Fabio Ferrari est le CEO d’aDryada, société qui développe, exploite et finance des projets naturels à grande échelle (reforestation, restauration des sols, mangroves, zones humides...) dans le monde entier. aDryada et Ardian, l’un des leaders mondiaux de l’investissement privé, ont annoncé, le 26 septembre, le lancement d’ « Averrhoa Nature-Based Solutions », stratégie dédiée aux projets de grande envergure visant la restauration de la nature. Elle vise à déployer 1,5 milliard d’euros de projets permettant la séquestration d'environ 150 millions de tonnes de carbone.
Le Courrier de Kinshasa (LCK) : Ardian et aDryada ont récemment lancé « Averrhoa Nature-Based Solutions ». En quoi consiste ce projet ?
Fabio Ferrari (FF): Averrhoa Nature-Based Solutions Fund est un fonds dédié à l'investissement dans des projets de séquestration du carbone présent dans l’atmosphère, et plus précisément dans des projets d’envergure de reforestation, de restauration de zones humides et de mangroves. Ceci, partout dans le monde, et en particulier dans les pays de la zone tropicale. Le fonds permettra de déployer jusqu’à 1,5 milliard d’euros dans des projets qui, naturellement, doivent répondre à des critères stricts de haute qualité demandés par les acheteurs de crédits et par les investisseurs. Ils doivent notamment s’appuyer impérativement sur trois piliers : le climat (Averrhoa Nature-Based Solutions vise la séquestration de 150 millions de tonnes de carbone en 30 ans), la biodiversité et l’amélioration des conditions de vie des populations locales. Ces trois piliers sont, en effet, indissociables. La biodiversité est une condition de la résilience des forêts. Le soutien apporté par les populations locales est, quant à lui, l’assurance que les arbres ne seront pas coupés une fois plantés.
LCK : Comment « Averrhoa Nature-Based Solutions » peut-il bénéficier aux pays africains, particulièrement ceux du Bassin du Congo ?
FF : Même si la forêt recouvre encore près de 40% de la superficie du Bassin du Congo, près de 934 000 hectares disparaissent chaque année, en grande partie du fait du commerce illicite du bois. Il y a donc un potentiel pour les projets de reforestation tels que ceux visés par Averrhoa Nature-Based Solutions – le fonds ne vise pas en effet les projets de conservation, qui génèrent aujourd’hui des crédits carbone dont la qualité est difficile à prouver, et dont la valeur est très faible sur le marché (moins de 5 $).
Après, les pays du Bassin du Congo les plus susceptibles de bénéficier des financements d’Averrhoa Nature-Based Solutions sont ceux où le risque d’investissement est le plus faible, et où il est possible d’obtenir une concession de plus de 40 ans, avec toutes les garanties nécessaires, sur une surface à reforester de 50 000 ha au moins. A ce titre, le Congo Brazzaville et le Cameroun ont le plus fort potentiel.
LCK : Quels sont les types de projets que votre fonds pourrait soutenir dans une région comme celle du bassin du Congo ?
FF : Avant tout des projets de reforestation et de restauration de mangroves, d’une surface minimale de 50 000 ha, et qui, au-delà de la séquestration de carbone, visent aussi à améliorer de façon substantielle la biodiversité et la qualité de vie des communautés locales. Climat, biodiversité et communautés… ces trois piliers sont communs à tous les projets qui seront soutenus par le Fonds dans le monde entier.
LCK : Quel est l’état du marché du crédit carbone en Afrique et comment est-il appelé à évoluer ? Comment le continent peut-il en tirer parti ?
FF : Le marché du carbone volontaire en Afrique est à la croisée des chemins. D’un côté, certains pays comme la Côte d’Ivoire, le Ghana et la Tanzanie travaillent à la mise en place d’un cadre règlementaire qui devrait rassurer les investisseurs sur des questions majeures telles que la propriété des crédits carbone, le niveau de taxation ou la possibilité de conclure des partenariats publics-privés sur des concessions de 40 ans minimum.
De l’autre, certaines annonces faites par des dirigeants lors de l’African Climate Summit sont susceptibles de bloquer le développement de projets finançables par Averrhoa Nature-Based Solutions. Je pense notamment au souhait exprimé par certains pays de conserver 50% des revenus carbone ou d’imposer aux développeurs d’en allouer plus de 40% aux communautés locales.
Il ne s’agit pas de contester la nécessité d’une redistribution – à nouveau, des projets qui ne parviennent pas à inclure les communautés dans leur développement et à accroître leur niveau de vie sont voués à l’échec. Par ailleurs, il est normal de reverser au pays une part des revenus carbone, pour autant que l’équilibre trouvé avec les niveaux de taxation permette la rentabilité du modèle.
Simplement, ces annonces résultent de bilans négatifs faits souvent sur des projets de conservation de type REDD+, dans lesquels l’investissement requis est faible (moins de 200 euros/ha, contre plus de 1500 dans des projets de reforestation), où les crédits générés sont vendus à bas prix du fait d’une qualité difficile à prouver, et pour lesquels il n’y a pas recours à des investisseurs privés internationaux. Appliquées à des projets de séquestration, où il est nécessaire d’attirer de tels investisseurs privés exigeants, elles sont juste contre-productives.
Clarification des exigences, modèles économiques et contraintes appliquées aux différents types de projets et partager cette compréhension… Telles sont, à mon sens, des prérequis indispensables pour que l’Afrique puisse tirer le meilleur parti du marché carbone à court terme.
LCK : L’achat de crédits carbone est-elle une solution adéquate ? N’est-ce pas une façon de contourner le problème, en risquant de s’éloigner un peu plus des objectifs de l’Accord de Paris ?
FF : L’achat de crédits carbone est une très mauvaise option pour la planète dans un cas bien particulier : celui où une entreprise le fait pour se donner arbitrairement le droit de continuer à émettre du CO2 à un niveau équivalent, voire de communiquer sur des produits « neutres en carbone » au motif que les crédits carbones achetés compensent les émissions desdits produits. Il nous faut compter sur la vigilance des ONG et sur des règlementations comme la Green Claims Directive européenne pour y mettre un terme.
C’est aussi une mauvaise option lorsqu’une entreprise, pourtant engagée dans une démarche de réduction solide de ses émissions – de type « Science-Based Target Initiative » par exemple - recherche des crédits carbone de mauvaise qualité. S’il est, en effet, nécessaire d’acheter des crédits carbone de séquestration pour neutraliser les émissions résiduelles, sur ce marché, comme ailleurs, le prix bas est signe de mauvaise qualité. Pour des crédits carbone de séquestration, cela signifie en général que le projet générateur ne s’appuie pas sur les trois indissociables piliers que sont le climat, la biodiversité et l’amélioration des conditions de vie des populations locales. Inciter les entreprises à réduire absolument leur émissions et à commencer dès à présent à acheter des crédits carbone de séquestration de qualité est la meilleure option pour la planète, tel que reconnu par le GIEC.
LCK :Quelle coopération les pays d’Afrique peuvent-ils mettre en place avec les pays du reste du monde pour booster les projets environnementaux ? Dans quels domaines particulièrement et avec quels États ?
FF : Il est indispensable de mettre en place une collaboration efficace entre les pays dits « du Nord » et l’Afrique en matière environnementale. Les pays industrialisés sont ceux qui ont émis et émettent toujours le plus de CO2. Ils ne peuvent demander à l’Afrique de ne pas s’engager sur la route « fossile » néfaste à la planète qu’ils ont eux-mêmes empruntée sans contreparties solides. L’urgence climatique et la biodiversité l’imposent aussi : les fonds multilatéraux de type « Fonds Vert » n’ayant pas réussi à générer suffisamment de flux financiers vers l’Afrique pour enrayer la déforestation et mettre un terme à la « tentation fossile », d’autres mécanismes doivent être mis en place.
Or, les investisseurs privés peuvent certainement y jouer un rôle clé. En effet, l’Afrique possède un réel potentiel pour développer des projets de production d’énergies renouvelables et de séquestration de carbone basés sur la nature (reforestation). L’exploiter au mieux suppose de cocher les cases de certains prérequis : un cadre règlementaire clair et des risques d’exécution limités par exemple – ce qui suppose un contexte social et politique apaisé et la présence de compétences locales notamment.
Certains pays sont déjà bien avancés sur ces prérequis. En matière de cadre règlementaire sur les projets de reforestation, on peut notamment citer la Côte d’Ivoire et le Ghana.