Interview. Arlette Soudan-Nonault : « Pour aller vers une transition avec des énergies propres, il nous faut des financements »

Samedi, Novembre 19, 2022 - 16:24

La ministre de l’Environnement, du Développement durable et du Bassin du Congo, Arlette Soudan-Nonault,  a décidé de quitter la COP27 avant la fin des négociations. Elle répondait samedi matin aux questions de RFI.

RFI : Vous avez décidé de claquer la porte de la COP avant la fin de la semaine. Selon votre post sur Facebook, le scénario de la COP, dite africaine de Charm el-Cheikh, est en passe de virer au cauchemar pour l’Afrique. Qu’est-ce qui motive votre mécontentement ?

Arlette Soudan-Nonault (A.S-N.)  : Pourquoi ce coup de poing un peu sur la table ? Parce que ce n’est pas normal, la spécificité déjà de l’Afrique, qui n’émet que 4% des émissions mondiales, n’a pas été prise en compte. Là, nous venons pour parler d’adaptation, nous venons pour parler d’atténuation, nous sommes de bons élèves de l’atténuation, mais en tant que personnes responsables, il nous faut continuer à concilier atténuation et développement, il nous faut donc aller vers une transition énergétique avec des énergies propres, donc il nous faut des financements. Il nous faut également, dans le cadre de tout ce qui est inondation, érosion, impact du changement climatique sur nos vies, avoir ce qu’on appelle un financement des pertes et dommages, mais là également, c'est un os en plus : on nous donne l’impression d’avoir créé un nouvel instrument, non ! Il faut simplement mettre en place les deux conventions qui existent depuis toujours, mais jamais mises en pratique.

R.F.I.: Donc, il s’agit principalement d’un problème de financement, ce sont les financements qui bloquent ?

A.S-N.: Comment voulez-vous que nous, on aille à une transition énergétique ? Puisque Glasgow a donné l’illusion qu’on prenait en compte le bassin du Congo, vous avez entendu ce chiffre d’un milliard et demi mobilisé, mais je ne sais pas ce qu’on en a fait du milliard et demi ! Moi, je suis la coordinatrice des seize pays du bassin du Congo, nous avons un plan d’investissement, un fonds fiduciaire, qui est le fonds bleu pour le bassin du Congo, et une banque multilatérale de développement qui va gérer les finances, la ligne budgétaire, et ensuite rendre éligible certains projets déjà identifiés, il y en a près de 254 dans le plan d’investissement. Mais finalement, on nous reproche d’être de bons élèves de l’atténuation ? Les plans climat, nous les avons, les plans d’adaptation, nous les avons, et chaque fois que nous avançons on nous ouvre une porte et on en ferme une autre, et ensuite, j'entends l’Union européenne prendre la parole, M. Timmermans, pour dire tout simplement, en chuchotant pratiquement, que le charbon n’est pas cette énergie que l’on veut polluante ! Mais attendez, on se moque de qui là ?!

R.F.I.: Vous vous estimez, un petit peu, victime du fait qu’on a mis toutes les énergies fossiles au même rang ?

A.S-N. : La majorité des pays européens maintient ces centrales à charbon, qui polluent énormément, et d’un côté, on veut nous donner des leçons, sans nous donner une contrepartie, une économie alternative pour nos populations. Vous comprenez que j’ai beaucoup d’inquiétude, je suis venue très optimiste ici, mais vous m’entendez très déçue.

R.F.I. : Qu’est-ce que vous attendiez de cette COP ? Vous dites que vous étiez très optimiste, en quoi ?

A.S-N. : Parce qu’il y a des démarches déclaratives : vous avez Kerry qui vous dit que c’est de l’injustice climatique, vous avez Biden qui est arrivé qui dit qu’il faut prendre en compte les forêts et les tourbières du bassin du Congo, vous avez le président de l’Union africaine, Macky Sall, qui dit qu’il faut prendre en compte aujourd’hui l’Afrique, les promesses n’engagent que ceux qui y croient, nous ne sommes pas des naïfs. Mais que nous ayons l’honnêteté de nous laisser aller clairement vers ce qu’on appelle le marché du carbone souverain. Est-ce que vous savez que tout à l’heure, dans le cadre de l’atténuation, la problématique du bassin du Congo n’a même pas été évoquée ? Et celle de l’Afrique n’a pas été évoquée du tout, donc je crains qu’on ne veuille nous étouffer. Il faut nous citer pour reconnaître que nous sommes le régulateur, ils ne le disent pas ! Parce que reconnaître que nous sommes un bon élève de l’atténuation, derrière, qu'y a-t-il ? Mais derrière, il y a les services écosystémiques que nous réclamons et qui nous sont dus ! Mais nous ne venons pas quémander, pourquoi on veut nous faire passer pour des mendiants ?

R.F.I. : Alors bon élève, on peut aussi le discuter, c’est vrai que c’est difficile à comprendre que les pays africains producteurs d’hydrocarbure demandent des financements alors qu’ils vont continuer à produire des hydrocarbures…

A.S-N. : D’abord, le fait que nous exploitons nos hydrocarbures, vous avez bien vu que nous n’émettons qu’à 4%, donc ce n’est pas nous qui provoquons les plus gros dégâts, ça, c'est le un. De deux, si vous voulez que nous ayons un moratoire, au même titre que la décarbonisation de façon générale avec les pays du Nord, mais il faut qu’on en discute, ça ne doit pas être quelque chose vers quoi on veut nous obliger, à aller dans cette impasse, sans nous donner une alternative économique, nous avons droit également à une vie décente, à un développement, vous n’allez pas nous demander à nous, pays africains, de nous serrer la ceinture pour que le monde riche respire.

R.F.I. : Les populations riveraines de ces gisements d’hydrocarbure disent qu’elles n’ont toujours pas l’électricité, donc est-ce que c’est vraiment un vecteur de développement les hydrocarbures ?

A.S-N. : Bien sûr, prenez le cas de mon pays : ça a permis déjà de mettre de grandes infrastructures, d’accessibilité, sur le plan sanitaire, sur le plan scolaire, et on a commencé déjà, dans le cadre d’une décentralisation, d’une déconcentration, à développer les collectivités locales, ça ne se fait pas d’un claquement de doigts.

R.F.I. : Est-ce que le développement des énergies renouvelables n’est pas plus à même finalement d’électrifier un pays, même le Congo ?

A.S-N. : On est dessus, on y est, mais comme on nous demande aussi d’un autre côté de commencer ce désengagement et que nous sommes des personnes responsables, mais donc pour aller vers ces énergies moins polluantes, ces énergies propres, il nous faut beaucoup d’argent pour justement changer ces différentes centrales.

Propos recueillis par Claire Fages / RFI
Notification: 
Non