Interview. Raouf Mazou : « En Afrique, le changement climatique aggrave dangereusement les déplacements forcés »

Lundi, Mai 30, 2022 - 17:56

Le Congolais Raouf Mazou est Haut-commissaire assistant du Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR). Il cumule vingt-huit années d’expérience professionnelle au sein de cette agence onusienne où il a occupé de nombreuses fonctions, notamment en gestion de la sécurité. Diplômé d’une maîtrise en droit de l’Université de Genève, il a été directeur du Bureau régional pour l’Afrique et représentant du HCR au Kenya de 2013 à 2018. Il était à Malabo pour lancer une alerte. Interview.

Le changement climatique peut-il rapidement aggraver les déplacements forcés de la population en Afrique ?

Raouf Mazou (R.M). L'Afrique connaît actuellement à la fois des catastrophes naturelles et des conflits qui provoquent des déplacements d'une ampleur sans précédent. En 2021, selon un rapport de l'Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), 22,3 millions de personnes ont été déplacées à l'intérieur de leur pays à cause des catastrophes liées au climat, dans le monde, contre 14,4 millions déracinées par les conflits et la violence.

Les inondations et les sécheresses sont de plus en plus fréquentes et intenses et touchent gravement des pays comme l'Éthiopie, le Kenya, la Somalie et le Soudan du Sud. Les catastrophes liées au changement climatique risquent non seulement d'aggraver la pauvreté, la faim et l'accès aux ressources naturelles telles que l'eau, mais aussi d'accroître l'instabilité et la violence (…). Le Sahel est en première ligne de la crise climatique, avec des températures qui augmentent 1,5 fois plus vite que la moyenne mondiale. Cela ne fait qu'aggraver les conflits pour des ressources limitées, rendant la vie encore plus difficile pour ceux qui ont été forcés de fuir leur foyer. 

Malheureusement, bon nombre des pays les plus exposés aux effets du changement climatique accueillent déjà un grand nombre de réfugiés et de déplacés internes. 

Si l'on n'investit pas davantage pour atténuer les besoins futurs en matière de protection et prévenir de nouvelles vagues de déplacement dues au changement climatique, la situation ne fera qu'empirer.

Quel est l’impact de la guerre en Ukraine sur la sécurité alimentaire en Afrique, quels pays sont les plus en danger ?

R.M. Partout en Afrique, la hausse des prix et la diminution de l'aide alimentaire provoquées par la guerre en Ukraine vont aggraver la vulnérabilité des réfugiés et de la population déplacée de force, et accroître les risques de tensions intercommunautaires. Les coûts des denrées alimentaires, du carburant et des engrais sont montés en flèche et la baisse du pouvoir d'achat touche plus durement les ménages les plus vulnérables, donc les réfugiés et déplacés. Des millions de familles déracinées à travers l'Afrique risquent de souffrir davantage de la faim, car les rations alimentaires diminuent en raison d'un financement humanitaire insuffisant. Nous le constatons déjà avec de nouvelles réductions de l'aide alimentaire aux réfugiés au Mozambique et en Zambie. Les rations seront également réduites pour les réfugiés au Soudan le mois prochain, entre autres pays.

L'impact de la guerre en Ukraine sur le coût et la disponibilité des denrées alimentaires dans le monde entier souligne également l'importance de tirer parti de la vaste quantité de terres fertiles disponibles en Afrique pour mettre fin à une dépendance inutile vis-à-vis des importations.

L’expansion de la menace jihadiste en Afrique peut-elle gravement accélérer le flux de déplacements forcés ?

R.M. La présence de groupes armés non étatiques dans certaines parties du continent est inquiétante. La région du Sahel est confrontée à l'une des crises de déplacement les plus rapides au monde en raison de la corrélation entre l'instabilité politique, la violence généralisée, les pénuries alimentaires et la crise climatique. La zone compte 2,86 millions de personnes déplacées internes, soit dix fois plus qu'il y a dix ans. Dans le Sahel central, près de 75% se trouvent au Tchad et au Niger.

Rien qu'au Burkina Faso, le nombre de déplacés internes a atteint plus de 1,85 million en avril 2022, les groupes armés ayant mené des attaques meurtrières.

AFP
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Le Haut-commissaire-assistant du HCR Raouf Mazou lance l'alerte sur les conséquences du changements climatiques (DR)
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