Comment se porte le Congo ? Le sentiment « antifrançais » y est-il perceptible ? Quel est l’état de la situation en Afrique centrale ? Que pense le Congo de la présence du groupe paramilitaire Wagner en Afrique, de la guerre en Ukraine, et comment le pays entend-il poursuivre son action en faveur des initiatives de lutte contre le dérèglement climatique à sept-huit mois de la tenue à Brazzaville, pour la seconde fois, du sommet des trois bassins -Amazonie, Bornéo Mékong, Bassin du Congo- ?
Pour répondre à cette série de questions d’actualité, le président de la République était face à Nicolas Beytout, directeur général du quotidien français l’Opinion qui a mené cet entretien à Brazzaville, le 15 avril, en prévision du forum « Business avec l’Afrique : l’heure du new deal », organisé le 18 avril, à Paris, à l’initiative du Conseil français des investisseurs en Afrique-CIAN. Attaché à la stabilité du continent et de la sous-région d’Afrique centrale, Denis Sassou N’Guesso a, au sujet des crises en Centrafrique et à l’Est de la République démocratique du Congo, déclaré œuvrer aux côtés de ses homologues chefs d’Etat au retour de la paix et de la sécurité. Il s’est aussi appesanti sur la situation nationale. Décryptage.
« Assez bien »
Première question directe, et première réponse de même nature, le président de la République a répondu « le pays va assez bien » à la question que lui a posée Nicolas Beytout sur la situation du Congo. Denis Sassou N’Guesso a étayé sa réponse en rappelant le « contexte difficile » de la crise économique et financière survenue en 2014 du fait de la chute des prix des matières premières, et principalement du pétrole, et souligné les efforts accomplis pour redresser la situation : « Vous vous souvenez de l’effondrement des prix de pétrole en 2014, le Congo était naturellement très touché. Cette année-là, le Congo avait atteint un taux de croissance de plus de 6%, mais avec cet effondrement, le Congo est entré en récession - moins de 10% de taux de croissance en 2016- mais nous avons développé beaucoup d’énergie pour faire face à cette situation. Vers 2019, nous avons commencé à relever la tête, car de moins 10% de taux de croissance, nous sommes passés à 1% mais c’est la pandémie de covid-19 qui nous rattrape et replonge à nouveau le pays dans la récession avec, en 2020, moins 6% de taux de croissance. Pendant cette période difficile, notre peuple a fait preuve de résilience et le gouvernement a pris des mesures fortes, parmi lesquelles le confinement, la fermeture des frontières, pour aider la population à garder la tête hors de l’eau ».
« Crise alimentaire, inflation »
La guerre en Ukraine a eu deux effets contradictoires : le côté « positif », la remontée des cours du pétrole et le côté négatif, la flambée des prix des denrées alimentaires. Sur les dispositions prises en relation avec cette situation, le chef de l’Etat a indiqué : « Devant cette autre crise, le gouvernement a apporté de l’aide aux ménages sous diverses formes dont la subvention des produits alimentaires. En 2022, le taux de croissance est passé à 2,5% et pour 2023, nous l’espérons à quelque 3%. Il faut aussi rappeler le fait que le pays vit en paix, c’est important de le souligner, car c’est dans ce climat de paix que nous avons, en 2021, organisé l’élection présidentielle et des élections législatives et locales ».
« L’axe Paris-Brazzaville »
Quel bilan tirer de la visite du président Emmanuel Macron à Brazzaville ? « Nous avons eu un bon entretien dans cette même pièce (salle des ambassadeurs du Palais du peuple, Ndlr). Je pense que les relations entre la France et le Congo sont bonnes. Elles sont profondes, historiques ; elles sont politiques, économiques et culturelles. J’ai rappelé au président Macron que le général de Gaulle est venu au Congo trois fois et que c’est dans ce bâtiment-ci, en 1940, qu’il a déclaré Brazzaville capitale de la France libre. En 1944, c’était la conférence de Brazzaville sur la perspective des indépendances africaines, puis en 1958, il a prononcé le discours de la fondation des relations des pays indépendants d’Afrique avec la France. Nous avons, avec le président Macron, donné de bonnes perspectives à notre coopération ».
Le climat des affaires au Congo
L’entretien conduit par l’Opinion ayant vocation à être diffusé pendant le déroulement du forum du CIAN, la question est posée au président de la République d’évoquer les attentes du Congo envers les entreprises françaises : « Le Congo a mis en place un plan national de développement 2022-2026, j’ai parlé d’un contexte de paix et de sécurité dans le pays ; nous avons un dispositif qui peut rassurer tous les investisseurs potentiels, en particulier l’adoption par le Parlement d’une loi qui définit les modalités du partenariat public-privé. Nous pensons que notre pays a un potentiel important et nous mettons l’accent sur le développement de l’agriculture au sens large. Le Congo dispose de 10 millions d’hectares de terres cultivables, et seulement 5% sont exploitées. Nous mettons l’accent sur les zones économiques spéciales, notamment celle de Pointe-Noire qui a démarré ; sur l’industrie, la transformation des produits agricoles sur place, tout comme celle du bois. Nous avons 22 millions d’hectares de forêt, soit 10% du Bassin du Congo. Nous mettons aussi l’accent sur le numérique, sur les infrastructures de base dans la production de l’électricité, donc il y a un éventail important de possibilités. Nous avons pris des dispositions pour la protection des investissements, le rapatriement des profits ». Enfin, le chef de l’Etat a indiqué qu’au moins deux cents entreprises françaises sont implantées au Congo, parmi lesquelles Total spécialisée dans l’exploitation pétrolière. Il a ajouté que les domaines ouverts aux investisseurs étrangers sont variés, en citant le tourisme et les atouts dont dispose le Congo.
Sentiment « antifrançais ? »
Touche-t-il le Congo, comme on le dit pour d’autres pays d’Afrique francophone ? Pour le président Denis Sassou N’Guesso, sur cette question il vaut mieux parler de « volonté d’établissement d’un type nouveau de relations gagnant-gagnant » dans lequel chaque partie trouve son compte, que de sentiment antifrançais. « Je ne dirai pas que la France ne fait pas assez mais si les peuples en Afrique le demandent avec force, c’est peut-être que quelque part quelque chose coince. Je pense qu’il faut fonder différemment cette relation entre la France et l’Afrique, puisque comme on l’entend dire, en France, « la France-Afrique c’est fini », à supposer qu’il s’agissait d’un schéma monté au profit de l’Afrique, ce dont je ne suis pas sûr, alors s’il n’y a plus de France-Afrique, peut-être qu’il faut bâtir une autre forme de relation un peu plus équilibrée, plus respectueuse des identités des uns et des autres, avec une belle vision pour l’avenir ».
La sécurité régionale
Sur la question de la sécurité dans la sous-région d’Afrique centrale, la France et le Congo jouent un rôle commun. Le chef de l’Etat congolais est-il inquiet de la situation à l’Est de la République démocratique du Congo, de la « pression » qui vient du Mali et du Niger ? Denis Sassou N’Guesso : « Oui, il y a des raisons d’être inquiets, nous souhaitons que tous les peuples d’Afrique et du monde vivent en paix. La situation qui prévaut, par exemple, en RCA (République centrafricaine, Ndlr) depuis longtemps -j’étais médiateur dans ce dossier pendant quelques années- nous souhaitons à ce pays plus de stabilité, plus de paix, et c’est le cas aussi pour la RDC. Nous sommes préoccupés par ces questions et travaillons avec les autres dirigeants africains parce que nous sommes membres du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine ».
Rôle « trouble » de certaines grandes puissances ?
La relation entre les grandes puissances et l’Afrique est un sujet important. La question est posée au président Denis Sassou N’Guesso du rôle « trouble » de certaines d’entre elles, en particulier la présence de la société paramilitaire Wagner jugée proche de la Russie. Denis Sassou N’Guesso : « En Afrique des rôles troubles on en a connu plusieurs, sinon la catastrophe de Libye n’aurait pas entrainé tout le désastre dans le Sahel, s’il n’y avait pas ici et là des rôles troubles ». En sa qualité de président du comité de haut niveau de l’Union africaine sur la Libye, le chef de l’Etat a fait des projections sur ce dossier : « L’Union africaine nous a confié, dans le cadre du comité de haut niveau, la mission d’organiser la conférence de réconciliation libyenne inclusive, nous souhaitons qu’elle se tienne cette année ; d’après l’Union africaine, et c’est aussi notre avis, ce serait le préalable pour l’organisation d’élections crédibles en Libye, et dont les résultats seraient acceptés par toutes les parties. »
Conflit ukrainien, solution africaine ?
Le Congo s’est abstenu à deux reprises de condamner l’agression de la Russie contre l’Ukraine. Pourquoi ? Denis Sassou N’Guesso : « Parce que nous vivons cette situation en Ukraine comme un moment complexe, et nous pensons que c’est par la voie diplomatique, par des négociations que l’on pourrait trouver une issue et non pas par la guerre, la condamnation des parties et leur exclusion du débat international. Nous pensons que si l’Afrique, avec son expérience de la palabre, peut apporter sa voix à la recherche de la solution en Ukraine, ce serait une bonne chose. Si les deux parties acceptent une initiative africaine, oui, je serai partisan de la recherche de solution par la négociation ».
Sommet des trois bassins
Vous allez recevoir le sommet des trois bassins (Amazonie, Bornéo Mékong, Bassin du Congo, Ndlr), d’autres régions du monde sont aussi concernées par les questions de forêt et d’eau, voulez-vous être le chef de file de ce mouvement ? Dans sa réponse, le président de la République a rappelé son engagement en matière de climat qui remonte aux années 1980, puis annoncé que ce sommet, initialement prévu au mois de juin, est repoussé à octobre-novembre de cette année, avant de préciser : « Oui, parce que nous sommes à la présidence de la Commission climat du Bassin du Congo, c’est une décision de l’Union africaine, mais ce sera pour la deuxième fois que nous organiserons le sommet des trois bassins et le secrétaire général des Nations unies est d’accord avec nous, et très mobilisé pour que nous organisions ce sommet. Nous avons déjà pris contact avec les autorités brésiliennes, avec les autorités indonésiennes et les consultations se poursuivent. »
Quelle image retenir du Congo ?
Nicolas Beytout : monsieur le président, s’il y a une image que vous avez envie que les gens retiennent quand ils pensent au Congo, c’est laquelle ? Denis Sassou N’Guesso : « Un pays en paix, avec des institutions stables, qui a un potentiel énorme, une population jeune, scolarisée à plus de 80% ; donc un pays qui a son avenir ! ».
Entretien repris de l’Opinion pour Les Dépêches de Brazzaville par Gankama N'Siah