Foresterie : l’illégalité et ses implications en matière de sécurité

Mardi, Août 30, 2022 - 11:15

Souvent facilitée par des collusions administratives, l’exploitation forestière illégale est une caractéristique de la criminalité transnationale, avec des répercussions sur la sécurité et l’environnement des pays concernés.

Chaque année, les pays africains perdent 17 milliards de dollars. La cause, l’exploitation illégale des forêts, dont la valeur économique est entre 30 et 150 milliards de dollars. On estime à 9 milliards de dollars le bénéfice net du seul commerce illégal du charbon de bois en Afrique, « à comparer aux 2,65 milliards de dollars d’héroïne et de cocaïne vendus dans la rue dans la région ». Par exemple, la part de l’Afrique dans les exploitations de bois de rose vers la Chine est passée de 40% en 2008 à 90% en 2018, selon l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (Onudc), préoccupée par l’exploitation forestière illégale et ses effets amplificateurs sur le changement climatique, ce qui aggrave la déforestation et réduit la biodiversité. Un phénomène particulièrement visible dans le bassin du Congo et les tourbières, qui constituent l’un des plus grands puits de carbone au monde. Le trafic de bois alimente également les menaces à la sécurité provenant des groupes criminels organisés et des organisations extrémistes violentes. C’est le cas  en Tanzanie et en République démocratique du Congo, avec l’Ahlu-Sunnah Wa-Jama et au Mozambique, où les réseaux de trafiquants gagnaient environ deux millions de dollars par mois, grâce à l’exploitation forestière illégale en 2019.

L'exploitation forestiière illégale, accélérateur de corruption

L’exploitation forestière illégale accélère également la corruption, d’après l’Onudc. Au Congo, la législation nationale limite l’exportation de certains bois durs rares à seulement 15 % de la production annuelle d’une société d’exploitation forestière. Et la collusion entre les acteurs politiques et commerciaux a conduit à ce que cette règle soit souvent bafouée, privant les citoyens congolais des bénéfices de leur richesse en ressources naturelles, alors la dégradation de la forêt prive les communautés locales d’une source durable pour leurs moyens de subsistance économiques. Pour l’Onudc, l’exploitation forestière illégale fait partie d’un cercle vicieux de gouvernance opaque, d’exploitation et d’insécurité qui privilégie la recherche du profit par certains fonctionnaires et acteurs étrangers. Des schémas qui réduisent la légitimité du gouvernement dans son ensemble, ce qui contribue à l’instabilité et à la violence.

Dynamique de l’exploitation forestière illégale

L’exploitation forestière illégale est la plus répandue dans les forêts tropicales d’Afrique. La région a connu une augmentation de la demande de bois durs rares par des acteurs étrangers. Le principal moteur est le marché chinois du teck, du séquoia et de l’acajou. Le commerce de bois dur de haute qualité entre la Chine et les pays d’Afrique de l’ouest a connu une explosion entre 1995 et 2010. Après l’épuisement du marché, la demande s’est étendue à l’Afrique centrale et orientale. Certains pays, - comme le Cameroun, le Gabon, la Guinée équatoriale et le Congo sont devenus de grands exportateurs. Actuellement, l’Ouganda est désigné comme la plaque tournante pour environ 80 % du bois illégal en provenance de la République démocratique du Congo (RDC) transitant par l’Afrique de l’est. Sont cités parmi les acteurs impliqués à l’exploitation forestière illégale en Afrique, considérés comme acteurs de crime organisé répertoriés dans l’index du crime organisé de l’NACT : les réseaux criminels, les acteurs intégrés à l’État, les acteurs étrangers et les « groupes de style mafieux » avec des identités organisationnelles bien connues et un contrôle coercitif sur le territoire.

A cela s’ajoute la porosité des frontières qui aide « les trafiquants à blanchir le bois illégal à travers les frontières où ils déclarent faussement l’espèce d’arbre pour le faire passer pour légal ».  Les élites politiques sont de connivence avec des acteurs étrangers, favorisant l’exploitation forestière illégale et utilisant le système financier international pour transférer les profits réalisés hors de leur pays vers des comptes bancaires privés. Le public est ainsi privé d’un montant estimé à 88 milliards de dollars de flux financiers illicites qui quittent le continent africain chaque année, explique le rapport.

L’inefficacité des moratoires et les réponses régionales

De nombreux dirigeants africains ont officiellement reconnu les problèmes posés par le trafic de bois, et une certaine inefficacité des moratoires actuels, parfois renforçant la criminalité ou facilement contournés lorsque les systèmes de sécurité et de justice de l’État ne fonctionnent pas de manière transparente et responsable.  Au-delà des moratoires, plusieurs approches innovantes de surveillance de l’exploitation forestière et des délits forestiers ont été expérimentées, notamment l’utilisation de satellites ou de marqueurs génétiques pour identifier la coupe, la récolte et le transport de diverses espèces d’arbres protégés. Quant aux réponses régionales, elles favorisent la coopération internationale rendent plus prohibitives les actions des acteurs étatiques impliqués dans le commerce du bois. Ce fut le cas en 2008, la Commission des forêts d’Afrique centrale avait établi un accord sous-régional impliquant les ministères de l’environnement et des forêts de huit pays pour faciliter la coordination de l’application de la loi sur la production et le commerce du bois. Cet accord souligne l’importance de la coordination transfrontalière et interinstitutionnelle entre les responsables de la sécurité, de la justice et des forêts. Des pratiques de gestion forestière harmonisées qui semblent particulièrement prometteuses en Afrique australe et centrale.

Noël Ndong
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