Interview. Ingrid Olga Ghislaine Ebouka-Babackas: " Nos rapports avec la Banque mondiale et la BAD sont fructueux"

Vendredi, Avril 29, 2022 - 16:15

Partenaires de longue date du Congo, la Banque mondiale et la Banque africaine de développement (BAD) ont exprimé, il y a quelques semaines, leur disponibilité d’accompagner Brazzaville dans la mise en œuvre du Plan national de développement 2022-2026. Les deux institutions financières appellent en même temps le gouvernement congolais à poursuivre les réformes dans les secteurs porteurs pour soutenir ce nouveau challenge. Dans un entretien exclusif accordé aux Dépêches de Brazzaville, la ministre de l’Economie, du Plan, de la Statistique et de l’Intégration régionale, Ingrid Olga Ghislaine Ebouka Babackas, revient sur les principaux axes de cette coopération indispensable au succès de l’action gouvernementale pour le compte du département dont elle a la charge.    

Les Dépêches de Brazzaville (L.D.B.): Madame la ministre, à la fin du mois de mars dernier, vos échanges avec les responsables régionaux de la Banque mondiale (BM) et de la Banque africaine de développement (BAD) ont été marqués par la signature d’accords et les promesses de soutien au Plan national de développement (PND) 2022 – 2026. Peut-on parler d’un regain de confiance des deux  institutions envers le Congo ? Si oui, comment l’expliquez-vous ?

Ingrid Olga Ghislaine Ebouka Babackas (I.O.G.E.B.) : On ne peut pas parler de regain de confiance, le Congo a toujours entretenu de bonnes relations avec les institutions de Bretton Woods (Fonds monétaire international (FMI) et BM) et les autres partenaires techniques et financiers (PTF) dont la BAD.

Avec la BM, la coopération remonte à l’année 1967. Depuis, elle a réalisé au total 71 programmes en co-financement en République du Congo, dont l’âge moyen des projets est de 4,5 ans, pour un montant cumulé d’environ 1500 milliards de FCFA. Actuellement, nous avons un portefeuille important constitué de plusieurs projets dont quinze sont exécutés au niveau national et un au niveau régional, pour un montant de 562 millions de dollars, soit 318 milliards de FCFA. Par ailleurs, la BM envisage de mettre en œuvre d’autres nouveaux projets comme le projet de développement du capital humain (100 millions de dollars), le projet de santé « Kobikissa» (100 millions de dollars) et un appui budgétaire de 100 millions de dollars. Ainsi, on peut donc affirmer sans ambages que la BM est parmi nos meilleurs partenaires techniques et financiers.

Concernant la BAD, les relations avec l'institution sont au beau fixe. Nous avons un partenariat stratégique qui participe à la matérialisation des projets d’infrastructures dans le cadre de l’intégration sous-régionale. Le portefeuille de la BAD dans notre pays est constitué de dix projets, le plus important, en terme de montant, étant le Projet de développement intégré des chaînes de valeurs agricoles au Congo, avec plus de 100 millions de dollars.

Souvenez-vous qu’en début mai 2021, le Dr Adesina Ayodeji Akinwumi, président du Groupe de la BAD, avait effectué une importante visite de travail au Congo. Il avait été reçu avec sa délégation à Oyo par  le président de la République, chef de l’Etat, Denis Sassou N’Guesso.

Sur son instruction, une équipe d’experts de la BAD et de l’Institut international de l’agriculture tropicale, conduite par le directeur général de la BAD en Afrique centrale, avait séjourné dans notre pays du 1er au 9 juin 2021 pour élaborer l’agenda de transformation de l’agriculture congolaise.

Il convient aussi de rappeler que notre pays a accueilli, du 21 au 25 mars 2022, une mission de haut niveau de la BAD pour évaluer la qualité des programmes d’appui de la banque aux pays membres. Au cours de celle-ci, les administrateurs ont eu des échanges avec les autorités congolaises sur les questions comme l’état de la coopération Congo-BAD ;  les piliers du PND 2022-2026. Et il a été acté que le Congo abritera, en 2026, les assemblées annuelles de la BAD à Brazzaville.

Les administrateurs de la BAD ont apprécié favorablement la ferme volonté du gouvernement congolais d’opérer une transformation structurelle et de diversifier son économie à travers la mise en œuvre des six piliers du PND 2022-2026.

En conclusion sur ce point, nous pouvons donc dire qu’après la promulgation par le président de la République de la loi portant PND 2022-2026, une économie forte, diversifiée et résiliente pour une croissance inclusive et un développement durable irréversible, la visite du vice-président de la BM et des administrateurs de la BAD constitue des signaux forts pour la matérialisation des ambitions assignées à ce programme de développement.

L.D.B.: Deux accords de financement d’un montant de 13 millions de dollars (7,6 milliards FCFA) ont été signés, le 30 mars à Brazzaville, avec la BM. Parlons de celui relatif au Projet de renforcement des capacités en statistiques chiffré à dix millions de dollars (5,8 milliards FCFA). Concrètement, qu’est-ce que la modernisation du système statistique national peut apporter à notre pays ?

I.O.G.E.B.: La modernisation du système statistique national est un impératif pour tout pays soucieux du développement économique et social. L’intérêt de moderniser ce système tient à la nécessité de fonder les décisions politiques sur la connaissance réelle de la situation socio-économique. En effet, on ne peut mener une politique économique réussie si les données statistiques censées décrire la situation du pays ne sont pas fiables. Les statistiques constituent pour ainsi dire la véritable boussole pour tout gouvernement qui aspire à œuvrer pour le bien être de sa population.

Et, tirant les leçons des contreperformances du PND 2018-2022, le gouvernement entend mettre un accent particulier sur cette question fondamentale. Disposer d’un appareil statistique moderne et performant, capable de produire des données de qualité dans les délais, devient pour le Congo un impératif pour assurer la mise en œuvre efficiente des projets et programmes en se fondant sur des faits. Dans cette perspective, le ministère en charge de la Statistique soumettra dans les tout prochains jours, pour approbation en Conseil des ministres, la stratégie nationale de développement de la statistique 2022-2026.

L.D.B.: De son côté, la BAD insiste sur la planification des projets pour mieux accompagner le Congo.  Elle a promis de concevoir le document de stratégie pays à l’appui du PND, mais rappelle la nécessité de renforcer les réformes entreprises dans le cadre du programme avec le FMI. Est-on en passe de réussir ce pari ?

I.O.G.E.B.: Le 22 janvier 2022, le Conseil d’administration du FMI a approuvé un accord de programme sur trois ans au titre de la Facilité élargie de crédit (FEC), pour un montant équivalent à 324,0 millions de DTS, soit environ 455 millions de dollars (263 milliards de FCFA) afin d’aider le pays à préserver sa stabilité macroéconomique et à favoriser la reprise économique. La FEC est assortie des conditionnalités dont une série de réformes à mettre en œuvre par la République du Congo.

Pour réaliser ces réformes, le gouvernement a sollicité, auprès de la BM et de la BAD, des appuis budgétaires afin de juguler les tensions de trésorerie, combler le gap de financement et surtout honorer certains engagements extérieurs. Ceci est d’autant plus important que les mesures envisagées pour déclencher l’appui budgétaire devraient permettre au pays de rétablir notamment la viabilité budgétaire et opérer la transformation structurelle de l’économie. Ces mesures sont en adéquation avec les objectifs du PND 2022-2026.

La demande de la BAD nous amène à renforcer la discipline dans la gestion des finances publiques, à s’attaquer aux problèmes qui minent le bon fonctionnement de l’administration. Il s’agit pour le gouvernement de capitaliser et de viabiliser tous les leviers ainsi que les amortisseurs qui permettent de consolider la stabilisation macroéconomique, et de créer les conditions d’un environnement favorable aux affaires.

L.D.B.: Le PND est une grande ambition de développement national à travers laquelle le Congo envisage de diversifier son économie autour de six axes prioritaires : agriculture, numérique, tourisme, immobilier, industrie et Zones économiques spéciales. En dehors des appuis extérieurs, quelles sont les dispositions prises au plan national pour financer ce programme ?

I.O.G.E.B.: Dans l’ambition d’impulser un développement équilibré, inclusif et durable à travers le PND 2022-2026, le gouvernement, après avoir élaboré le schéma de financement du PND, est en train de finaliser la stratégie de financement, c’est-à-dire de mobiliser des ressources financières suivant les trois principales sources de financement identifiées (Etat, mixte, privé) pour opérationnaliser cet important programme de développement qui couvre 343, répartis en 27 programmes, le tout pour un coût global de 8 962 450 millions de FCFA.

Le financement du PND se fera par le biais de la mise en œuvre d’une stratégie ambitieuse de mobilisation de ressources internes et externes axée sur des méthodes nouvelles et innovantes. La stratégie de mobilisation des financements qui est en train d’être finalisée prend en compte certaines contraintes et répond aux exigences et aux principes fondamentaux de gestion rigoureuse des finances publiques.

Il s’agit pour le gouvernement de mettre en adéquation les besoins avec les moyens de l’Etat, notamment en déployant des efforts soutenus pour contenir les dépenses courantes hors service de la dette et aussi pour renforcer la qualité des dépenses d’investissement. Pour compléter ses propres efforts, le Congo entend mobiliser les ressources des partenaires au développement et du secteur privé (tant national qu’étranger) au profit des investissements productifs et générateurs d’emplois.  L'exécution rigoureuse de ce plan devrait permettre à notre pays de disposer d'une base économique plus élargie, capable de créer davantage de richesses, d'emplois et de réduire significativement la pauvreté.

Le gouvernement va utiliser les différentes niches financières possibles pour faire face à cet important défi, et ainsi booster efficacement le financement du PND 2022-2026. Il s’agira d’exploiter, comme il se doit, toutes les opportunités offertes par les financements innovants, les partenariats public-privé, l’émission de titres du Trésor public, etc.

Par principe, il faut retenir que le gouvernement s’aligne sur un changement de paradigme qui sous-tend le financement du PND par la place prépondérante accordée au secteur privé.

L.D.B.: En résumé, au titre de votre ministère, quels sont les projets à impact visible que le Congo et les deux institutions financières ont menés à leur terme ces dernières années.

I.O.G.E.B.: Le ministre en charge du Plan est le gouverneur de la Banque mondiale et le gouverneur suppléant de la BAD pour la République du Congo. Il a pour mission de veiller à la mise en œuvre des cadres stratégiques de ces partenaires dans notre pays. A ce titre, il porte non seulement les projets de son ministère au niveau de ces institutions, mais aussi et beaucoup plus des autres ministères pour leur financement. Le partenariat avec la BM est fructueux, au regard de l’élargissement du portefeuille de projets et même de l’extension de certains projets arrivés à terme.

Parmi les projets à impacts visibles auprès de la population, nous pouvons citer le Projet eau, électricité et développement urbain, à travers les réseaux de distribution de l’eau et de l’électricité et l’assainissement ; le Projet de renforcement des capacités statistiques, à travers le financement des opérations statistiques et la construction du complexe INS-CASP ; le Projet de développement urbain et de restructuration des quartiers précaires, à travers la construction des voiries urbaines dans les villes de Brazzaville et de Pointe-Noire ; le Projet d’appui au développement des entreprises et à la compétitivité, à travers la création d’un environnement des affaires ; le Projet de réformes intégrées du secteur public, à travers l’amélioration de la gouvernance, la gestion des finances publiques ainsi que la digitalisation du secteur public ; le Projet de développement des compétences et de l’employabilité, à travers la formation de plus de 10 000 jeunes vulnérables dans les métiers divers à Brazzaville et à Pointe-Noire ; le Projet de riposte d’urgence à la pandémie de covid-19, à travers l’acquisition des vaccins et la vaccination gratuite de la population sur l'ensemble du territoire national ; le projet Lisungi qui a permis à la population pauvre de bénéficier de certaines  allocations en cas de sinistres et même pendant la crise sanitaire marquée par la covid-19.

En ce qui concerne la BAD, je voudrais vous rappeler que suite à la crise économique aigue à laquelle notre pays fait face depuis 2015, nous avons sollicité le concours du FMI à travers une FEC. En complément de l’apport de la FEC accordé par le FMI en juillet 2019, la BAD était l’unique partenaire technique et financier à avoir accordé à notre pays un appui budgétaire d’un montant de 187 millions d’euros, soit environ 122 milliards de FCFA dans le cadre du financement du Programme d’appui aux réformes économiques et financières, en décembre 2019.

Par ailleurs, la BAD nous accompagne sur la réalisation des projets d’aménagement des routes d’intégration régionale : Ndendé - Doussala - Dolisie sur le corridor Libreville - Brazzaville -Yaoundé ; la Route Ketta-Djoum sur le corridor Brazzaville – Yaoundé et le projet d’aménagement de la route Brazzaville - Ouesso - Bangui - Ndjamena-Mbaikoro (Corridor 13) sans oublier le projet emblématique du pont route rail entre Brazzaville et Kinshasa sont aussi à retenir au rang des projets à fort impact, car ils faciliteront la libre circulation des personnes, des biens et services entre ces différents pays.

Propos recueillis par Gankama N’Siah
Légendes et crédits photo : 
La ministre de l'Economie, du Plan, de la Statistique et de l'Intégration régionale
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