Pourparlers de paix à Nairobi : une dernière chance accordée aux groupes armés

Lundi, Avril 25, 2022 - 19:45

Décidément, le dernier passage du président de la République, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, dans la capitale kényane, aura laissé des traces. Les discussions engagées le 21 avril, à Nairobi, en marge du sommet des chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté des États d’Afrique de l’est (CAE), se sont notamment cristallisées autour des violences des groupes armés qui sévissent à l'est de la Républiique démocratique du Congo (RDC).

Le président Félix Tshisekedi, ses homologues Yoweri Museveni de l’Ouganda, Evariste Ndayishimiye du Burundi, Uhuru Kenyatta du Kenya et le ministre rwandais des Affaires étrangères représentant Paul Kagame, ont saisi l' opportunité pour entrevoir, sur la base des échecs des programmes précédents, de nouveaux schémas susceptibles de ramener définitivement la paix à l’est de la RDC en proie aux violences récurrentes. C’est sur ces entrefaites qu’une rencontre consultative entre le gouvernement congolais et les groupes rebelles, présentée comme « un rendez-vous crucial pour l’issue du conflit à l’est»,  a été convoquée.  Le 22 avril, le président Félix-Antoine Tshisekedi, pourtant présenté la veille comme le principal interlocuteur de ces groupes armés, a regagné Kinshasa le même jour, laissant le groupe d’experts désigné à cet effet poursuivre le processus sous la facilitation du pays hôte, avec l’assistance du bureau de l'envoyé spécial du secrétaire général de l'ONU.

La partie gouvernementale est bien représentée à ces discussions. On note dans les rangs la présence du mandataire spécial Serge Tshibangu, du coordonnateur du Mécanisme national du suivi des accords, Claude Ibalanky, et du conseiller militaire du chef de l'Etat, le général François Kabamba. Un secrétariat technique coprésidé par la RDC, le Kenya par l'envoyé spécial du président Uhuru Kenyatta ainsi que par les délégués de chaque pays membre de la CAE est à pied d’œuvre pour recenser les revendications des groupes armés locaux actifs particulièrement au Nord-Kivu, sud-Kivu et en Ituri.

Ni négociations ni compromission

Le chef de l‘Etat congolais n’a pas quitté Nairobi sans pour autant exprimer ses attentes en rapport avec ce dialogue. Pour Félix-Antoine Tshisekedi, « cette main tendue envers des compatriotes engagés dans une lutte armée contre leur pays n'est pas une table ronde de négociations ni de compromissions ». Ce processus, dans son entendement, devrait s'inscrire dans la droite ligne du Programme DDR-CS qui définit les limites du tolérable.

Il a également plaidé pour la matérialisation du processus de reddition inconditionnelle qu'il considère, par ailleurs, « comme une dernière chance donnée à ces groupes armés locaux à déposer immédiatement les armes et à s'engager dans le processus de réinsertion sociale ». Faute de quoi, « l'option militaire régionale soutenue par tous va les y contraindre ».

Autre attente du chef de l’Etat, un cessez-le feu immédiat assorti de la présentation par chaque groupe de la structuration de son mouvement (cadres, effectifs des troupes combattantes et type d'armes) en vue de préparer les conditions de leur prise en charge après la reddition inconditionnelle et la réinsertion sociale.

Quant aux groupes armés étrangers agissant dans la région, il est à noter qu’une des résolutions du sommet de la CAE a consisté à mettre en place une force régionale pour les neutraliser « avec effet immédiat ». Ces groupes armés étrangers ont aussi été appelés à déposer les armes immédiatement et à rentrer dans leurs pays d'origine respectifs.

Ouverte le 22 avril dans un hôtel de Nairobi après un premier report à la suite des difficultés logistiques et ce, en présence de toutes les parties (facilitation, groupes armés, observateurs et experts du gouvernement), la séance inaugurale a été marquée par quelques interventions dont celle du mandataire spécial du chef de l’Etat à ce forum, Serge Tshibangu. Ce dernier a transmis aux participants le message du chef de l'Etat, Félix-Antoine Tshisekedi Tshilombo, qui exhorte les groupes armés actifs à l'est à profiter de l'actuel mécanisme PDDR-CS pour intégrer la vie sociale.

Raison identitaire et d’autodéfense    

Pourtant parties sur des chapeaux de roue, ces consultations sur la paix entre le gouvernement de la République et les groupes armés ont connu leur premier couac le samedi en début de soirée. A la base, la reprise des hostilités par le M23 dans le Nord-Kivu. Les délégués du gouvernement ont, de ce fait, exigé et obtenu de la facilitation kényane l'expulsion immédiate de la salle du M23/ Makenga.

L’acte 2 s’est joué le 24 avril avec la présence de groupes armés  supplémentaires; arrivés la veille dans la soirée à Nairobi. Ils sont venus du Sud-Kivu dans les territoires d'Uvira, de Fizi, de Mwenga et du plateau de Minembwe. Les travaux s’étaient focalisés notamment sur la compilation des revendications (cahiers des charges) de chaque belligérant, en plus de la cartographie et de l’identification de tous ces mouvements rebelles. 

Toutes les parties (gouvernement, observateurs et groupes armés) ont favorablement accueilli le message d'encouragement leur transmis par le porte-parole du secrétaire général des Nations unies. « Le secrétaire général prend note de l'approche à deux volets décidée par le conclave des chefs d'État, y compris la formation d'une force régionale et la refonte d'un processus politique inclusif », pouvait-on lire dans le message du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres. Ce dernier a souligné la nécessité d'une coordination efficace entre la force régionale et la Monusco, indispensable pour assurer la protection des civils.

Pour l'essentiel, tous leurs représentants ont évoqué des raisons identitaires et d'auto-défense face à ce qu'ils qualifient, de manière unanime, de "prédateurs étrangers". Beaucoup aussi parmi lesdits groupes armés souhaitent leur intégration avec la reconnaissance de leur grade dans l'armée régulière ainsi qu'une bonne prise en charge pour ceux qui auront choisi la vie civile. Disposés à faire avancer ce processus, ils se disent néanmoins prêts à faire des concessions, s’il le faut, au nom de la paix.  Constellé par une centaine de groupes armés, l’est de la RDC est l’une des régions les plus instables et meurtries du continent africain. Le processus de dialogue engagé avec les groupes armés locaux a pour objectif de trouver une solution définitive et durable à l'insécurité qui y plane depuis des lustres.

 

Alain Diasso
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