Le revenant de Ngatali (18 et fin)

Jeudi, Juin 23, 2022 - 19:47

Les Gwabira comme du reste les autres habitants de Ngatali ne furent pas long à connaître l’origine de la subite métamorphose du chef du village.

Son séjour au chef-lieu de la sous-préfecture n’avait pas été de tout repos. Il y était allé faire son rapport sur les circonstances de la mort subite du pasteur Djoungou. Il s’était retrouvé entre le marteau et l’enclume : le sous-préfet l’avait sévèrement tancé, les gendarmes le rendaient littéralement coupable de la mort de l’exorciste. L’un d’eux lui avait lancé :

  • Vous ferez bien de dresser la liste des habitants de Ngatali susceptibles de se transformer en revenants après leur mort. De cette manère, nous tiendrons un fichier de potentiels revenants susceptibles de troubler l’ordre public dans votre village.

Cette suggestion s’était muée en une cinglante ironie lorsque le gendarme avait ajouté :

  • Vous prendrez soin de commencer par votre nom !

L’allusion était on ne peut plus claire. Bambi s’était senti humilié. A la sous-préfecture, l’épée de Damoclès faillit fendre sur sa tête à plusieurs reprises. Furieux, le sous-préfet l’accabla de questions :

  • M. Bambi, avez-vous entendu parler du colonel Sondzon ?
  • Oui, c’est mon alter ego, il a grandi à Ngatali chez son oncle, le défunt Nathanael Gwabira.
  • Celui-là que vous accusez d’être un revenant ?
  • Non, ce n’est pas moi !
  • C’est qui selon vous ?
  • C’est… euh… c’est Justin Elongo !
  • C’est le chef du village ?
  • Non ! Monsieur le sous-préfet, il est l’aîné du ministre de la Justice.
  • M. Pierre Michel Elenga ? Est-il l’intigateur de ces bruits sordides  qui empoisonnent votre village ?
  • Non ! Lui, c’est un saint. Son frère aîné Justin, c’est lui qui est derrière tout ce qui se fait en mal dans le village.
  • Vous voulez des morts dans votre village ? Il y a un certan Gwabira Dany qui sejourne là-bas ? C’est un militaire qui menacerait de tuer ceux qui s’en prennent à son defunt père.
  • Oui, c’est le cousin du colonel Sondzon. Il avait menacé de tuer le pasteur Djoungou avant le décès de ce dernier.
  • Tout ce qui se fait là-bas est de votre faute. Si le ministre et le colonel avaient des cailloux à la place des cervelles, Ngatali  n’existerait plus. Retournez dans votre village, j’y serai dans quelques jours.

Les habitants de Ngatali apprirent les termes de l’échange entre le sous-préfet et Bambi de la bouche de ce dernier. Certain du sort que lui reservait son chef hiérarchique, il multipliait les rencontres avec les villageois comme si après avoir changé de fusil d’épaule sur la question des revenants, il avait entrepris une campagne d’affichage de sa nouvelle virginité.

La mort de l’exorciste,  le choc provoqué par ce décès et l’arrivée prochaine du sous-préfet et de ses gendarmes  firent parmi les éléments qui détendirent l’atmosphère à Ngatali. Les fantômes qui naguère hantaient le village avaient disparu. Quelques quatre jours après le décès du pasteur Djoungou, l’adjudant Gwabira reçut un courrier du colonel Sondzon. Il y était écrit :

"Dany,

J’ai ordonné à l’élément chargé de renforcer le dispositif de securité que tu as préconisé de revenir sur la capitale. Hier, je me suis de nouveau entretenu avec Pierre Michel, le cadet de Justin Elongo. Il s’agit d’un jeune homme fort sympathique dont le caractère affable tranche avec le belliciste de son aîné. Ayant répondu à son invitation, j’ai été témoin de l’embarras qu’il avait d’évoquer les accusations et autres insinuations que son frère et son défunt oncle Gabriel n’ont eu de cesse de lancer contre mon oncle Nathanael.

J’estime que cette histoire de revenant est désormais derrière nous. L’acte de contrition de Pierre Michel me suffit. Je crois savoir qu’ainsi fait, il a agi en homme politique avisé. Soucieux de protèger ses arrières dans notre sous-préfecture, il serait été mal à propos  pour lui de commencer une si prometteuse carrière par une guerre civile dans son propre village.

Nous nous sommes convenus de nous rendre à Ngatali dans les tout prochains jours afin de sceller publiquement la reconciliation de nos deux familles…"

Le soir de l’arrivée de ce courrier, l’adjudant, son oncle et d’autres membres de leur famille se réunirent pour faire le point de la situation. Le conclave ne connut pas de voix discordantes.

Le jour suivant, tous les quartiers de Ngatali bruissaient à l’unisson sur l’arrivée imminente du ministre et de l’ancien chef d’état-major. Du côté des Elongo, le patriarche faisait profil bas : il était silencieux, il n’était plus celui qui excitait de jeunes complices à jouer au revenant dans les buissons proches des tombes de Nathanael Gwabira et sa sœur Nia’ndinga.

L’adjudant Dany Gwabira passa les derniers jours de son séjour à Ngatali à veiller sur les préparatifs de l’arrivée du colonel Sondzon et du ministre Elenga. Un matin avant l’arrivée au village des personnalités, après avoir aligné des équipes de volontaires, Dany observa l’empressement avec lequel les villageois s’adonnaient au travail. La joie se lisait sur leurs visages. Une joie qui tranchait avec les peurs paniques des jours et des nuits d’épouvante quand des gens mal intentionnés instrumentalisaient la peur. Subitement, il eut une pensée pour l’exorciste Iloyi Djoungou. Il ne regretta pas de l’avoir empêché de démarrer ses exorcismes par le cimetière familal.  Il monologuait :

  • Si j’avais laissé faire, ma famille serait toujours pointé du doigt et injustement stigmatisé pour encore de nombreuses générations. (Fin)
Ikkiya Ondaye-Akiera
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