Les embargos sur les armes peuvent s’avérer efficaces mais nécessitent l’adhésion des organisations régionales et internationales, un contrôle adéquat et l’application de sanctions suffisantes à ceux qui les contournent, selon une étude du Centre d’études stratégiques de l’Afrique (CESA).
La feuille de route de l’Union africaine (UA) visant à « faire taire les armes » d’ici à 2020, désormais étendue jusqu’à 2030, prévoit de faire des embargos sur les armes un pilier stratégique et appelle à une meilleure coordination nationale, régionale et internationale. Le but étant de priver les groupes armés de tout accès aux armes, à la finance et aux autres moyens de faire la guerre. Ces embargos ont longtemps fait partie d’une panoplie d’instruments utilisés pour mettre fin aux conflits les plus meurtriers en Afrique (Angola, Côte d’Ivoire, République démocratique du Congo, Congo, Liberia, Rwanda, Somalie, Sierra Leone, Soudan du Sud et entre l’Éthiopie et l’Érythrée). Au-delà des armes, ces embargos ont eu pour objectif d’entraver l’accès aux ressources naturelles, notamment aux diamants; d’interdire les déplacements; de geler des actifs et de punir plus strictement les coupables qui tirent profit de la guerre. Ils n’ont malheureusement pas toujours le résultat escompté. Des tiers, présents dans la région et au-delà, participent parfois activement à la violation des embargos, réduisant de fait leur efficacité, selon l’étude du CESA.
Les Nations unies ont dénoncé récemment des violations "manifestes et de grande ampleur" de l'embargo sur les armes décidées en Libye, accusant précisément la Russie et la Turquie d’avoir vendu des armes sous embargo (drones, avions de transport, missiles sol-air, pièces d’artillerie et véhicules militaires blindés) à différentes factions impliquées dans les combats, alors même que ce pays se préparait à des élections. La Centrafrique est confrontée à une situation similaire, entre quatorze groupes armés. En dépit d’un embargo sur les armes édicté en 2013 par les Nations unies, les armes, les équipements militaires et l’argent continuent de circuler en direction de différents groupes, notamment au bénéfice d’une coalition de six milices formée en 2020 qui contrôle toujours une partie du territoire centrafricain. Ces embargos sont régulièrement violés, mettant à mal l’engagement du continent à « faire taire les armes ».
L’embargo un épineux problème : le cas de la RDC
« Les réseaux complexes et sans cesse changeants des acteurs ainsi que la versatilité des intérêts et des dynamiques de pouvoir en jeu dans ces conflits ne sont pas toujours pris en considération dans les décisions d’embargos sur les armes », écrit l’étude. Dans d’autres cas, les acteurs visés ont tiré profit de la complexité des conflits pour mettre en place des stratégies de contournement. Les milices de la République démocratique du Congo (RDC), par exemple, auront réussi à se procurer des armes au travers d’arrangements avec des tiers en échange de minéraux, ce qui leur aura permis de mener des transactions en dehors du système bancaire officiel, d’échapper complètement aux sanctions et d’être enhardis par cette impunité. D’autre part, le NDC-R, un groupe de rebelles qui avait réussi à contrôler la majeure partie des territoires dans les provinces du Kivu, s’est effondré en 2020 après que son chef, Guidon Shimiray Mwissa, a été inscrit sur la liste des Nations unies pour des violations à grande échelle des droits humains. Son adjoint l’a écarté de son poste à responsabilité, indiquant que son inscription sur cette liste noire constituait un obstacle à l’intégration de milliers de combattants du groupe dans les forces armées congolaises.
La porosité des frontières, l’insuffisance voire l’absence de moyens étatiques mais aussi la corruption comptent également parmi les responsables de ces défis à l’application de ces sanctions. Le rapport du Groupe d’experts de l’Organisation des Nations unies sur la RDC, publié en juin 2020, indique que les chefs des milices, pour échapper aux sanctions, mettent en place des systèmes d'échanges parallèles et ce, dans une mesure telle que les volumes d’or passés en contrebande dans cette zone ont été considérablement plus importants que ceux négociés en toute légalité. L’insuffisance des moyens étatiques s’étend à l’immigration et à son contrôle. À titre d’exemple, les autorités douanières congolaises ne disposant pas des équipements nécessaires pour repérer les documents de voyage frauduleux, n’ont pu interdire le déplacement des personnes concernées. D’autre part, de nombreuses cargaisons d’armes illicites sont expédiées dans un pays cible sans plus de précautions, du fait du laxisme de la surveillance. Plusieurs groupes d’experts des Nations unies déplorent la méconnaissance générale des citoyens et des gouvernements quant au mode d’application des sanctions et quant à l’objectif poursuivi.
« Les contrevenants peuvent ainsi continuer leurs activités sans crainte de sanctions, le risque d’être identifié et jugé étant considéré comme faible », déplore le rapport. Les embargos sur les armes peinant ainsi à avoir un véritable effet en raison de cette dynamique de fond, et une partie du problème résidant dans les moyens étatiques, dans la volonté politique, et la grande diversité des situations d’un pays à l’autre rendant toute coordination difficile, alors qu’elle dépend de la plus ou moins grande efficacité des embargos.