Ode à Victor Mbilampassi : un homme qui maniait les lumières avec son cœur

Jeudi, Août 25, 2022 - 19:35

Victor,

J’ai toujours pensé que c’est toi, le cadet, qui prononcerais cette sorte de dernier témoignage parce que nous, les Bantous, nous les Africains, nous les Congolais, nous les Kongo, croyons qu’une partie de l’anthropologie de la mort donne sur le droit d’une antéparenté, respecte la hiérarchie gérontocratique : les aînés meurent logiquement avant les cadets, pour que les règles de la succession sociale ne souffrent d’aucune espèce de tragédie.

Ce jour,

Voilà que les lois de la nature savent nous jouer des jeux imprévisibles et impossibles à brider, nous infligent des postures corrompues, nous font ressembler, comme dans la dramaturgie théâtrale, à des ombres chinoises ou à des figurants de premier rideau.

Victor,

Tu as sauté le pont de la vie avant moi. C’est avec une émotion maladroite, malhabile que je vais t’adresser ce dernier salut de compagnon. Allez, une dernière pour la route ! Voilà, je le disais, je m’égare déjà…

Victor,

Nous, on t’appelait aussi Lamy. Comme un nom de guerre. Pour traverser nos vies, il faut d’abord mener des combats, des luttes. D’abord contre soi-même : le métier que tu as choisi a fini par t’engouffrer dans beaucoup d’autres, un signe de privilèges, mais aussi un danger de se perdre dans la vague, dans l’indicible.

Ton métier œuvrait dans la lumière. Un travail d’artiste, c’est-à-dire le besoin de perfectionnement, de capture, de profondeur. Tu maniais la lumière ou plutôt les lumières.

Les lumières, dans les arts, c’est ce qui nettoie l’obscurité. Ce qui éclaire, libère les visibilités. Sans les lumières, le potentiel créatif de l’artiste est susceptible de se fondre dans la glue noire. Les lumières aident le public à mieux saisir l’œuvre. De jour comme de nuit, elles engendrent les trois quarts du spectacle. Les artistes ont toujours reconnu la touche des lumières dans le spectacle. Des décennies entières, tu t’es dévoué à l’éclosion et à la promotion de plusieurs carrières d’artistes congolais devenus des icônes sur la place internationale. Tu es parti dans l’humilité, sans aucune parade bijoutière ou armoriale. Tu ne rôdais pas autour des sanctuaires.

Les lumières te suivaient jusque dans ta vie courante, au-delà de la scène. Tu avais commerce avec les artistes de tous bords : à part les hommes de théâtre qui formaient ton premier champ ; tu fréquentais les écrivains, les peintres, les musiciens, les danseurs, les sculpteurs, les intellectuels en général… Tu étais ouvert à tout projet ; la vie dans sa totalité te fascinait, puisque tu choisissais le « bien-faire » là où il pouvait résider, tu te prêtais tant bien que mal au service de l’esthétique.

Ton sens de l’ouverture ne te poussait pas vers la faiblesse d’intégrer les moules qui façonnent les encenseurs, les béni oui-oui, les chiens de chasse, les gardes-chiourmes ou les gueules de bois.

Tu constituais un personnage-carrefour, vu que tu étais employé au sein d’un organisme culturel important installé au Congo. Tu te comportais toujours en bon compagnon. Tu savais partager le grain, le vin, le lin et le levain, la grillade et la salade, la tomate et la patate, le poisson et le dindon. On se servait près de toi sans condition préalable. Le métier d’artiste t’entraînait à l’acte de donner sans discrimination de couleurs. Tu apprenais à tisser des arc-en-ciel sur ta route, tranquillement, dans un Congo claudiquant et hypocrite où des foules entières aveuglées subtilement, ont du mal à reconnaître qu’il n’y a qu’un seul Congo, qui se lève, qui resplendit de différentes richesses, des forêts jusqu’à la savane, des savanes jusqu’à la mer. Ce Congo de la liberté, celui qui récompense ses enfants méritants, sincères et imbus de loyauté.

Tourterelle de toutes les aubes, les lumières constituaient pour toi un véritable crédo : être dans le bien ou s’anéantir dans la duplicité. Une fois entouré de machines, envahi de lumières, éblouissant, éclatant, tout fleurissant, ivre de lumières, tu rejetais sur les autres une immensité secrète cachée au fond de toi-même, comme le font les poètes : Césaire, U Tam Si, Maxime Ndebeka, Bilombo Samba, Marie Léontine Tsinbinda, Alima Madina…

Victor, les lumières t’ont sacré poète. Sur scène. Encore plus dans la vie, parce citoyen en exercice pluriel.

Là où tu es maintenant, j’ai l’assurance qu’un certain jugement venu de la droite du Père s’est déjà prononcé en ta faveur. Tu as rempli ton rôle, accompli ton devoir, plus de question à te poser. Seuls nous qui habitons encore la Terre, cette patrie qui est la nôtre, interrogeons notre conscience. Quelles lumières lancerons-nous au bout du petit matin, à la manière des poètes Césaire, U Tam Si, Maxime Ndebeka, Bilombo Samba, Marie-Léontine Tsinbinda, Alima Madina ?

Victor,

On t’appellera désormais « Victoire », comme le Fleuve-Large s’installe sur ses vagues de pierres volantes au sud de Mfwa…

Matondo-Kubu Turé, Homme de théâtre
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