Une protestation s’éleva parmi les Gwabira :
- Il loge à Okondo aux frais de Justin Elongo, lequel est derrière son arrivée pour le sujet qui nous préoccupe. Elongo est juge et partie, voilà votre impartialité !
Le chef du village concéda la faute et reprit :
- Oui, c’est vrai, il est à Okondo chez Justin. Cependant, sachez que le conseil du village a accepté qu’il en soit ainsi eu égard à la probité avérée du pentecôtiste. Il fera son travail sans parti pris.
Dany Gwabira interpella à son tour le chef du village :
- Au fond, pensez-vous sérieusement que Nathanael Gwabira et sa sœur ont déserté leurs tombes et se tiennent debout quelque part en embuscade pour terroriser les passants ?
Un silence de cimetière suivit la question de l’adjudant. Ni le chef du village, ni aucun de ses suivants n’esquissèrent un début de réponse en direction de Gwabira. Celui-ci poursuivit :
- Je vous comprends : vous êtes dans le doute. Vous ne pouvez pas attester la présence physique de mes défunts parents aux endroits où la clameur des ignares croit les situer. Pourtant vous avez fait venir un exorciste aux fins de chasser des revenants. Je tire de votre doute la leçon selon laquelle vous êtes de la même obédience que vos compatriotes, comme vos compatriotes de ce village. Vous êtes tous prisonniers d’une croyance surannée qui fabrique des fantômes selon le besoin des personnes intéressées. Je voudrai que vous le sachiez maintenant : ma famille est victime d’une machination. Nous nous sommes opposés à la profanation des tombes de nos parents parce que cela n’aurait servi qu’à donner du crédit à l’arbitraire. Vous le savez, ces tombes sont vides de toute présence vivante. Tournez et retournez cette terre, vous n’y trouverez que des ossements, des squelettes qui ont droit à la paix éternelle et au respect de la mémoire des personnes décédées.
Le chef du village dévisagea l’adjudant. Il mit du temps à lui répondre et, manifestement, cherchait une réponse qui convaincrait son interlocuteur :
- Vous avez raison, je n’en sais rien sur les revenants. C’est une histoire aussi vieille que le monde. Ma foi, vous avez raison ! Mais, que devrions nous faire lorsqu’elle survient, lorsque tout un village se lève et réclame des garanties pour sa sécurité ? Le conseil de Ngatali a estimé que l’homme de Dieu mettra fin à l’insécurité générée par les fantômes qui hantent ce village. J’ai régulièrement averti monsieur le sous-préfet de cette procédure. Pour éviter toute allégation de parti pris, l’homme de Dieu ira prier dans tous les cimetières, y compris ceux qui n’ont plus reçu de cadavre depuis des lunes.
Lorsqu’ils se retrouvèrent à leur domicile, les Gwabira avaient les visages défaits. Ils n’avaient pas réussi à convaincre le chef du village d’exempter leur cimetière de l’exorcisme d’Iloyi Djoungou. Ils voyaient dans l’action du religieux un tour de passe-passe destiné à maintenir le village dans la croyance à la sorcellerie de la maison des Gwabira. Ils tonnaient contre Justin Elongo accusé d’être derrière ce coup. Le scénario, expliquaient-ils, consistaient à retirer de la circulation les terroristes planqués dans les buissons qui instrumentalisaient la peur au passage des habitants. Au soir des prières de l’exorciste dans les différents cimetières, estimaient-ils, le calme reviendrait comme par miracle dans la cité de Ngatali épurée de tout revenant. Au final, les Gwabira resteront indexés comme des potentiels revenants offerts à la vindicte de la clameur publique quand surviendra un décès dans la famille.
Trois jours s’étaient déjà écoulés depuis le début des incantations du pentecôtiste Djoungou dans les cimetières de Ngatali. Des exorcismes enflammés sur les tombes du quartier Okondo n’avaient pas réussi à apaiser les incursions nocturnes des démons parce que, selon les habitants de ce quartier, les tombes exorcisées n’étaient pas les bonnes : elles n’hébergeaient pas de revenants. Ickinga, le quartier central de Ngatali, hébergeait cinq cimetières dont celui de la famille Gwabira.
Le jour du passage de l’exorciste dans ce quartier, la tension monta d’un cran. En dépit des assurances données par le chef du village, l’adjudant Gwabira continuait de crier à la farce et menaçait de s’en prendre au religieux s’il mettait ses pieds dans le cimetière de sa famille. Accompagné d’une foule nombreuse, l’exorciste était en train de terminer son service religieux dans le troisième cimetière d’Ickinga quand survint l’inattendu. Comme à son habitude, Iloyi Djoungou offrait un repas au défunt sur la tombe duquel il venait de prier. Au moment de passer au dessert, il se fit servir trois bananes. Il en déposa deux sur la tombe à l’adresse de son interlocuteur de l’au-delà et éplucha la troisième qu’il se mit à manger. Puis, il éternua brutalement et se mit à tousser. La toux parut durer une éternité. L’instant d’après, la foule des supporters de l’exorciste fut horrifiée par le flot de sang qui coulait de sa bouche et de ses narines. Il s’écroula peu après sur la tombe sur laquelle il venait de poser deux bananes auparavant. L’horreur était à son comble. L’exorciste était couché sur la tombe tandis qu’il se vidait de son sang. Consternée, la foule était resté muette, subitement apeurée.
Dany Gwabira, son oncle et les siens sur le pied de guerre contre la mission de Djoungou furent surpris par les nouvelles en provenance du cimetière des Mbolo’o. Ils avaient aperçu des individus courir vers le quartier Okondo. Un véhicule de Justin Elongo arriva et entra précipitamment dans le cimetière, il ressortit tout aussi précipitamment et fonça dans la direction de la ville de P. Quelques heures plus tard, le rapport que fit Placide Osseré à l’adjudant Gwabira était des plus invraisemblables : l’exorciste Iloyi Djoungou était mort aux portes de la ville de P.vidé de son sang. ( A suivre)