Il existe au Congo un pianiste d’exception que l’on pourrait surnommer « L’empereur », en référence du concerto n° 5 de Beethoven. Des premières notes soufflées dans une flûte à bec jusqu’aux plus grandes scènes, Yoane Babin accomplit un parcours sans fausses notes et sans demi-mesures.
Lorsque dans la maison parentale, au quartier Moukondo de Brazzaville, Yoane pose pour la première fois, et maladroitement, ses doigts d’enfant sur une flûte à bec soprano, il ne sait pas encore que la musique l’enverra de l’autre côté du fleuve, à Kinshasa, pour jouer le concerto pour piano n° 5 en mi bémol majeur opus 73, connu aussi sous le nom de l’empereur, de Ludwig Van Beethoven. « J’ai commencé par la flûte vers l’âge de 8 ans, je suis passé aussi par la guitare mais, en intégrant en 2002 l’Institut national des arts de Kinshasa pour finir major de ma promotion, le piano est devenu mon instrument de prédilection », a raconté Yoan qui aura passé quatre années à l’Institut national des arts, après avoir étudié à l’Ecole nationale des beaux arts de Brazzaville.
Mais avant cela, au-delà de la flûte à bec de son enfance, il lui aura fallu apprendre à lire les notes sur le papier ou choisir d’être privé du repas à la maison : « Mon père était professeur de guitare classique et le solfège était pour lui tout aussi important que les autres matières qu’on pouvait m’enseigner à l’école primaire. J’avais cette obligation de savoir déchiffrer autant que je le pouvais une partition. Pour me motiver, mon père n’hésitait pas à me priver de manger si je n’apprenais pas mes leçons de solfège », s'est-il souvenu.
Si la musique fait donc partie intégrante de son éducation, l’histoire retient également que Yoane est né au lendemain d’un concert donné par sa mère qui chantait à l’époque dans un groupe de Négro spiritual. A peine applaudie le soir là où elle était sur scène qu’elle se précipitait à l’hôpital pour donner naissance au futur prodige. Comme un signe du destin.
Celui qui connaît désormais par coeur le piano sous le bout de ses doigts avoue avoir été influencé par les grands compositeurs de musique classique tels Beethoven, bien sûr, mais aussi Wolfgang Amadeus Mozart ou encore Frédéric Chopin. Il ne cache pas non plus son penchant pour le ragtime, un style afro-américain mêlant les musiques savantes européennes aux rythmes des chants traditionnels africains. Ouvert à d’autres horizons, Yoane se passionne également pour le jazz, citant volontiers Oscar Peterson et Art Tatum, qui reste l’un des planistes de jazz les plus virtuoses, citant encore le Be Bop du saxophoniste Charlie Parker. Autant de musiques noires américaines qui feront ses nuits blanches pour les retranscrire sur son piano.
Le bagage ne serait pas complet si « l’empereur » n’était pas à l’écoute de la musique de son pays. Ce pianiste de talent a ainsi accompagné les grands noms de la musique congolaise dans d’autres styles musicaux, que ce soit la soul de Freddy Massamba ou la rumba des illustres Balou Kanta ou Théo Blaise Nkounkou pour ne citer qu’eux. Egalement compositeur et arrangeur, il n’est pas rare de l’entendre, en studio comme en concert, pour soutenir des artistes émergents d’une nouvelle génération issus de la scène congolaise.