Lire ou relire : « Le cercle des tropiques » d’Alioum Fantouré

Jeudi, Mars 3, 2022 - 18:27

Le livre hurle la douleur, la souffrance d’une jeunesse victime des injustices. Construit comme un thriller politique, le roman « Le cercle des tropiques » pointe du doigt les maux qui minent l’Afrique contemporaine, dont la corruption, l’incompétence des dirigeants, le culte de la personnalité, les atteintes aux droits humains.

Original par sa thématique qui demeure toujours d’actualité et explorée jusqu’alors dans la fiction africaine, ‘’Le cercle des tropiques’’ continue de frapper par son audace. En creusant, c’est une radioscopie d’une Afrique qui s’offre aux lecteurs, avec un cryptage fin, tout en nuance et tranche d’un système de gouvernance ou régime dictatorial qui ankylose toute l’Afrique. A ce titre, le style du roman n’échappera pas aux tenants de la réflexion actuelle.

Dans le processus de l’évolution de la littérature africaine, ‘’Le cercle des tropiques’’ s’inscrit dans la trame du "nouveau roman politique" créé par les romanciers de la seconde génération. Ce roman paru en 1972 emprunte les formes du réalisme pour démontrer les mécanismes du parti unique dans un pays fictif, " Les marigots du sud", à la faveur de l’indépendance, par lesquels se maintient, sur tout un peuple, l’autorité généralement décriée d’un potentat nommé Baré Koulé. En effet, " Le cercle des tropiques" est l’une des premières œuvres à faire le procès des dictatures tropicales consécutives aux indépendances des Etats africains. Avec une tonalité acerbe, Alioum Fantouré  fustige les maux de ce continent et de ses dirigeants à travers l’évocation de la vie dans l’imaginaire république "Les marigots du sud".

Pratiquement toutes les thématiques si chères aux écrivains du chaos et à leurs successeurs sont présentées et abordées, dont la corruption, l'incompétence des dirigeants, le culte de la personnalité, les atteintes aux droits humains, bref tout ce qui fait la définition d’une dictature digne de ce nom. D’ailleurs, il est difficile de ne pas y voir une critique en filigrane des pays africains, avec la prise du pouvoir par la force de la manigance et de meurtres. Le narrateur, Bohi Di, nous raconte la vie après les indépendances dans ce pays imaginaire où, après le remplacement de l’administration coloniale par celle de Baré Koulé, le peuple de ce pays imaginaire a l’impression de vivre un cauchemar. Dans " Le cercle des tropiques", le héros Bohi Di prend conscience de la dictature impitoyable et délirante d’un potentat protégé non pas par l’armée dont il se méfie, mais par une milice totalement acquise au dictateur. Emprisonnement de masse, torture quotidienne, le peuple est habité par la peur de la délation. Ce pays de terreur, de crimes contre l’humanité n’est pas sans rappeler parmi tant d’autres des dictatures comme celle de Bokassa en Centrafrique, Mobutu en République démocratique du Congo, Sékou Touré en Guinée.

Le peuple coule sous le poids de la misère et de la terreur sans avoir la moindre occasion de s’en sortir. Pourtant, certains hommes osent aspirer à la liberté. Dans cette lutte pour une réelle indépendance et dignité, beaucoup ont perdu la vie. Vaut-il mieux vivre dépendant et constamment apeuré ou nourrir en essayant de conquérir sa liberté ? C’est dans " Le cercle des tropiques" que l’Afrique décadente est offerte en spectacle, cette Afrique du non-sens, où la désillusion y est patente, car de nombreux Prométhée africains, apparus aux premières heures des indépendances, sont devenus des César noirs ou des Néron nègres.

Alioum Fantouré est né en 1938 à Forecariah, en Guinée Conakry. Après ses études de sciences économiques en France et en Belgique, il a travaillé comme économiste dans différents organismes de coopération internationale, notamment à la Communauté économique européenne à Bruxelles. 

Cissé Dimi
Légendes et crédits photo : 
La couverture du roman
Notification: 
Non