Afrique de l’Ouest : une étude estime incontournable la transformation du dispositif militaire français

Jeudi, Juin 9, 2022 - 13:22

À l’issue du processus de décolonisation entrepris en 1958 par le général de Gaulle, la France instaure une  « Pax Gallica» en Afrique [encore appelée « françafrique »] qui va lui permettre de maintenir son influence sur le continent, via une présence militaire motivée par des accords de défense noués avec les régimes « amis de la France », un dispositif de coopération civile et technique [avec 8000 conseillers ou coopérants] et une aide publique au développement supérieure à 1% du produit intérieur brut.

La fin de la guerre froide va marquer une rupture dans la politique française, avec le discours de La Baule, en 1990, du président François Mitterrand lors du sommet franco-africain. Désormais, le soutien de la France serait conditionné aux progrès démocratiques de ses anciennes colonies. Mais la politique africaine de la France va devenir hésitante, illisible et conduire à une perte d’influence dans son ancien « précarré ». La nouvelle logique transactionnelle est difficile à mettre en œuvre, se combinant mal avec les intérêts géopolitiques et la quête de stabilité sur un continent où se multiplient les guerres civiles. « Son application au cas par cas provoque incompréhensions, frustrations et sentiments de trahison, tant par les autocrates s’estimant abandonnés par la France, que par les militants d’opposition dénonçant une démocratisation de façade », résume un récente étude de l’Institut français des relations internationales (IFRI). La renégociation des accords de défense passés avec une dizaine de pays africains durant le mandat de Nicolas Sarkozy va mettre un terme aux clauses d’assistance en cas de troubles intérieurs. Ce qui devait mettre fin de facto au rôle de la France « d’assurance vie  des régimes africains », selon l’étude.

Plusieurs chefs d’État présentés comme étant des « amis de la France » vont être renversés par des coups d’État (Mamadou Tandja [Niger, 2010], Ahmadou Toumani Touré [Mali, 2012], François Bozizé [Centrafrique, 2013], Blaise Compaoré [Burkina Faso, 2014], etc). Mais des contradictions vont persister. Par exemple, au sujet de l’accession au pouvoir du général Mahamat Idriss Déby après la mort de son père, Idriss Déby Itno. Dans le même temps, la France va condamner le coup d’état du colonel Assimi Goïta au Mali. Alors que « la ligne politique et l’offre stratégique de la France en Afrique se font plus hésitantes, ses moyens civils et militaires connaissent une réduction continue », souligne l’IFRI. Le lancement, à la demande de Bamako, de l’opération Serval, puis Barkhane pour contrer la menace jihadiste aurait pu changer la donne et relancer l’influence française dans la région. Celle-ci va être contestée notamment par la Russie, la Chine et la Turquie. « L’intervention française dans la zone, et tout particulièrement au Mali a finalement agi comme un révélateur des limites de l’influence française, conduisant à une contre-performance stratégique qu’il importe aujourd’hui de regarder en face », résume l’IFRI.

Un premier travail consisterait à définir et à assumer les intérêts stratégiques de la France, avant tout politiques et sécuritaires. Au-delà des luttes d’influence avec la Russie et la Chine, « l’Afrique de l’Ouest se place au cœur des préoccupations de la sécurité intérieure française en raison de sa place sur la carte des trafics [ …] Elle est également un important réservoir de migration, au regard de sa dynamique démographique. Finalement, la présence en France des nombreuses diasporas subsahariennes demeure un point de vigilance en raison de la communautarisation ». Aussi, l’IFRI appelle à « repenser en profondeur l’offre stratégique française en Afrique de l’Ouest », en se recentrant sur les intérêts essentiels et sur « ce qui est à la portée de ses moyens ». Et d’ajouter : « Redéfinir une stratégie pérenne pour la France en Afrique de l’Ouest » en changeant d’approche, en adoptant des objectifs réalistes.  Cette nouvelle stratégie doit être mise en oeuvre pour préserver au moins trois intérêts principaux : endiguer l’instabilité politique et la progression continue du phénomène jihadiste, préserver une influence française en Afrique de l’Ouest, « indispensable au maintien d’une stature de puissance dans le contexte de compétition systémique », améliorer l’image de la France en Afrique francophone.

Dans cette optique, la France doit revoir « son offre stratégique », en faisant évoluer la coopération de défense, perçue comme imprégnée d’une approche « néocoloniale », vers une « logique moins structurelle, au profit d’une logique de financement et d’équipement d’une part et d’appui opérationnel d’autre part, notamment en matière de renseignement, de logistique et d’appui-feu ». Ensuite, l’IFRI propose de rompre avec la logique des opérations extérieures, le modèle « intervention-stabilisation-normalisation » s’effaçant au profit du triptyque « compétition-contestation-confrontation », et d’une logique de « présence » de longue durée, les forces ainsi prépositionnées ayant une « posture opérationnelle » discrète,  et un dispositif militaire simplifié - pas empilant comme l’actuel [force Barkhane, opération Corymbe, Task Force Sabre, Éléments français du Sénégal, Forces françaises en Côte d’Ivoire, Éléments français du Gabon, etc], des dispositifs placés sous l’autorité d’un commandement régional unique, inspiré du modèle « vertueux » d’Africom.

Pour l’IFRI, les derniers évènements au Mali offrent finalement une « opportunité de remise à plat de l’engagement de la France et de l’Europe en Afrique » et la « transformation du dispositif français est […] devenue incontournable et constitue un enjeu décisif ». « L’histoire commune de la France avec ses anciennes colonies, qui se prolonge par les relations politiques, économiques, culturelles et de diaspora, lui donne en effet à la fois une responsabilité historique à assumer et un rang à tenir. Cet état de fait rejaillit également sur l’ensemble de sa politique étrangère », conclut l’étude.

Noël Ndong
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