transféré dans un musée, à Ixelles si possible, mais surtout dans un lieu permettant une analyse de la représentation stéréotypée et racialisée de la femme Mangbetu. « À la place du monument, nous proposons de placer une œuvre en hommage à une ou plusieurs femmes congolaises », souligne le rapport.
La décolonisation au sens large
Pour le groupe de travail, la décolonisation de l'espace public (problématisation des présences, mise en évidence des absences) ne peut se faire toutefois sans une prise de conscience générale de ce qu'a été la colonisation et ses conséquences jusqu'à aujourd'hui. Ainsi, le groupe recommande donc la création d'un centre de documentation/musée sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale en tant que ville (post-) coloniale; d'un mémorial pour commémorer les victimes de la colonisation; et d'une décharge centralisée en plein air pour certains objets commémoratifs qui seraient retirés de l'espace public. « Le processus de transformation de l’espace public et le dialogue civil qu’il nécessite doivent être participatifs et avant tout inclusifs », conclut le groupe.