Co-fondateur du Centre de ressources de solidarité artistique et artisanale (Crsaa), dénommé Espace masolo, quoique résidant en France depuis quelques années, le comédien-conteur et marionnettiste travaille toujours pour les intérêts du Centre d’encadrement des enfants de la rue qu’il tient pour un engagement à vie voilà dix-neuf ans. Il en parle dans cet entretien avec "Le Courrier de Kinshasa".
Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Résidant en France depuis plusieurs années, vous participez à l’inauguration l’Espace masolo. Vous y êtes toujours si attaché ?
Hubert Mahela (H.M.) : Je ne suis pas là seulement le jour de l’inauguration. J’étais là en janvier et mars, en mission spéciale pour l’achat de cette parcelle : chercher, trouver et acheter ce lieu. Le projet date de 2006, nous avons enfin réussi à trouver les moyens avec le soutien des partenaires étrangers, notamment d’Allemagne, de France et de Belgique. Avec l’équipe de Kinshasa, nous avons trouvé le lieu et là, je suis avec ma famille. Mes enfants ont également joué, ils n’ont pas été dans la rue mais ont appris la musique à côté des enfants de la rue encadrés à l’Espace masolo. Comme je l’étais ici autrefois, en France, je continue à être comédien, conteur, marionnettiste et intermittent de spectacle. Tous les ans, je viens à l’Espace masolo, toutes les semaines j’échange avec l’équipe parce qu’ici à Kinshasa, il n’y a pas de modèle. A la création, j’étais le coordonnateur des activités. Les jeunes Gabriel, Mando que nous avons accompagnés enfants suivent les orientations données à travers nos échanges réguliers. Je reste toujours présent à l’Espace masolo, que je sois ici ou là-bas.
L.C.K. : L’Espace masolo semble maintenant un engagement à vie, quelle place lui accordez-vous ?
H.M. : Il prend la place qu’il devrait avoir dans la vie de tout Congolais. À la naissance de cet espace, Malvine Velo, Lambert Mousseka et moi avions rencontré des personnes, à l’instar de la communauté Emmaüs de Strasbourg qui proposait de nous soutenir. Mais nous avions décidé qu’avec ou sans moyens, nous allions fonctionner. Dès le début des activités, il fallait travailler à fond comme bénévoles, sans regarder l’heure, le temps passer. Être là avec les enfants, les accompagner, les soutenir. Je crois que c’est cela ma part de solidarité. Et, aujourd’hui, je ne passe pas une semaine sans m’entretenir avec l’équipe d’ici ni sans parler d’eux à l’extérieur. C’était important que j’y vienne en famille. Mon fils a appris la musique, d’autres enfants sont intermittents de spectacle, non pas pour suivre le père mais parce qu’il a vu d’autres enfants de la rue faire. L’Espace masolo a la place qu’il lui faut dans mon cœur. Tant que je pourrai, je continuerai, je resterai là prêt à accueillir les nouveaux venus.
L.C.K. : Dix-neuf ans plus tard, avez-vous senti les choses bouger, êtes-vous satisfait des résultats ?
H.M. : Les choses bougent beaucoup, mais cela ne se fait pas de la même façon pour toutes les disciplines. J’ai échangé avec les jeunes sur la baisse au niveau de la pratique de la marionnette. Pour la musique, c’est différent, ça progresse, c’est l’une des activités qui émergent. Et, en ce qui concerne l’engagement des jeunes, quand nous avons trouvé le lieu, c’est un ancien enfant de la rue qui a signé à la banque pour l’achat de la parcelle. Cela symbolise le progrès. Nous l’avons pris sous notre aile alors qu’il était en quatrième primaire, il a obtenu son diplôme et achevé ses études supérieures. Aujourd’hui, voir l’Espace masolo être géré par les jeunes, c’est un grand progrès. Je leur dis, en réunion ou individuellement, que l’Espace masolo c’est leur affaire. Nous ne devons pas garder des pensées archaïques, se faire prévaloir comme fondateur. Ainsi, la parcelle n’est ni au nom de Malvine ni au mien, elle a été achetée pour l’Espace masolo et tous savent que c’est notre bien à tous. Parce que nous leur faisons confiance, ils doivent y veiller afin qu’un jour quand nous ne serons plus là, ce centre continue à vivre. Un médecin, en France, a évalué l’impact de nos activités et estimé que nous sortions deux enfants de la rue tous les ans. Mine de rien, c’est très positif.
L.C.K. : Quelle est la prochaine étape après l’acquisition de cette parcelle ?
H.M. : Nous avons d’abord construit avec des tôles pour ne plus avoir à payer de loyer. Il n’arrêtait pas de doubler à chaque fois là où nous étions. La prochaine étape, c’est que l’équipe s’installe vraiment, se pose bien dans le quartier, soit connue et découverte. Voir les activités se développer, qu’elles soient bénéfiques pour nos jeunes mais aussi pour les habitants du quartier car il n’y a pas de centre culturel par ici. Aucune salle de spectacle ni de cinéma. Nous espérons, avec le soutien du Centre Wallonie-Bruxelles, la Halle de la Gombe, d’autres opérateurs culturels locaux, organiser plusieurs activités dont des expositions. Fonctionner comme l’unique centre culturel dans le secteur. La construction en tôles est provisoire. Nous pensons monter un projet et solliciter l’aide des partenaires, de structures locales ou de l’extérieur pour construire en dur tout en gardant notre identité et nos objectifs.
L.C.K. : Comment définissez-vous votre identité et vos objectifs ?
H.M. : L’identité de l’Espace masolo, c’est la solidarité artistique et artisanale. Nous avons appris à faire le théâtre à l’école, mais ce n’est pas le cas de tous les fondateurs. Plusieurs artistes d’ici, mais aussi de l’extérieur, notamment de Brazzaville, de France, d’Allemagne et de Belgique sont intervenus formant une grande chaîne de solidarité. C’est un aspect important qui devrait perdurer. L’identité, c’est aussi de faire confiance à ces jeunes, les voir grandir et trouver leur voie dans l’art ou l’artisanat à travers des activités qu’ils pratiquent. L’identité et les objectifs, c’est de continuer à exercer et essayer de faire développer la pratique de la marionnette dans la ville, le pays. Par ailleurs, notre objectif n’est pas de faire de tous les enfants qui viennent ici des professionnels de l’art. Mais plutôt qu’ils arrivent à se réinsérer, retourner dans leurs familles ou se prendre en charge.