Le roman de l’écrivain tanzanien Abdulrazak Gurnah est un cri d’exil et de mémoire où l’action est doublée d’une réflexion sur la thématique de perte d’innocence, sur fond de violence et de perte de repères propres à des périodes de grands bouleversements politiques. À la fois un roman d’idées et d’actions, « Paradis » est rongé par la corruption des âmes.
Le quatrième roman d’Abdulrazak Gurnah « Paradis », qui fait partie en 1994 de la short list du Book prize, illustre à merveille l’art narratif du romancier. C’est un récit d’exil et de mémoire où l’action est doublée d’une réflexion. La narration procède par strates et sédimentation mêlant ainsi la petite et la grande histoire. Dans « Paradis », l’histoire racontée est celle d’un jeune adolescent de 12 ans, Yusuf, qui quitte son village natal pour aller vivre en ville. L’adolescent apprend que ses parents l’ont vendu à un prêteur qu’il a longtemps appelé « mon oncle ». Le livre aborde donc la thématique de la perte de l’innocence sur fond des violences et pertes de repères à des périodes de grands bouleversements sociaux politiques.
C’est dans un contexte quasi apocalyptique de la fin de la civilisation marchande Est-Africaine que se déroule l’action de « Paradis ». Ce roman au titre pour le moins ironique. L’auteur rompt aussi avec le mythe du paradis de la négritude postcoloniale, en mettant en scène une expédition marchande où la caravane de Yusuf est prise d’assaut par des tubes hostiles et esclavagistes. A la fois un roman d’idées et d’actions, « Paradis » a été comparé à « Au cœur des ténèbres » de Canrad et à « Monde s’effondre » de Chinua Achebe.
« Les romans ne peuvent pas remplir leurs pages en racontant uniquement des débats et des polémiques. Dans la mesure où la fiction a pour vocation d’explorer le vécu humain dans sa globalité, difficile de passer à côté de l’amour, la haine et nos hypocrisies quotidiennes. J’ai donc, moi aussi, écrit sur les différents aspects de la vie. J’ai tenté de le faire aussi honnêtement que possible afin que ressortent à la fois la laideur et la vertu qu’émerge l’humain qui est trop souvent pionnier de simplifications et de stéréotypes », a déclaré l’auteur sur RFI.
Réédité en français par l’éditeur parisien Donoël, « Paradis » donne à lire, une écriture subtile et évocatrice où se mêlent l’art du conteur et la narration tout en plis et replis empruntés aux grands maîtres des lettres anglais. De Shakespeare à Rushdie que l’auteur a longtemps enseignés parallèlement à sa carrière d’écrivain. C’est en 1968, lorsqu’il avait 18 ans, que l’auteur est arrivé en Angleterre, fuyant son île natale de Zanzibar, en pleine turbulence postindépendance. Aux dires de l’auteur, l’écriture est née lorsqu’il tenait son journal pour dire la nostalgie du pays confiant dans les pages blanches ses frustrations, son désespoir face à une hospitalité britannique plutôt rude.