Anthony Nkinzo est le directeur général de l’Agence nationale pour la promotion des investissements de la République démocratique du Congo (Anapi). Depuis juin dernier, il est aussi le président du Réseau international des agences francophones de promotion des investissements (RIAFPI), qui rassemble plus de vingt pays francophones dans le monde, dont dix-sept d’Afrique. De passage à Bruxelles, en Belgique, dans le cadre du Rebranding Africa Forum, qui s’est tenu du 20 au 21 octobre, il a accordé une interview au "Courrier de Kinshasa".
Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Quelle est la hauteur des investissements directs étrangers (IDE) en République démocratique du Congo (RDC) et quelle est la part des investissements africains ?
Anthony Nkinzo (A.N.) : Selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement, 80% des IDE proviennent en dehors de l’Afrique et nous n’enregistrons qu’entre 10 et 15 % d’IDE intra-africains. Selon un récent rapport, la RDC se retrouve parmi les pays où l’économie est la plus résiliente. En 2021, le montant des IDE était évalué à 1,6 milliards de dollars américains. On a connu un bond de 800 millions, porté principalement par le secteur minier, et également à la faveur d’une diversification économique. L’ambition pour les prochaines années est d’augmenter ce chiffre grâce aux matières premières comme le lithium, le niobium, le cobalt, le coltan et à l’environnement, la RDC étant un pays solution pour ce qui est de l’absorption du gaz carbonique. Donc, le respect des normes dans l’industrie forestière va aussi créer de l’émulation. En outre, les secteurs du tourisme et de l’agro-industrie sont en train de se mettre en place. Le secteur de l’industrie également, avec l’ambitieux programme de 58 milliards qui est en train de se structurer. Au regard de ces chiffres, la RDC est de plus en plus attractive.
L.C.K. : Combien de projets d’investissement l’Anapi a-t-elle validés en RDC ces dernières années ?
A.N.: De 2003 à 2020, l’Anapi a validé 1163 projets, soit 58 milliards de dollars américains en coût d’investissement et un peu plus de 200 000 emplois ont été créés sur cette période de près de vingt ans. En 2022, nous avons déjà validé 250 projets, dont 70 à 80 nouveaux projets, tandis que les autres projets sont « en glissement », c’est-à-dire des projets datant de 2021. Les secteurs concernés par ces projets sont l’agro-industrie, l’immobilier et l’hôtellerie. A ce stade, 10 000 emplois ont été créés. Donc, le code des investissements est attractif pour les opérateurs économiques.
L.C.K. : Quels sont les pays qui investissent le plus en RDC ?
A.N.: Une multitude de pays investissent en RDC : la Chine, la Turquie, la Belgique, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. La RDC est un pays attractif.
L.C.K. : Comment se positionne l’Anapi par rapport à l’adhésion de la RDC à la communauté d’Afrique de l’Est ?
A.N.: La mutualisation des efforts est extrêmement importante. La RDC est ouverte à des regroupements régionaux, en respectant les avantages comparatifs qui existent entre un regroupement régional et notre pays. Nous avons besoin d’une expertise, de fonds et d’une main d’œuvre qui viennent d’ailleurs. Nous avons besoin de mutualiser les efforts pour nous rendre plus forts, mais sans aliéner les questions de souveraineté.
La question de la mutualisation est liée à la formation de petites et moyennes entreprises pour qu’elles soient à niveau. La production locale doit être élevée pour que la RDC ne devienne pas un déversoir. Lorsqu’on met en compétition les produits de la communauté d’Afrique de l’Est, les produits de la RDC doivent être les préférés, ce qui augmentera les exportations et la balance de paiement.
L.C.K. : Aujourd’hui, les Kényans, par exemple, sont de plus en plus présents sur le marché congolais, notamment via les banques. Le risque d’être un pays déversoir n’est-il pas déjà une réalité ?
A.N.: C’est une question de temps et de processus. Lorsque vous êtes partenaire d’un pays qui n’a pas connu les guerres et une période d’instabilité comme nous les avons connues et qui, en fait, était en train d’établir ses politiques publiques, son tissu économique est toujours plus développé.
La qualité de l’innovation des start-up, des petites et moyennes entreprises et même des jeunes Congolais va changer la donne dans notre pays d’ici à deux ou trois ans. La RDC n’est pas un pays déversoir. Aujourd’hui, nous avons une protection de la main d’œuvre locale avec la loi sur la sous-traitance. En outre, nous avons également la loi sur l’entrepreneuriat et le code des investissements. Le local content est déjà en marche et nous allons avancer.
L.C.K. : Quel est aujourd’hui le volume des investissements des Congolais dans leur pays?
A.N.: Par rapport aux chiffres de 2003 et 2021, nous en sommes à moins de 15% pour les petites et moyennes entreprises. C’est parce qu’il y avait un problème d’éducation financière, d’éducation entrepreneuriale, d’accès aux fonds et un problème de courage, tout simplement. Mais, depuis un certain temps, il y a un éveil de conscience. De plus en plus de Congolaise cherchent à se mettre ensemble afin de changer de paradigme. Dans le grand Equateur existe aujourd’hui une zone économique spéciale qui est en train d’être donnée à un Congolais. Nous avons également l’opérateur économique Eric Monga qui est en train de bâtir un barrage et dont j’ai agréé le projet au niveau du code des investissements. Au niveau du Tanganyika, une opératrice économique a bâti un hôtel dont j’ai également agréé le projet au niveau du code des investissements. Nous avons aussi agréé des projets de jeunes qui sont en train d’établir de petites industries comme des savonneries. Quelque chose se passe. Le rythme est le nôtre, même s’il n’est nécessairement pas le même que celui de la personne qui nous regarde.
L.C.K. : Depuis juin 2022, vous êtes président du Riafpi. En quoi consiste ce réseau ?
A.N.: Le réseau rassemble différentes agences francophones de promotion des investissements pour qu’elles puissent fédérer leur potentiel et leur capacité à s’étendre dans d’autres régions et au sein même de l’espace francophone. Le réseau a aussi pour objectif de promouvoir les différentes potentialités dans cet espace francophone. Il est important de sortir de nos carcans souverainistes, afin d’avoir un espace francophone qui soit un marché avec les mêmes lois et la même régulation.
L.C.K. : Quelles sont vos priorités à ce poste ?
A.N.: A ma prise de fonctions, je me suis fixé quatre axes de travail : la création d’un fonds de garantie d’investissement, car les pays africains ont des problèmes d’investissement. Ce fonds de garantie d’investissement fera en sorte que les agences francophones de promotion des investissements se trouvent dans des positions où elles peuvent se mouvoir en termes de développement des investissements. Ce fonds de garantie des investissements concerne aussi les petites et moyennes entreprises qui ont aujourd’hui un gros problème d’accès au financement.
L.C.K. : Peut-on avoir une idée du montant de ce fonds?
A.N.: Le montant du fonds ne peut pas déjà être défini, car les différentes agences vont se mettre ensemble avec les autres bailleurs. Donc, je ne peux pas me limiter sur la question du montant.
Le deuxième axe de travail serait la création d’une première école d’excellence, afin qu’elle soit le creuset d’une élite pour les agences de promotion des investissements sur des questions de techniques de promotion des investissements comme premier volet. Le deuxième volet concerne les petites et moyennes entreprises pour les questions entrepreneuriales. Nous voulons une éducation financière, entrepreneuriale, technique et de levée des fonds pour les petites et moyennes entreprises et les très petites entreprises. Dans cette école d’excellence estampillée Riafpi, les conditions d’accès pour les API seront totalement différentes des autres écoles. Nous allons y promouvoir la crème africaine. Les réalités des pays africains sont différentes des autres pays. Les techniques de promotion des investissements sont également différentes.
Le troisième axe est de faire des API des leviers importants de par leur notoriété et leur rôle dans l’écosystème des différents pays. Pour ce faire, nous devons être en bonne intelligence avec les Etats pour avoir des API qui jouent un rôle pleinement important dans la définition des politiques publiques. Le quatrième axe consiste à faire du Riafpi un label incontournable grâce à la force du réseau.
L.C.K. : Quelle est votre position par rapport au projet de création d’une agence panafricaine de promotion des investissements, dans le contexte de la Zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf) ?
A.N.: La RDC a déjà adhéré à la Zlecaf et nous emboîtons le pas à la création d’une agence panafricaine de promotion des investissements. Nous devons simplement, aujourd’hui, faire en sorte qu’il puisse y avoir des adaptations avec les lois des différents pays, leurs cultures et leurs ambitions. Cette agence panafricaine doit donc tenir compte des appétits des pays. Des discussions sur la création de cette agence ont commencé depuis d eux à trois ans et se poursuivent. J’ai échangé récemment avec mes collègues qui se sont réunis à Accra, au Ghana, autour de la mise en place de cette agence panafricaine et nous allons continuer les discussions. Lorsqu’une réforme est initiée, elle rencontre des questionnements et de l’existant, notamment l’appartenance des pays à des zones sous-régionales économiques. Différents pays devraient faire un état des lieux des traités bilatéraux signés avec les autres pays. Néanmoins, la mutualisation d’efforts est un élément extrêmement important parce que personne ne se suffit seul.
Les pays francophones sont de plus en plus conscients de l’importance des investissements directs étrangers (IDE) intra-africains. L’Anapi a notamment des accords avec le Maroc et, bientôt, avec la Tanzanie. L’objectif est de développer les IDE intra-africains. Ces chiffres seront déterminants dans les années à venir.
L.C.K. : Quels sont vos projets pour l’Anapi ?
A.N.: Mon ambition est d’avoir une structure capable de mettre en place des véhicules financiers, qui prend des participations dans les entreprises, qui lève des fonds, qui effectue des études de faisabilité et qui met à disposition des projets lui appartenant. Nous avons également l’ambition d’être un vivier de statistiques, d’être une véritable porte d’entrée et un guichet unique en matière d’investissement, d’être fédérateur de différentes structures qui parlent des questions d’investissement et du climat des affaires. Une structure qui soit le bras séculier du président de la République en matière d’investissement. L’avenir de la RDC passera notamment par ce que deviendra cette structure.