Culture : une langue disparaît tous les quinze jours

Vendredi, Mars 18, 2022 - 12:14

La disparition des langues n’est pas un phénomène nouveau, mais elles s’éteignent au rythme d’environ vingt-cinq par année, et le XXIe siècle voit la cadence s’accélérer.  Le linguiste français, Claude Hagège, appréhende les langues comme des « espèces naturelles vivantes » susceptibles de mourir et de ressusciter.

« Une vieille dame de 94 ans est morte en 1987, à Pala, en Californie. Elle était la dernière à connaître le cupeño[...] Les vieillards s'en vont, les langues aussi », déplore Claude Hagège. La moitié des  7000 langues actuelles auront disparu dans un siècle, emportées par la grande machine à communiquer. Les langues, explique-t-il, sont un peu comme les espèces animales : elles vivent, meurent, cèdent aux assauts des prédateurs. « Ce ne sont pas seulement des mots qui s'envolent avec chacune d'elles. C'est une histoire, une mémoire, une manière de penser. Un peu de notre humanité », dit-il.

Une langue disparaît tous les quinze jours, soit vingt-cinq chaque année. « Faites le compte : dans un siècle, si rien n'est fait, nous aurons perdu la moitié de notre patrimoine linguistique, et sans doute davantage à cause de l'accélération due aux prodigieux moyens de communication. Ce phénomène affecte les langues indonésiennes, néo-guinéennes et africaines (plus de la moitié des 860 langues de Papouasie-Nouvelle-Guinée sont en voie d'extinction, la moitié des 600 langues indonésiennes est moribonde), mais il concerne aussi les autres langues de la planète, menacées par l'anglo-américain. C'est un véritable cataclysme, qui se produit dans l'indifférence générale », s’exclame le linguiste.

La disparition d’une langue, c’est la perte des textes,  d’un pan entier de nos cultures qui tombe, une manière de comprendre la nature, de percevoir le monde, de le mettre en mots. C’est aussi la disparation d’une poésie, d’une façon de raisonner, un mode de créativité. Il s’agit là d’un appauvrissement de l'intelligence humaine. « Prenez les langues dites "à classes", comme les langues africaines, qui désignent les objets en les rangeant par catégories: longs, ronds, comestibles, non comestibles, etc. Eh bien, nous perdons ces précieuses classifications que l'esprit humain avait conçues pour ordonner l'univers, ainsi que la connaissance d'espèces vivantes », décrit Claude Hagège. 

Les langues africaines en péril

Au moment de la chute de l’apartheid, le gouvernement sud-africain avait élevé onze langues au rang de langues officielles - neuf langues africaines à côté de l’anglais et de l’afrikaans (les langues de la population blanche). Mais parmi la bourgeoisie noire de Johannesburg, l’anglais, synonyme de progression sociale, se substitue souvent aux autres langues, au point que certains doivent reprendre des cours de leur langue maternelle à leurs enfants. Cette « inculture » est aussi présente et inquiétante dans la diaspora africaine francophone et en Afrique centrale, où les enfants parlent peu les langues de leurs parents. Par exemple, il n’existe aucun magazine de qualité en langue africaine dans l’espace francophone. Même pas en lingala. Les enfants se sont souvent  presque mis à l’écart lorsque leurs parents parlent leur langue maternelle. La faute reviendrait aux parents et des politiques linguistiques des gouvernements. La concentration de langues en danger est particulièrement forte dans les régions du monde qui présentent aussi la plus grande diversité linguistique, c’est-à-dire la Mélanésie, l'Afrique subsaharienne et l'Amérique du Sud.

La mobilisation des communautés reste essentielle. Le réveil en faveur d'une langue en danger passe aussi par des élites qui, parfois éloignées de leur pays d'origine, éprouvent le besoin de transmettre leurs origines à leurs enfants. A l'heure où le global english semble en passe de dominer le monde, maintenir ou revitaliser une langue quand ses locuteurs n'ont plus de relations entre eux pose problème. D’où relancer une écologie linguistique saine pour faire face au péril de 2511 langues recensées par l’Unesco. Cécile Duvelle, chef de section du patrimoine immatériel de l'Unesco, résume : « Les langues sont vivantes. Certaines meurent, d'autres naissent. Ça bouge ». Elle décèle « une préoccupation grandissante des Etats ». 

Noël Ndong
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