Théâtre : survivre à la guerre n’est pas un gage de salut

Samedi, Juillet 23, 2022 - 16:51

Le drame familial raconté, le 18 juillet, à la plate-forme Contemporaine, à travers la mise en scène de Tinah Way et David-Minor Ilunga, fort évocateur des réalités derrière les scènes familières de mendicité des militaires survivants, étendu aux douleurs non racontées d’après-guerre, prouve que nul n’en sort indemne.

Les amants, Ivan et l’épouse de son frère, amoureux (Adiac)Adaptation de Guerre du Suédois Lars Norén, la nouvelle pièce en cours de création présentée dans le cadre de la Yango Biennale de Kinshasa a été suivie religieusement. Attentif aux dialogues souvent crus des personnages marqués par la guerre, la mère désespérant de revoir un époux parti au front alors que sa cadette Sémira garde espoir et que son aînée, Beenina, semble redouter cet improbable retour. Le quotidien banal de cette famille, animée par les chamailleries des filles à côté d’une mère qui a perdu toute autorité sur sa première fille et  essaie tant bien que mal de se faire obéir, ne semble pas si dramatique. En effet, ayant survécu à la guerre, l’on pourrait penser qu’elles ont été bien plus chanceuses que leurs voisins disparus.

Les petites peurs comme celle d’une rencontre malheureuse sur le parcours en allant puiser de l’eau, ce que Sémira (Chouchou Yoka) hésite à faire, Beenina (Oméga Zama) s’y refuse malgré la demande de la mère (Tinah Way) sont des séquelles pense-t-on. Le pire est passé semble-t-il puisque l’aînée se farde prête à sortir pour se faire quelques sous charriée par sa cadette. L’on devine la misère qu’essaie de gérer tant bien que mal cette famille après la guerre. L’on ne sait pas exactement où elle s’est passée mais l’évocation des corps amaigris affamés et torturés renvoie sans doute au génocide des Nazis contre les Juifs d’Europe, la Seconde Guerre Mondiale. Toutes ces autres guerres et conflits innommables du monde peuvent s’y coller. Pour preuve les références à des Congolais disparus dont des photos sont partagées en pleine représentation, des noms de victimes citées bien connues à l’instar de Rossy Mukendi, Masika, Major Eric de Sukola 2. Impossible de ne pas faire le lien avec les guerres de l’Est de la RDC dont des évocations sont faits avec notamment Vincent Machozi, le prêtre catholique et défenseur des droits humains assassiné à Beni.

La pièce prend un tout autre tournant avec le retour du père (David-Minor Ilunga) qui met à nu des vérités insoupçonnées. De toutes « ses dames », seule Sémira semble véritablement se réjouir de le voir. Le chef de famille revient au foyer le visage barré par de lunettes noires, il est aveugle. Mais la première chose que voit sa femme ce sont ses chaussures toutes abîmées. Elle fait d’ailleurs une observation sur cette demi-paire dont le bout s’est désolidarisé de la semelle. La mise dépareillée du père de famille ne fait nul doute sur les misères qu’il a bravé avant de revenir sous son toit. Les sœurs Beenina et Sémira s’amusent à se droguer (Adiac)

Revenu, il s’enquiert des nouvelles du voisinage. Presque personne n’a survécu, lui dit-on. Même son frère Ivan (Aaron Lukamba) a disparu comme tous les autres. Disparu est le mot utilisé par ses interlocutrices qui refusent de dire mort. L’on s’aperçoit que dans ce compte rendu d’après-guerre se cachent quelques mensonges. Tout n’est pas vérité comme finit par le révéler l’entrée d’un homme qui vicie l’atmosphère. L’on apprend plus tard qu’il s’agit du prétendu frère disparu, Ivan. Sémira lui saute dessus l’empêchant d’approcher trop près son frère rescapé, évitant de justesse un incident. La nature ayant horreur du vide, il s’est substitué à son aîné devenant l’amant de sa femme sous son propre toit. C’est là que, dans le fil de la conversation, Ivan apprend qu’il est tenu pour mort et doit garder silence.

Revenu de guerre, le soldat s’enorgueillissant d’avoir survécu déchante. D’apprendre que son épouse et ses filles ont été violées par des proches, ces voisins avec qui il entretenait de rapports excellents avant son départ le met en rage. Si plein de désir pour sa dame qui se refusait à lui au départ, se sentant comme humilié, il tente cependant de se rabattre sur son aîné qu’il violente. Beenina qui déjà se prostitue, se drogue et initie Sémira. Dernier tableau tragique de l’histoire, cet homme qui a combattu l’ennemi pour la patrie est réduit à la mendicité. Lui qui disait ne pas pouvoir s’y résoudre finit pourtant par faire la manche. Là encore, une image s’impose aux spectateurs, celle des militaires estropiés ou manchots si souvent rencontrés dans la ville quémandant de quoi s’offrir du pain. Comme quoi, avoir survécu n’est pas un gage de salut !

Nioni Masela
Légendes et crédits photo : 
Photo 1 : Les amants, Ivan et l’épouse de son frère, amoureux (Adiac) Photo 2 : Les sœurs Beenina et Sémira s’amusent à se droguer (Adiac)
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