Dans une interview exclusive accordée aux "Dépêches de Brazzaville", le ministre de l’Energie et de l’Hydraulique, Emile Ouosso, revient sur la libération de ces secteurs et décline sa feuille de route, à moyen et long termes, pour garantir une desserte de qualité en eau et en électricité dans les zones urbaine et rurale. Décryptage.
Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Monsieur le ministre, autrefois directeur général président du Conseil d’administration de la Société nationale d’électricité (SNE), actuellement Energie électrique du Congo (E2C), vous présidez aujourd'hui aux destinées du ministère de l’Energie et de l’Hydraulique. Quelles réformes apporterez-vous ?
Emile Ouosso (E.O.) : Les secteurs de l’énergie électrique et de l’eau disposent chacun des lois sectorielles promulguées le 10 avril 2003, portant Code de l’eau et code de l’électricité. Ces lois introduisent pour la première fois la libéralisation de ces secteurs d’activités en créant les conditions favorables pour une gestion moderne et harmonieuse ainsi qu’une valorisation desdites ressources par des partenaires publics ou privés. Ces lois organisent la gestion desdits secteurs autour de deux principes fondamentaux, à savoir le recentrage du rôle de l’Etat à la définition de la politique de développement, de planification et de régulation sectorielle ; et la délégation de l’exercice des activités opérationnelles à une ou plusieurs personnes morales de droit public ou de droit privé ou la combinaison des deux, à travers des partenariats public-privé. Ces lois libéralisent le secteur de l’eau et le secteur de l’électricité en République du Congo. Le recentrage du rôle de l’Etat a permis l’installation, à titre transitoire en 2009, des agences et fonds sectoriels. Ces agences sont des organes de l’Etat, dont les missions exercées à bon escient permettront d’assurer le développement desdits secteurs. Ils fonctionnent à côté de la Direction générale de l’Hydraulique qui est le bras technique chargé de l’élaboration et la mise en œuvre de la politique sectorielle. La réforme du secteur de l’électricité a connu une deuxième avancée en 2010 avec l’attribution de la licence provisoire de producteur indépendant d’électricité à la société centrale électrique du Congo, chargée de la gestion de la centrale électrique à gaz de Cote Matève, à Pointe-Noire. En effet, un opérateur privé arrivait dans le segment de la production d’électricité. Une autre date à retenir dans la réforme du secteur de l’électricité est l’année 2018, marquée par la restructuration de la SNE, avec sa liquidation et la création de la société E2C en tant que société de gestion du patrimoine. Pour le service public de l’électricité, il était préconisé la mise en concession des centrales hydroélectriques de Moukoukoulou et d’Imboulou, la création d’une société de gestion des infrastructures de transport et la mise en concession de la branche distribution et commercialisation de l’électricité. Dans cette attente, il a été confié à E2C d’assurer à titre transitoire le service public de l’électricité. Ainsi, nous allons faire un point des réformes entamées, et poursuivre l’action du gouvernement pour un service public de l’électricité et de l’eau potable de qualité, en quantités suffisantes et à des coûts accessibles à tous.
L.D.B. : Depuis la fin des années 1990, les villes de Brazzaville et Pointe-Noire connaissent des problèmes récurrents d’eau et d’électricité. Que comptez-vous faire face à ce nouveau challenge pour soulager le calvaire de la population ?
E.O. : Dans le secteur de l’électricité, avec la mise en service des centrales d'Imboulou et de Cote Matève en 2010, puis la réhabilitation des infrastructures du réseau de transport et le renforcement des réseaux de distribution de Pointe-Noire et Brazzaville, la fourniture d’électricité avait été améliorée jusqu’en 2017. Depuis, une dégradation de la qualité du service public a été constatée. Dans le secteur de l’eau potable, l’Etat a aussi réalisé d’importants investissements, tels l’extension de l’usine d’eau de Djiri, les potablocs et le renforcement de l’usine d’eau du Djoué, dans le but d’améliorer la disponibilité de l’eau potable en quantité et qualité suffisantes. Après une période d’amélioration, nous sommes retombés dans la détérioration. Mais le gouvernement n’est pas resté passif. Il vous souvient qu’en décembre 2021 et mars 2022, les cadres des sociétés E2C et LCDE, au sein des Comités techniques y relatifs, ont fait un diagnostic des maux qui minent les services publics de l’électricité et de l’eau potable, et des plans d’actions ont été proposés et évalués. Certaines actions ont été entreprises, parfois avec des résultats palpables, voire mitigés. Pour notre part, nous allons nous atteler à la mise en œuvre desdites actions, notamment la mobilisation des ressources financières nécessaires pour chaque secteur.
L.D.B. : Monsieur le ministre, vous prenez le relai d’un ministère qui fait l’objet de grandes attentes de la part des Congolais. Plusieurs projets ont vu le jour dans ce département, à l’instar du projet de renforcement des transformateurs pour une meilleure qualité de l’électricité. Quels résultats palpables ?
E.O. : Les causes des délestages dans le service public de l’électricité sont à rechercher soit au niveau de la production, soit du réseau de transport ou soit du réseau de distribution. Les usagers de Brazzaville sont alimentés en électricité à travers trois postes sources que sont Djiri, Tsiélampo et Mbouono, tandis que ceux de Pointe-Noire sont desservis à travers les postes sources de Vindoulou, Mongo Kamba 1 et Ngoyo. Dans chaque poste source, l’équipement fondamental est le transformateur qui a une certaine capacité nominale. Un transformateur du poste Djiri avait explosé, il y a quelques années, et les transformateurs des postes THT de Tsiélampo, Mongo Kamba 1 et Ngoyo fonctionnaient parfois en surcharge. E2C a financé sur fonds propres l’acquisition de trois transformateurs de forte puissance (70 MVA) dont l’un destiné aux postes sus mentionnés. Le transformateur du poste Djiri a été mis en service en juillet 2022, celui de Tsiélampo a été mis en exploitation en septembre 2022 et celui du poste Mongo Kamba 1 sera mis en service dans les prochaines semaines. La mise en service de ces transformateurs permet aux exploitants d’arrêter avec les délestages dus à la saturation des transformateurs du réseau de transport. Il faut reconnaître que la situation globale de Pointe-Noire est soutenable, une turbine de la centrale électrique à gaz étant dédiée à l’alimentation d’une grande partie des usagers, indépendamment du réseau de Brazzaville ; qu’avec la mise en service des transformateurs aux postes Djiri et Tsiélampo, la situation de certains quartiers de Brazzaville a été améliorée. Il reste encore des délestages dus à des contingences sur le réseau de distribution et à des insuffisances sur le maillon de la production. E2C avec les partenaires travaillent sur le renforcement des réseaux de distribution, mais aussi sur la réhabilitation des centrales hydroélectriques de Moukoukoulou, Imboulou et Liouesso.
L.D.B. : Depuis des années, les habitants des principales villes déplorent l’absence de communication en cas de coupures d’eau et d’électricité. Quel changement apporterez-vous à la tête de ce département, toutefois sous le feu des critiques ?
E.O. : L’eau c’est la vie et l’électricité est le pain sinon le levier du développement, c’est donc normal que la question de l’eau potable et de l’électricité soit au centre de préoccupations de toute personne. Généralement, les coupures programmées font l’objet d’une communication par les canaux usuels. La diversification des agences et points de vente est à mettre à l’actif du rapprochement des opérateurs au plus près des usagers. Aujourd’hui, nos deux principaux opérateurs ont installé des numéros verts pour faciliter la communication avec les usagers. La communication est un acte de gouvernance, nous veillerons à ce que les opérateurs travaillent dans le sens de l’amélioration de cette gouvernance.
L.D.B. : Vous ministre, les consommateurs vous attendent aux résultats face aux défauts de facturation, de la qualité de l’eau, parfois impropre à la consommation, la pénurie d’eau, délestage, etc. Quelle sera votre mission pour venir à bout de ces problèmes ?
E.O. : Les services publics de l’eau potable et de l’électricité sont placés sous le contrôle de l’Etat qui peut déléguer à une ou plusieurs personnes publiques ou privées de droit congolais la gestion de tout ou partie du service public. Il conclut, à cet effet, un ou plusieurs contrats de délégation qui peuvent prendre la forme de la concession, de l'affermage, de la régie intéressée, de licence ou toute autre forme de délégation applicable au secteur. Nous veillerons à ce que tout opérateur intervenant dans les secteurs de l’eau potable ou de l’électricité dispose d’un contrat de délégation de gestion avec un cahier de charges qui précise les obligations vis-à-vis des usagers. Les organes du ministère ont la mission de veiller à ce que les usagers ne soient pas lésés, ni au niveau de la qualité du produit, ni au niveau du service, ni au niveau de la facturation. Il est bon de rappeler que les agences de régulation qui existent déjà dans les secteurs de l’eau et de l’électricité ont, entre autres, missions de « veiller aux intérêts des consommateurs et assurer la protection de leurs droits pour ce qui est du prix, de la fourniture et de la qualité de l'énergie électrique ».
L.D.B. : Face à la corruption qui gangrène le pays, quelles mesures pour les agents véreux ?
E.O. : Il convient de rappeler aux opérateurs actuels et futurs que l’Etat congolais avait adopté la loi n°5-2009 du 22 septembre 2009 sur la corruption, la concussion, la fraude et les infractions assimilées et la loi n°3-2019 du 07/02/2019 créant la Haute autorité de lutte contre la corruption. Il devra exister un règlement de service qui gère les relations entre les opérateurs et les usagers du service public. Ce document est la base de travail des agences de régulation. Les contrevenants seront punis par la loi.
L.D.B. : Quelle est votre feuille de route pour garantir une desserte en eau et en électricité de qualité pour tous, tant en zone urbaine que rurale.
E.O. : En matière d’électricité, eau et assainissement, le gouvernement avait choisi d’inscrire son action dans une démarche stratégique, à travers des documents et des lettres de politique sectorielle qui fixent les objectifs, les axes, les orientations, les programmes ainsi que les moyens à prévoir dans ces secteurs pour atteindre les résultats escomptés durant une période déterminée. L’objectif général de développement du secteur de l’énergie électrique de 2022 est l’approvisionnement de notre pays en électricité en quantité et en qualité suffisantes, à des coûts accessibles à tous, et l’exportation du surplus vers les pays voisins de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale (CEEAC). Aux termes de sa première période d’exécution (2022-2024), la stratégie se fixe comme principaux objectifs : améliorer la performance de l’opérateur public chargé du service public de l’électricité , desservir toutes les villes ou communes urbaines en énergie pérenne sans aucune augmentation du coût de cession actuel, sécuriser l’alimentation en électricité des deux grandes villes que sont Brazzaville et Pointe-Noire, élaborer les contrats de délégation et de performance ainsi que des programmes d’investissements avec tous les opérateurs du secteur et enfin clarifier le cadre d’intervention de la tutelle dans la gestion des sociétés anonymes. A moyen terme (horizon 2026), la stratégie actuelle se propose de créer les conditions d’une alimentation en énergie pérenne de toutes les communautés urbaines et rurales afin d’atteindre un taux d’accès à l’électricité de 90 % dans les communes, d’un renforcement des réseaux régionaux de transport d’électricité autour des bassins hydroélectriques, d’alimentation des zones minières et des Zones économiques spéciales, d’une amélioration de la fiabilité de l’électricité produite et de la continuité de sa fourniture aux ménages et aux industriels. Enfin, à long terme (horizon 2030), la stratégie se donne la possibilité d’atteindre un taux d’accès à l’électricité de 50% dans les communautés urbaines et rurales, de desservir toutes les localités de plus de 5 000 habitants en énergie pérenne, d’alimenter en électricité les localités proches des sites de développement industriel, de réaliser les interconnexions, d’une part, entre les différents bassins hydroélectriques et d’autre part, avec les autres pays membres de la CEEAC. Pour la réussite de cette vision stratégique, il est proposé un plan national d’électrification 2022- 2030, comprenant des projets de réhabilitation/renforcement et des projets de construction, tant pour la production, le transport et la distribution.